On peut dire d’Achille Tapsoba qu’il est l’un des disques durs du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ex-parti au pouvoir. Militant de première heure et considéré comme l’un des idéologues de ce parti qui a géré le pouvoir, de l’avènement du multipartisme en 1991 jusqu’aux événements des 30 et 31 octobre 2014, Achille Tapsoba n’est pas moins un vieux briscard de la scène politique. C’est dire que quel que soit l’angle sous lequel vous l’abordez pour parler de l’histoire sociopolitique du Burkina Faso des vingt dernières années, vous ne pouvez qu’être édifiés. Nous nous sommes intéressés à lui, dans le cadre de notre rubrique « Mardi politique » qui évoque avec nos invités, l’actualité brûlante de l’heure. Avec lui, nous avons évoqué les grands sujets comme la vie de son parti post-insurrection populaire, le procès de Blaise Compaoré et de son dernier gouvernement, la gouvernance du régime actuel dont il connaît les acteurs pour avoir, dans une autre vie, collaboré avec eux. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Achille Tapsoba a vidé son sac. Lisez plutôt !
Le Pays : En dehors de ses activités politiques, que fait Achille Tapsoba ?
Achille Tapsoba : Depuis que je suis admis à la retraite en tant que fonctionnaire de l’Etat, en dehors des activités politiques, je me livre à des activités socio-professionnelles telles que l’entreprenariat, car j’ai créé une entreprise conjointe dans l’immobilier, avec des partenaires. Je suis également au niveau de l’exploitation agro-sylvo-pastorale. Ce sont là mes deux activités essentielles. Et bien entendu, je m’occupe aussi de ma famille.
Comment se porte le CDP, étant donné qu’il y a une sorte de bicéphalisme au sein du parti ? D’un côté, il y a un président du directoire et de l’autre un président de la commission ad hoc.
Je dois d’abord faire un rectificatif. Il n’y a pas de directoire au CDP. La formule du directoire n’a pas été retenue au niveau du parti. Par contre, ce qui est réel, c’est que la direction du parti, suite au report du congrès extraordinaire dont l’objet essentiel était de doter le parti d’une nouvelle direction, a estimé, et ce, sur les orientations des membres du Haut conseil, qu’il était nécessaire de mettre en place une commission ad’ hoc pour revisiter les structures du parti, parce qu’elles ont été sérieusement ébranlées par les différentes perturbations politiques. Cette commission ad hoc a donc pour mission première de faire le point du fonctionnement des structures jusqu’à la base et de mettre en place celles qui avaient été désorganisées. Sa deuxième mission, c’est de proposer des axes pour la relance des activités du parti, compte tenu des avatars que nous avons subis en tant qu’ex-parti majoritaire. Nous étions la principale cible du parti au pouvoir, et ces avatars ont plongé certaines structures de notre parti dans une certaine léthargie. En embastillant beaucoup de nos responsables et leaders, le parti ne pouvait que se retrouver dans une morosité politique. Il n’y avait donc que quelques militants qui avaient la possibilité de se battre sur le terrain politique. Il fallait donc relancer les actions du parti, réactiver ses missions dans tous les domaines. C’est ce à quoi s’attelle la commission ad hoc. Elle est placée sous la direction de Léonce Koné, qui est le deuxième vice-président du CDP. Quant à moi, en tant que premier vice-président du parti, j’assure l’intérim du président. Léonce Koné qui assure la présidence donc de cette commission ad hoc, se fait voir sur le terrain puisqu’il s’agit de la relance des actions du parti.
Jusqu’à présent, le parti n’arrive pas à organiser son congrès. Qu’est-ce qui justifie cela ?
Nous ne pensons pas qu’il faille dire qu’on n’arrive pas à organiser notre congrès. Nous avions prévu d’organiser un congrès extraordinaire mais nous avons dû le reporter à la dernière minute, pour des raisons que nous avions communiquées à la presse à l’époque. Il s’agit, essentiellement, des raisons de sécurité. Parce qu’à l’époque, il faut vous le rappeler, les conditions objectives et subjectives n’étaient pas remplies pour tenir ce congrès, dû essentiellement au fait que beaucoup de nos camarades étaient soient embastillés, soient interpellés, soient inquiétés par la justice pour des raisons diverses. Ensuite, d’autres étaient dans une situation assez difficile du point de vue social parce qu’ayant subi les dommages liés aux saccages dont ils ont été victimes lors des événements d’octobre 2014 et de septembre 2015.
