Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Burkina Faso    Publicité
aOuaga.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Hommage: la dernière interview de Valère Dieudonné Somé
Publié le vendredi 2 juin 2017  |  FasoZine
Valère
© FasoZine par DR
Valère Dieudonné Somé, homme politique burkinabé




Lorsque nous l’avons rencontré en février dernier pour recueillir cette interview — la dernière qu’il a donnée à la presse au cours de son tumultueux parcours politique —, nous étions loin de nous douter que Valère Dieudonné Somé tirerait sa révérence quelque trois mois après, loin de sa terre natale, dans son ultime combat contre la maladie. Dans cet entretien exclusif qu’il a bien voulu accorder à Fasozine, ce fidèle compagnon du défunt Président Thomas Sankara, concepteur du Discours d’orientation politique du 2 octobre 1983, livrait alors sa radioscopie sur la marche du Burkina Faso, son pays plus d’un an après l’accession au pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré. Et pour celui qui est resté jusqu’à disparition un fervent défenseur de la pensée sankariste, «il n’y a pas d’autre voie pour parvenir à surmonter les défis qui se posent à notre peuple que celle tracée sous la présidence de Thomas Sankara». Une interview qui vaut le détour et dont nous vous proposons ici la version intégrale. Pour l’hommage et pour la mémoire…
Fasozine: Quel regard portez-vous sur la marche du Burkina, presque deux ans et demi après l’insurrection populaire d’octobre 2014?
Valère Somé: Je suis inquiet quand je vois la marche des choses. Sans un sursaut national pour transcender les égoïsmes individuels, on s’achemine vers une catastrophe imminente.

Comment avez-vous vécu cette insurrection? Comme une délivrance ou comme une interrogation?
J’étais écartelé dans mes sentiments. Je l’avais grandement attendu et il n’a pas répondu à mes espérances. Des aventuriers ont confisqué les fruits de la lutte du peuple et au regard de ce auquel on a abouti, on se convainc de jour en jour que le «diable» n’a pas été celui qu’on a cherché à nous faire croire. Les magiciens qui l’ont suscité sont toujours à l’œuvre. C’est dire que le Burkina Faso n’est pas encore sorti de l’antre du diable. Le pire est devant, si Dieu ne nous vient pas en aide.

Aujourd’hui, quelle action ou décision du Président Roch Marc Christian Kaboré avez-vous ou continuez-vous d’applaudir?
Il ne m’a pas encore été donné de voir une action qui mérite mon applaudissement. Depuis son avènement au pouvoir, il est réduit à inaugurer des chrysanthèmes, à honorer des martyrs devenus un fonds de commerce pour le gouvernement, pour certaines OSC (Organisations de la société civile, Ndlr) et même pour les parents de certaines victimes…

Laquelle de ses actions désapprouvez-vous donc le plus?
J’aimerais pouvoir en désapprouver une!

Vous les approuvez donc toutes!
Justement, il n’y a rien digne d’une action innovante à approuver ou à désapprouver. C’est la gestion du quotidien.

Depuis le début de cette année, on s’attend à un remaniement gouvernemental. Seriez-vous dans les petits carnets du Président pour un poste ministériel?
Même au sein du régime qui a le plus cadré avec mes convictions, je n’ai jamais aspiré à occuper un poste ministériel. Alors n’allez pas me parler d’un poste ministériel au sein d’un régime «muta-muta» et au sein duquel on ne sait pas qui tient la barre.

Il y a bien un président élu qui tient la barre et qui a tout de même mené un certain nombre d’actions depuis un an qu’il est à la présidence…
Ce n’est pas le sentiment que j’ai et ce sentiment est largement partagé par mes concitoyens. L’exécutif et le législatif tirent à hue et à dia. Ces deux corps que l’on tient pour séparés, sont dans notre pays en état d’un divorce qui attend d’être prononcé.

