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Ex-ministres de Blaise : «Ce n’est pas possible qu’ils ne soient pas jugés» (Me Guy Hervé Kam, avocats des victimes)
Publié le lundi 29 mai 2017  |  L`Observateur Paalga
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© Autre presse par DR
Me Guy Hervé Kam conseiller de l’Union pour le progrès et le changement (UPC)




Débuté le 27 avril 2017 et après avoir connu plusieurs reports, le procès des anciens ministres de Blaise Compaoré est, depuis le 15 mai, suspendu à la décision des Sages. En effet, la défense a soulevé des exceptions d’inconstitutionnalité si bien que le juge constitutionnel Kassoum Kambou et ses pairs en ont été saisis pour donner leur avis. Me Guy Hervé Kam a également saisi cette juridiction au nom de certaines victimes afin qu’elles aient voix au chapitre dans ce dossier. L’avocat nous a accordé une interview le 24 mai courant, où il a abordé, entre autres, les raisons qui les ont motivés à saisir la juridiction compétente en matière constitutionnelle et estime que, quelle que soit la décision du Conseil, il faut qu’il y ait un procès équitable.

Qu’est-ce qui vous a motivé à saisir le Conseil constitutionnel pour que les victimes aient voix au chapitre à ce procès ?

Depuis le début de la procédure devant la Haute Cour de justice, on a été bloqué par la loi, qui ne permet pas aux victimes de se constituer partie civile. Nous avons discuté avec elles et avons dit que, pour contourner cette difficulté, c’était peut-être mieux de laisser cette procédure continuer dans la mesure où, comme vous le savez, elle est relative à la responsabilité du gouvernement dans la prise de la réquisition avec autorisation d’utiliser les armes. Cette responsabilité était plus ou moins évidente. De ce point de vue-là, ce n’était pas nécessaire pour nous, en tant que victimes, de remuer le couteau dans la plaie ; malheureusement lorsque la procédure a commencé, nous avons vu que les personnes poursuivies ne voulaient pas reconnaître leur responsabilité, faire amende honorable pour qu’on aille à la réconciliation. Du moment qu’elles n’étaient pas dans cette dynamique et comptaient contester leur responsabilité, nous avons estimé qu’il était important pour les parties civiles d’être là parce que le rôle des victimes aussi dans le procès est de contribuer à la manifestation de la vérité. Et comme on était bloqué par la loi sur la Haute Cour de justice et qu’eux entendaient saisir le Conseil constitutionnel, nous nous sommes dit que, dans ce cas, c’est mieux de soulever en même temps tout ce qu’il peut y avoir comme difficultés pour que le Conseil constitutionnel se prononce dessus. S’il y a des modifications législatives à faire, qu’on les fasse en même temps et que finalement on puisse revenir devant la Haute Cour de justice, que les personnes poursuivies et les victimes aient tous droit à un procès équitable.

Autrement dit si la défense n’avait pas soulevé des exceptions, vous n’auriez peut-être pas saisi à votre tour le Conseil constitutionnel ?

Oui, tout à fait, la preuve est qu’au début, on ne l’a pas fait.

Au fait, que pensez-vous des différentes exceptions soulevées par la défense ? Prenons pour commencer la première, sur la présence de la juge Elisabeth Bado comme membre de la Haute Cour de justice alors qu’elle relève du Conseil d’Etat.

Je pense que cette exception n’a pas de sens. Le texte dit qu’on peut nommer les magistrats qui relèvent de l’ordre judiciaire. Au Burkina Faso, il n’y a pas de magistrats de l’ordre administratif. Je suis désolé, tous les magistrats professionnels burkinabè sont régis par le statut de la magistrature qui ne reconnaît qu’un seul ordre. Donc tous les magistrats professionnels burkinabè relèvent de l’ordre judiciaire. Maintenant, il y a deux ordres de juridiction : l’ordre administratif et l’ordre judiciaire. L’ordre administratif, qui comprend les tribunaux administratifs et le Conseil d’Etat, est animé par des magistrats professionnels relevant donc de la magistrature, de l’ordre judiciaire, et par des magistrats non professionnels qui sont des personnes de l’administration, qui sont ceux qu’on appelle des magistrats ad hoc. Donc le fait que la juge Elisabeth Bado relève de l’ordre administratif est un faux problème tout simplement parce qu’il n’y a pas de magistrats de l’ordre administratif au Burkina.

La seconde exception, c’est la non-rétroactivité de la loi pénale.