C’est dire qu’à cette époque-là, nous avons analysé la situation et nous avons estimé que le contexte national n’était pas propice à la tenue d’un congrès extraordinaire qui devrait mobiliser des milliers de militants autour du thème, essentiellement axé sur les réformes à apporter au parti pour renforcer son action et la nouvelle direction à mettre en place. Néanmoins, à partir de la remise en ordre de nos structures et de la redynamisation de nos activités que nous faisons aujourd’hui, nous allons pouvoir organiser le congrès ordinaire en 2018.
Justement, il y a des noms qui circulent comme ceux de Kadré Désiré Ouédraogo, Boureima Badini, Paramanga Ernest Yonli, pour la présidence du parti. Lequel d’entre eux vous semble-t-il le favori ?
Je ne crois pas qu’il y ait des favoris à notre niveau. Et je ne pense pas que ce soit vraiment des candidats. Notre parti ne fait pas d’appel à candidatures pour occuper les responsabilités, comme s’il s’agissait d’une élection présidentielle. Bien sûr, un congrès ordinaire a pour vocation, à son terme, de renouveler les organes dirigeants du parti au plan national. Du coup, il y a la perspective de pouvoir renouveler la direction politique nationale du parti. Renouveler la direction politique nationale d’un parti, ça peut vouloir dire beaucoup de choses. Ça peut vouloir dire reconduire certains, changer d’autres ou trouver de nouvelles têtes, etc. Dans le cas d’espèce, notre parti a une démarche politique qui consiste, effectivement, à l’approche du congrès, à lancer un système de candidatures qui se déroule de façon interne sur des principes qui sont tracés et qui sont définis par le comité d’organisation du congrès. J’allais donc dire que ce serait prématuré de parler déjà de candidatures, parce que le système de lancement de la candidature n’est même pas encore défini et le comité d’organisation n’existe pas encore.
Nous savons néanmoins que notre parti regorge de cadres qui sont capables de le diriger. En plus des noms que vous avez donnés, il y a plein d’autres qui peuvent être cités également, mais dont la presse ne parle pas. Mais nous, nous savons qu’il y a beaucoup de camarades de notre parti qui peuvent exercer cette fonction de premier responsable du parti. Je pense que dans le contexte actuel, la presse veut, de par sa tactique, prêcher le faux pour avoir le vrai. C’est de bonne guerre. Vous avez cité des noms, mais ce n’est pas limitatif. Il peut donc y avoir d’autres camarades qui pourraient prétendre au poste. Mais tout cela rentre dans l’ambiance de l’organisation du congrès ordinaire qui va se tenir l’année prochaine. On se donnera rendez-vous à ce moment pour dire quels sont ceux qui sont pressentis, et quels sont ceux qui sont les favoris comme vous le dites. Il faut donc attendre que le congrès qui est l’instance qui désigne le président du parti, puisse se prononcer sur les éventuelles candidatures qui seront connues au moment venu et qui seront appréciées par l’opinion et les militants du parti.
Cela dit, est-ce que le parti se porte bien financièrement, étant donné qu’il n’est plus aux affaires ?
Pas du tout. Le parti ne se porte pas du tout bien financièrement. Il se débrouille plutôt financièrement. Nous n’avons plus les mêmes capacités financières. Nos cadres n’ont plus les mêmes capacités de contribuer au niveau du parti, compte tenu du fait que nous avons perdu le pouvoir mais, en plus d’avoir perdu le pouvoir, nous sommes l’objet de vexations diverses de la part des autorités actuelles. Ces vexations qui vont dans le sens de faire des récessions financières au niveau de certains camarades. Et ce, à dessein pour mettre le parti dans des situations de difficultés financières. Il vous souvient qu’à un moment donné, suite aux événements de septembre 2015 liés au coup d’Etat, les comptes du parti et ceux de certains camarades avaient été gelés. Et nous avons passé les élections législatives et présidentielle couplées pratiquement sans moyens financiers.