Comment jugez-vous l’action gouvernementale de l’après-Transition?
Les mêmes qui ont toujours conçu et inspiré toutes les actions gouvernementales de Blaise Compaoré peuvent-ils proposer autre chose? «Les mêmes causes produisent les mêmes effets et, dans certaines circonstances, les amplifient». En ce sens, le départ de Blaise Compaoré a quelque chose de positif, car il aura permis à notre peuple de se rendre compte qu’il n’était qu’un paravent pour tous ces apprentis sorciers qui s’exerçaient à spolier notre peuple et qui se sont enrichis illicitement sous son ombre.
C’est pourquoi, parlant de réconciliation nationale, certains mots comme «Vérité» et «Justice» ne conviennent pas dans certaines bouches. C’est tout simplement indécent. Même si le législateur a décidé la prescription en matière pénale pour certains crimes comme les crimes économiques (souvent plus dommageables que les crimes de sang), dans la mémoire du peuple, dans ses ressentiments, ces crimes sont marqués de façon indélébile. Et il appartient au peuple seul de les absoudre, de les pardonner. Chacun de nous, en ayant conscience de sa juste responsabilité («On ne gouverne pas innocemment»), devrait donc observer le profil bas pour que nous puissions accomplir la réconciliation nationale dont notre peuple a tant besoin.

Pourtant, des victimes et parents de victimes aspirent toujours à savoir ce qui s’est réellement passé pour faire leur deuil. Comment peut-on construire une véritable réconciliation des cœurs sans passer par la vérité et la justice?
Ai-je dit que je ne désire pas la «Vérité» et la «Justice»? Des dossiers sont aujourd’hui dans les mains de la justice et aucune personne, aucune instance ne peut entraver leur cours. L’assise de la réconciliation nationale que je préconise ne peut s’ériger en tribunal en lieu et place des tribunaux officiels (légaux). Tout le monde attend d’ailleurs le jugement des dossiers Thomas Sankara, Norbert Zongo, Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, etc.
L’aboutissement de ces dossiers ne saurait entraver le processus de la réconciliation nationale. On ne pourra la limiter à la seule période post-insurrectionnelle. Les dossiers qu’aura à traiter la Réconciliation couvre toute la période de 1960 à nos jours. On ne me servira pas une justice des vainqueurs sur le plateau. C’est ce que je soutiens.

La mise en place et les actions du Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale ne constituent-ils pas, pour vous, un bon préalable pour asseoir une véritable réconciliation nationale?
C’est une commission de plus dans le dessein d’enterrer l’idée de la réconciliation nationale. Thomas Sankara disait que dans notre pays, pour ne pas trouver une solution à un problème, il faut créer une commission et la lui confier. De telles commissions sont des structures bureaucratiques destinées à distribuer des sinécures à des personnes.
S’il y avait une volonté politique affirmée d’aller à la réconciliation, cela pourra se faire, sous l’initiative du gouvernement, en trois jours, délai nécessaire à une assise nationale pour jeter les bases de cette réconciliation. Ce n’est pas la matière qui manque: nous avons les dossiers jugés par les TPR (Tribunaux populaires révolutionnaires, Ndlr), le Rapport du « Collège de sages », etc.

L’année 2016 a été très éprouvante pour les populations, notamment sur le plan sécuritaire. Comment analysez-vous ce regain de terrorisme qui frappe désormais si durement le Burkina?
Permettez-moi, et à l’endroit de certains de vos lecteurs du Burkina Faso, de citer intégralement ce que j’affirmais le 15 décembre 2002 à Bobo-Dioulasso:
«L’après-guerre froide, avec la victoire des États-Unis d’Amérique sur l’Union des Républiques soviétiques socialistes (URSS), a suscité une autre guerre dont les configurations ne sont pas encore bien définies. Le vainqueur, après avoir utilisé les courants islamistes pour venir à bout de son ennemi, se trouve dans la position du magicien impuissant face aux forces infernales qu’il a suscitées. Un totalitarisme est mort avec la fin de la guerre froide. Ce totalitarisme était contenu à l’intérieur des pays. Mais le totalitarisme que nous vivons aujourd’hui est à dimension mondiale: mondialisation de l’économie, mondialisation de la culture donc mondialisation de la lutte.
Face à ce phénomène de mondialisation, les luttes à l’intérieur des frontières ne sont plus classiques. Et ce sont les puissances du monde qui en ont décidé ainsi. Sur le plan international, les guerres ne sont plus classiques, prenant la forme d’affrontement de deux armées d’un pays contre un autre pays. Et c’est encore les puissances du monde qui l’ont décidé ainsi. Alors le terrorisme devient le recours des opprimés dans cette guerre qu’ils livrent pour la liberté et le droit de vivre mieux. Et partout dans le monde, il y a des pauvres et des opprimés.
Notre pays étant un pays pauvre à majorité musulmane, nous avons à craindre que de telles dérives ne franchissent nos frontières. C’est pourquoi nous avons le devoir d’éclairer nos frères musulmans que la solution de l’obscurantisme fondamentaliste ne saurait constituer une alternative.» (Discours de clôture du congrès de la CDS à Bobo-Dioulasso, et dont le texte a été communiqué à tous les partis politiques dont le CDP, ancien parti au pouvoir).
Maints avertissements et projections ont suivi cette déclaration. Aujourd’hui, je n’ai rien d’autre à ajouter, sinon que gouverner c’est prévoir.