Là encore, nous disons que la question de la non-rétroactivité de la loi doit être maniée dans les règles du droit. Il n’est pas donné à tout le monde de manipuler des concepts juridiques en dehors de leur strict cadre. En droit pénal, on dit que la loi n’est pas rétroactive, mais cela concerne la qualification des infractions et la détermination des peines, on parle alors de loi de fond. Ces lois-là ne sont pas rétroactives. On ne peut pas vous juger pour des faits que vous avez commis hier alors qu’au moment où vous commettiez ces faits, ils n’étaient pas des infractions. Demain, si on érige ces faits en infractions et qu’on vous poursuit parce que vous les avez commis hier, c’est là qu’intervient la non-rétroactivité. Ou alors, si vous commettez une infraction qui est peut-être punie ou pas et que demain on en aggrave la peine, on ne peut pas vous l’appliquer.

Or dans le cadre de ce procès, le code pénal n’a pas changé. La loi sur la Haute Cour dit que les infractions et leurs peines relèvent du code pénal. Ce qui a changé en réalité, c’est la détermination des autorités qui peuvent saisir la Haute Cour de justice. La Haute Cour de justice a été créée quand il n’y avait pas de Cour de cassation, il n’y avait que la Cour suprême. Donc on a valablement fait des révisions. Et ça, en droit, ce sont des lois de procédure. Et contrairement aux lois de fond, les lois de procédure sont d’application immédiate. Quand on prend une loi de procédure, elle s’applique à toutes les procédures en cours. Et le Burkina a connu ça plusieurs fois. Lorsqu’on a créé les Chambres criminelles au Burkina, il y avait la Cour d’assises. Dès lors qu’on crée les Chambres criminelles, tous les dossiers criminels qui étaient devant la Cour d’assises sont jugés par les Chambres criminelles. Lorsqu’en 2004, on a créé les tribunaux pour enfant, toutes les affaires concernant les enfants qui étaient devant toutes les juridictions ont été immédiatement jugées suivant les règles applicables devant les tribunaux pour enfants sans que personne puisse invoquer la non-rétroactivité. De ce point de vue-là, le problème de la non-rétroactivité soulevé ne correspond pas du tout à l’état du droit burkinabè.

Enfin la troisième est l’absence du principe du double degré de juridiction …

Il faut faire attention. En réalité, la loi organique elle-même est une loi qu’on peut considérer de valeur constitutionnelle. C’est vrai que le texte sur la Haute Cour de justice prévoit qu’il n’y a pas de double degré de juridiction. Sur le plan strict de la Constitution, on peut dire que ça ne pose pas de problème. Sauf que le Burkina Faso a signé beaucoup d’instruments internationaux plus tard, notamment le Pacte international sur les droits civils et politiques qui prévoit que toute personne condamnée a le droit de faire réexaminer sa cause par une juridiction supérieure. Si demain les personnes poursuivies sont condamnées par la Haute Cour de justice, elles n’auront pas le droit de faire réexaminer leur cause devant une juridiction supérieure. Donc ça, ça va violer le Pacte.

Mais étant donné que ce document a une valeur supérieure aux lois burkinabè, même si elle est inférieure à la Constitution et que d’ailleurs la réforme de la Constitution du Conseil national de la Transition (CNT) a incorporé ce Pacte, le fait qu’il n’y a pas de double degré de juridiction sera une violation des droits des personnes poursuivies. Mais toute violation des droits n’est pas forcément une violation de la Constitution. Il appartiendra au Conseil constitutionnel de dire si, oui ou non, il fait du double degré de juridiction un principe à valeur constitutionnelle. Si c’est le cas, alors il donnera raison aux personnes poursuivies et il va falloir modifier la loi sur la Haute Cour de justice avant le jugement. Mais nous, en tant qu’avocat des victimes, en tant que juriste, en tant que défenseur des droits de l’homme, nous pensons que c’est bon que toute personne condamnée ait droit au double degré de juridiction.

Mais si on fait cette modification de la loi sur la Haute Cour pour permettre ce double degré de juridiction, est-ce que les avocats ne pourront pas encore soulever le principe de la non-rétroactivité ?

Non ! Puisque c’est une loi de procédure. Dans ce cas, il n’y a pas de souci en vertu du principe de l’effet immédiat des lois de procédure.

Sans vouloir faire de la justice fiction, admettons que les Sages aillent dans le sens de la défense, ça voudrait dire que les ex-ministres pourraient ne jamais être jugés, bien qu’on ait suivi votre développement. Est-ce que vous allez vous résoudre à cela si c’était le cas ?