Par ailleurs, les moyens ne sont plus les mêmes, étant entendu que du point de vue de la mobilisation des ressources financières, les partis politiques s’appuient sur deux éléments essentiels. Il y a d’abord les personnes-ressources qui ont des capacités financières et qui contribuent aux actions d’un parti. Il y a également les cadres dont la position socioprofessionnelle peut être un atout pour leur permettre de contribuer financièrement aux activités. Actuellement, nous n’avons ni l’une ni l’autre des situations. C’est cela qui rend difficile notre travail. Nous avons fonctionné, pratiquement, lors des législatives et des municipales, sur la base des crédits que nous sommes en train de payer très difficilement. Et c’est très préoccupant à certains niveaux. Mais nous sommes tenus, comme je le dis souvent, de nous en sortir financièrement à court ou à moyen terme.
« Nous ne pensons pas qu’il appartient à quelqu’un d’autre de mettre en doute la fiabilité et la loyauté de nos propres militants, en dehors de nous-mêmes »
Comment réagissez-vous aux propos de ceux qui accusent certains députés du CDP de rouler pour le MPP ?
Cette question ne touche pas seulement les députés. Même au sein de la haute hiérarchie du parti, il y en a qui ont été accusés d’avoir des accointances avec les premiers responsables du MPP. Moi-même j’ai été cité dans la presse comme ayant eu des rencontres secrètes avec le président Roch Kaboré. Je dois dire que c’est seulement une tactique politique qui consiste à jeter l’anathème sur un certain nombre de cadres de notre parti, pour brouiller la confiance que les militants et les structures du parti ont en ces personnes. Nous sommes au courant de cette vieille stratégie. Et nous ne cédons pas à ce genre de choses. Nous ne pensons pas qu’il appartient à quelqu’un d’autre de mettre en doute la fiabilité et la loyauté de nos propres militants, en dehors de nous-mêmes. Et la loyauté et la fiabilité d’un militant, ça se constate. Ce ne sont pas des supputations, ce n’est pas objet de lecture d’intention. Ce sont des éléments qui peuvent se constater. Les accointances qu’on peut avoir, et s’il s’agit d’une trahison de son parti au profit d’un autre, ne peuvent pas se cacher. Il faut plutôt aller au-delà de simples suspicions, sinon tout le monde finira par se méfier de tout le monde.
« J’ai régulièrement des nouvelles du président Blaise Compaoré que j’informe constamment des activités du parti qui est le sien »
En tant que président par intérim du CDP, avez-vous régulièrement les nouvelles de Blaise Compaoré ?
Vous le savez très bien puisqu’il est arrivé des moments où j’ai annoncé que j’allais voir le président Blaise Compaoré, même si on a tenté de m’en empêcher par deux fois. Il est arrivé qu’au retour, nous donnions un certain compte rendu de ces visites au président. En ce qui me concerne, j’ai régulièrement de ses nouvelles, parce qu’il est le fondateur de mon parti dont j’assure aujourd’hui la première responsabilité. Entre le fondateur et le premier responsable du parti, il ne peut y avoir logiquement et naturellement que des rapports de proximité. Même si géographiquement on est séparés, politiquement on a des rapports de proximité. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, je peux dire que ces rapports se déroulent de façon normale. J’ai donc régulièrement des nouvelles du président Blaise Compaoré que j’informe constamment des activités du parti qui est le sien. Dans ces conditions, nous recevons de lui également des conseils et des orientations qui nous permettent de mieux affiner notre action sur le terrain. Il n’y aura pas de parricide au CDP. Chacun est jaloux d’avoir son père ou d’avoir son père fondateur. Et ce n’est donc pas au niveau du CDP qu’on va se priver de cette jalousie. N’en déplaise à qui que ce soit.