De votre point de vue, quel devrait être le défi prioritaire du gouvernement à compter de maintenant?
Il n’y a pas d’autre voie pour parvenir à surmonter les défis qui se posent à notre peuple que celle tracée sous la présidence de Thomas Sankara, en réactualisant ses combats: compter sur ses propres forces, avoir foi en l’initiative créatrice du peuple qui doit faire de la question du développement sa propre affaire, faire recours aux intelligences et aux énergies des hommes qu’il faut en les mettant aux places qu’il faut; faire de la gestion honnête et lutter contre la corruption, le clientélisme, le favoritisme. Vivre selon nos moyens et selon nos capacités et, pour ce faire, l’exemple doit venir de ceux d’en haut; mettre l’accent sur la refonte des mentalités pour faire du Burkinabè ce capital précieux et irremplaçable.
Si les flux de capitaux quémandés de l’extérieur pouvaient faire émerger un pays, il y a belle lurette que Houphouët-Boigny et son disciple Alassane Ouattara avaient fait émerger la Côte d’Ivoire! Les financements proclamés comme un trophée de guerre arraché de haute lutte ne contribueront qu’à enchaîner notre peuple aux chars des pays exploiteurs, hypothéquant dangereusement l’avenir de notre jeunesse qui ploiera sous le poids de cet endettement incontrôlé, consolidant les assises des anciens riches et faisant de nouveaux riches qui pousseront bientôt comme champignons après la pluie.
Au lieu d’ériger des «mémoriaux» à Thomas Sankara, (surtout à l’intention des comparses «sankaristes» du gouvernement «muta-muta», qui font de la mémoire de Thomas Sankara un fonds de commerce), on aurait dû adhérer à sa philosophie politique, et s’engager résolument dans la voie des transformations qu’il a entreprises depuis le 4 août 1983.
Faites-moi moins d’éloges, et pratiquez la voie que j’ai tracée, se serait écrié le Président Thomas Sankara! (…)
On observe depuis quelque temps une recrudescence de crises sociales, une insécurité grandissante, un incivisme criard… Cela inquiète-t-il l’anthropologue que vous êtes?
Pas le moins du monde! Les mêmes causes et avec les mêmes acteurs aux commandes, produisant les mêmes effets… La seconde insurrection n’est plus une simple aspiration de notre peuple. C’est une question posée et à résoudre. Et ce n’est pas moi qui joue ici aux prophètes. Ce sont les ténors même du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, Ndlr) et leurs comparses.

À vous entendre, rien ne va dans le pays. Selon vous, le problème du Burkina est-il d’ordre institutionnel, politique ou socio-économique?
Selon moi, le problème du Burkina Faso est de tous les ordres. Et si on n’y prend garde, cela peut contribuer à armer trois bombes à retardement: la bombe ethnico-régionaliste (la région de l’Ouest et d’autres régions se voient marginaliser par le «plateau mossi»), la bombe religieuse (où les trois grandes religions révélées, dans leurs rivalités, ont investi les différentes instances du pouvoir républicain, s’érigeant même en «faiseurs de rois»), la bombe du retour en force sur la scène politique de la chefferie traditionnelle avec des ambitions à peine voilées. Toutes ces forces se partagent les dépouilles de la République.
Voilà autant de sujets qui nourrissent mes inquiétudes quant à l’avenir de notre pays. D’où la nécessité et l’urgence d’un sursaut national, si on veut éviter que ce pays soit plongé dans un chaos sans précédent.

Que ressentez-vous lorsque certaines idées défendues hier par le président Thomas Sankara, comme le port du «Faso dan fani» et le «consommer local», fleurissent à nouveau aujourd’hui?
Il faut aller au-delà du port vestimentaire, au-delà de l’identité culturelle recherchée, et voir la préservation et la modernisation de nos métiers artisanaux. Ce qui consolide notre indépendance économique en créant de l’emploi pour notre monde rural et des débouchés pour la production nationale. Or aujourd’hui, notre marché est envahi par le «dan fani» chinois. Les Chinois (de Taiwan comme de la Chine de Mao) ont perfectionné le métier à tisser et sont passés au stade de la production industrielle. Ce qui à la longue signifie la disparition de notre artisanat local. Ce qui vaut pour le «dan fani», vaut pour les autres produits artisanaux.
Il faut plutôt chercher à vulgariser cette technologie chinoise auprès de nos artisans pour qu’ils évoluent sans discontinuité. C’est cela le progrès.