Ce n’est pas possible qu’ils ne soient pas jugés. Cela voudrait dire qu’on a légitimé l’impunité. Il y a déjà une procédure en cours et je pense que tout le monde au Burkina Faso, y compris les ex-ministres, puisque la plupart sont membres de la CODER, ont dit que leur souhait est le triptyque vérité, justice et réconciliation. La justice faisant partie du triptyque, tant qu’il n’y aura pas justice, il ne peut y avoir vérité et réconciliation. Je pense que le Burkina a besoin d’un procès, mais d’un procès équitable pour qu’on puisse aller à la réconciliation. Normalement ça ne devrait poser aucun problème. Je dis que le gouvernement n’a même pas besoin d’attendre le Conseil constitutionnel. Quelle que soit la décision de cette juridiction, le gouvernement peut décider aujourd’hui, en son âme et conscience, de faire les modifications nécessaires pour conformer la Haute Cour aux standards juridiques internationaux avant le jugement. C’est mon souhait. Le gouvernement doit faire ces réformes pourquoi ? Parce que le Conseil peut dire que le double degré de juridiction n’est pas un principe à valeur constitutionnelle et il peut avoir raison, mais est-ce que cette raison permettra un procès équitable, un procès qui apaise les cœurs ? Non ! Quelle que soit la décision des sages, la responsabilité du gouvernement dans cette affaire sera de relire la loi sur la Haute Cour de justice avant le jugement.

Le parquet de la Haute Cour de justice a ratissé large, notamment en inculpant tout le gouvernement alors que, si ça se trouve, la fameuse réquisition a été prise dans un cercle restreint. Ne fallait-il pas resserrer l’étau et cibler Blaise et ses sécurocrates ?

C’est pour tout cela qu’un procès est important. Le procès permettra de délimiter les responsabilités de chacun. Avec les bribes d’informations, on peut estimer que c’est le Premier ministre qui est le signataire de la réquisition, qu’il en est responsable ; que le ministre Tartempion qui n’a fait qu’assister au conseil des ministres n’en est pas responsable. On peut poser la question de savoir si le Premier ministre pouvait prendre l’arrêté sans se référer au conseil ; pourquoi s’en est-il référer au conseil si oui. Si les ministres présents ce jour avaient dit non, est-ce que Luc Adolphe Tiao allait signer le décret ? Il y a beaucoup de questions qui permettront de situer les responsabilités individuelles de chaque ministre parce qu’en droit pénal, la responsabilité est personnelle et individuelle. Les ministres sont poursuivis ensemble, mais ce n’est pas parce qu’un sera condamné qu’un autre le sera également. Parmi les ministres comparaissant, ceux dont les responsabilités seront établies par le procès seront condamnés et d’autres pourraient être acquittés.

Mais qu’en est-il du principe de la collégialité des décisions prises en conseil des ministres ?

Le principe de la solidarité gouvernementale doit être lu pas forcément dans les mêmes termes que le juge pénal. On a le droit pénal, le droit administratif et d’autres branches, et chaque branche a son interprétation. Souvent l’interprétation coïncide, parfois elle diffère. Si on a un texte qui relève de la Constitution, on va avoir une interprétation du juge constitutionnel ; sur la solidarité gouvernementale on attendra de voir ce que le juge pénal va dire.

En tant qu’avocat, est-ce que Me Kam pouvait défendre un ex-ministre s’il avait été sollicité ?

J’aurais pu défendre un ex-ministre, mais il faut savoir que, dans notre profession, l’avocat doit être indépendant, et dans le cadre de ce procès je pense qu’il y a eu, personnellement, tellement de liens avec les victimes, que nous avons accompagnées dès le départ, que normalement je suis totalement disqualifié sur le plan strictement professionnel pour défendre les anciens ministres. Autrement, c’est tout à fait normal qu’ils aient le droit à la défense et que des avocats les défendent même si, a priori, ils peuvent ne pas être d’accord. L’avocat, à partir du moment où il doit défendre une personne, doit tout simplement l’aider avec tous les moyens de droit à avoir un procès équitable, à avoir la vérité du droit, c’est ça le rôle de l’avocat. Donc ça aurait pu se faire sauf qu’ici ce n’est pas ma volonté qui le détermine mais les règles professionnelles.





Entretien réalisé par

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

Hugues Richard Sama
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