Plusieurs fois reporté, le procès de Blaise Compaoré et celui de son dernier gouvernement a été finalement suspendu, le temps que le Conseil constitutionnel se prononce sur le recours en inconstitutionnalité introduit par les avocats de la défense. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
J’ai deux commentaires essentiellement à faire. Je ne m’appuierai pas sur des commentaires juridiques, parce que je ne suis pas juriste. Mais dans la philosophie du droit, il y a tout de même des principes essentiels sur lesquels n’importe quel esprit peut tabler. Le premier principe est qu’il faut comprendre que nous acceptions que le droit soit fondé sur la justice. Si le fondement du droit c’est la justice, cela veut dire qu’il faut faire en sorte que tout ce qui se passe dans le domaine du droit, soit juste. Et que cela soit établi sur la volonté de la recherche de la justice. Par conséquent, la vérité est le premier élément qui fait en sorte que la justice soit juste. La manifestation de la vérité est l’un des objectifs essentiels de la procédure juridique qui est utilisée pour débroussailler toute affaire judiciaire. Et cette procédure a également des éléments de principe. Ce qui suppose que la manifestation de la vérité est très importante dans tout procès qui doit se dérouler et qui doit aboutir à un jugement équitable, juste et objectif. Il se trouve, malheureusement, que dans le cas d’espèce, l’institution judiciaire qui est chargée de dire le droit, de faire manifester la vérité ou d’aboutir à une décision empreinte de justice, est en elle-même mal bâtie. Elle n’est pas bâtie selon les règles du droit. C’est là le premier problème. La Haute cour de justice n’a pas été construite sur la base du respect des règles du droit qui institue le respect fondamental et la conformité absolue de toutes les lois dérivées par rapport à la Constitution. Toutes les lois qui en découlent doivent être en concordance avec les dispositions de la Constitution.
« La mise en accusation du président Blaise Compaoré et de son ancien gouvernement par le Conseil national de Transition (CNT), a été faite dans l’irrégularité totale de la procédure législative parlementaire »
Il se trouve que la Haute cour de justice, dans son ossature législative, n’est pas en conformité avec deux dispositions de la Constitution. C’est en cela que nous pensons que la Haute cour de justice est un élément judiciaire qui a été hâtivement mis en place pour aboutir à un objectif politique et non pas à un objectif juridique. Il s’agissait de monter rapidement la Haute cour de justice pour s’en prendre à des gens le plus rapidement possible, tout en enrobant tout cela dans une logique de justice de vainqueurs sur les vaincus. C’est cela que nous déplorons. Sinon, la Haute cour de justice aurait pu tabler sur des fondements juridiques irréprochables ou dérouler son action de façon transparente pour aboutir à un jugement qui ne soit empreint d’aucune espèce de remise en cause.
Je vous rappelle pour mémoire, que la mise en accusation du président Blaise Compaoré et de son ancien gouvernement par le Conseil national de Transition (CNT), a été faite dans l’irrégularité totale de la procédure législative parlementaire. Qu’on retourne dans les archives de l’Assemblée nationale, on verra que la majorité qualifiée requise par la Constitution pour mettre en accusation, n’a pas été respectée par le CNT. Il y a donc un problème sérieux. Une majorité qualifiée reste une majorité qualifiée. C’est une disposition de la Constitution. Ce n’est pas une disposition d’une simple loi. Même si c’était une loi simple, ça reste une loi qui n’a pas été respectée. Nous avons dénoncé cela en son temps, personne ne nous a écouté parce qu’on était dans la logique que celle du plus fort est toujours la meilleure. Ensuite, il y a la composition de la Haute cour de justice. Même si ce sont les députés qui constituent son ossature majoritaire, on devrait faire en sorte que ces parlementaires puissent être choisis au regard de leur personnalité non pas seulement politique, mais aussi d’autres qualités dont l’objectivité, étant donné qu’ils doivent prononcer une sentence. Il s’agit de trouver des parlementaires qui, au-delà de leur appartenance politique, doivent être empreints d’objectivité dans le jugement. Alors que ce n’est pas le cas de certains membres de la Haute cour de justice dont le premier, le plus en vue, est son président lui-même. Le deuxième en vue, c’est Me Bénéwendé Sankara. Ces deux ont fait preuve d’esprit de revanche et d’arbitraire face à ceux qu’ils sont en train de juger. Ils ont fait des déclarations politiques qu’on peut re-citer pour les récuser par rapport à leur capacité d’être objectifs. On peut donc s’attendre à une sentence non pas judiciaire mais politique. C’est pourquoi les avocats de la défense interpellent le caractère constitutionnel de la Haute cour de justice. Ils veulent s’entourer de toutes les précautions pour que la Haute cour de justice puisse dire le droit de manière objective, même si elle a un aspect politique.