Qu’est-ce qui justifie, selon vous, que des acteurs politiques de renom, se réclamant proches de feu Sankara et de ses idées, ne réussissent toujours pas à s’entendre sur l’essentiel pour constituer une véritable force politique et une alternative crédible au Burkina?
Je l’ai dit en d’autres circonstances. Le spectacle que nous offrent les dits sankaristes amènerait Thomas Sankara à dire qu’il n’est pas sankariste! Cette étiquette est devenue un label pour les trafics de tout genre. Des individus sans scrupules aucun en ont fait un fonds de commerce et un moyen de promotion politique. Mais le glas de ces dealers a sonné. Il va leur falloir changer de discours.

Si vous étiez président du Faso, que diriez-vous à vos compatriotes, que feriez-vous pour réconcilier les fils et filles du pays?
J’en appellerais à un sursaut national afin que tous les fils et filles du pays, dans une volonté commune, aillent à la réconciliation, animé chacun par la conscience d’une responsabilité partagée dans les drames et les travers qu’a connus le pays. Si nous ne sommes pas coupables, nous sommes pour le moins responsables de la situation où nous avons placé notre pays en hypothéquant son devenir.
A la jeunesse, je dirais de se départir de ses présomptions et de savoir qu’il est plus facile de détruire que de construire.
À tous, je dirais de sortir de leur torpeur et d’impliquer leur personne dans cette quête d’un nouveau départ. Comme disait Norbert Zongo, «le pire ce n’est pas la méchanceté des hommes mauvais, mais le silence des hommes biens».
On ne peut laisser le sort de notre pays entre les mains de quelques agitateurs irresponsables qui sont loin de soupçonner le sacrifice qu’il faut consentir, la violence qu’il faut faire sur soi pour entreprendre cette œuvre commune qu’est l’édification d’un pays, d’une nation.
Le comportement de certains de nos compatriotes laisse parfois à penser qu’il leur faut passer par l’épreuve du malheur, de la souffrance, pour savoir ouvrir leur esprit, leur cœur, aux interpellations de l’Humanité. Quel pays voulons-nous laisser à nos enfants et à nos petits-enfants?

Quelle philosophie sous-tend la maison d’édition — «Editions du Millénium» — que vous venez de créer?
Il s’agit d’une Librairie-Edition. Tout d’abord, mettre à la disposition de la jeunesse de notre pays des livres qui concourront à leur formation politique et morale, car je m’imagine mal une «génération consciente» sans formation politique. Ensuite, encourager les génies dormants à la production intellectuelle.
J’aimerais partager avec notre jeunesse la maxime suivante: «Penser par soi-même signifie chercher soi-même, c’est-à-dire dans sa propre raison, la suprême pierre de touche de la vérité; et la maxime de penser toujours par soi-même est l’état de l’homme éclairé.»

Comment avez-vous vécu et accueilli le parcours des Étalons à la CAN’2017 dont la phase finale s’est jouée au Gabon du 14 janvier au 5 février dernier?
Ce fut un moment d’allégresse. Ils nous ont produit un beau football et cela vaut la coupe que les Etalons auraient pu nous ramener! Ce fut un de ces rares moments où l’on a vu toute la nation à l’unisson pour un même objectif. En tout cas bravo aux Étalons! Pourvu que ce niveau de prestation qu’ils nous ont donné de voir soit maintenu.
Face à cette prestation des Étalons, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’on doit cela en partie au Président Blaise Compaoré qui, de son exil, a dû le suivre avec fierté. Nul ne peut nier que les Étalons sont arrivés là grâce, en partie, à son investissement personnel. C’est cet investissement pour le bien-être de tous que le peuple avait espéré de lui dans sa gestion des 28 années de notre pays. Ce qui est bien a beaucoup de paternités, mais ce qui est mauvais a un seul père.


Articles associés


Service d’Information du Gouvernement
Décès de Valère Somé : les condoléances du gouvernement
 

Service d’Information du Gouvernement
Communiqué: Disparition de Monsieur Valère Dieudonné SOME
 
Commentaires

Sondage
Nous suivre

Nos réseaux sociaux


Comment