Par ailleurs, j’estime qu’aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de ce genre d’institutions judiciaires. Et ce qui est plus dangereux, c’est que, quelque part, on semble avoir déjà condamné les gens. C’est comme si on avait indexé des coupables, et on se met maintenant à les juger pour montrer qu’ils sont coupables. Les coupables connus en avance, cela ne fait pas partie du système judiciaire. Malheureusement, c’est ce dont il est question, quand je reprends les termes d’un homme de droit comme Me Kam qui dit que les membres du gouvernement doivent reconnaître leurs fautes et demander pardon au peuple. Mais, c’est de la pure et simple taxation facile. Cela ne fait pas partie du droit. Sa logique est celle-ci : j’ai renversé quelqu’un sur des bases politiques et j’estime que le droit doit le condamner de la même manière que je l’ai condamné politiquement. C’est trop facile. Malheureusement pour lui, la logique du droit et la logique de la politique ne s’épousent pas parfaitement. C’est en cela que le droit est un domaine qui s’affranchit de la politique pure et qui doit être capable de s’affranchir de la politique pure. Il ne faut pas faire d’amalgames, c’est-à-dire permettre à des hommes politiques d’aller faire du droit et mélanger les choses dans le droit ou permettre à des juristes de venir mélanger les choses dans la politique et confondre cela avec le droit. C’est cela qu’il faut éviter actuellement dans notre pays.
« Dans l’ossature des institutions de la République que nous étions en train de construire ensemble depuis pratiquement 1991, on ne pouvait pas faire l’économie d’une Haute cour de justice »
Mais vous fustigez la Haute cour de justice qui a pourtant été créée par le régime déchu….
Dans l’ossature des institutions de la République que nous étions en train de construire ensemble depuis pratiquement 1991, on ne pouvait pas faire l’économie d’une Haute cour de justice. C’est une institution républicaine qu’il fallait mettre en place, sinon on ne serait pas républicains. Un républicain, même s’il est aux affaires, doit se dire qu’il peut être jugé parce qu’il est redevable. Ce n’est pas parce qu’il est aux affaires et qu’il peut être justiciable par la suite qu’il doit étouffer les institutions qui peuvent le juger un jour. C’était notre devoir de mettre en place la Haute cour de justice, mais de lui donner un contenu conforme à la Constitution. Mais ce qui a été fait, c’est la relecture de la loi portant création, organisation et fonctionnement de la Haute cour de justice par le CNT, pour y introduire des éléments contraires à la Constitution dont l’élément qui consiste à rendre les décisions de cette juridiction sans appel. Deuxièmement, à donner une capacité de rétroactivité à la Haute cour. C’est pourquoi je dis que la Haute cour de justice que nous avons mise en place, n’était pas un cocon vide. Mais c’est en voulant l’utiliser pour régler des comptes qu’on a commis les aberrations que nous vivons aujourd’hui. C’est pourquoi je dis que ce n’est pas à un instrument de justice républicaine qu’on a affaire aujourd’hui. Mais plutôt à un instrument de règlement de comptes. C’est ce qui est déplorable. Sinon, on aurait eu une Haute cour de justice montée conformément à la Constitution, un jugement conforme aux règles et aux principes du droit, que tout le monde aurait accepté la sentence. Et si les anciens membres du gouvernement étaient reconnus devant une institution judiciaire fiable, comme coupables, personne n’aurait trouvé à redire. Mais nous récusons le fait de monter de toutes pièces, une mascarade comme celle-là, pour condamner coûte que coûte les gens pour des règlements de comptes politiques.
« Les organisateurs de la manifestation doivent avoir une responsabilité juridique beaucoup plus grande que celle du gouvernement »
Mais il reste que les familles des victimes veulent se constituer partie civile. Comment avez-vous accueilli cela ?
Je pense que c’est de leur droit. Comme le dit la Constitution, tous les Burkinabè naissent égaux en droits. J’estime donc que c’est de leur droit garanti par la Constitution que de se constituer pour défendre leur situation. A mon avis, c’est tout à fait logique. Pourvu que cela soit conforme à la loi. Mais seulement, ce n’est pas prévu par les textes. Et n’étant pas prévu par les textes, il faut encore relire la loi. Or, le problème qui se pose, c’est comment arriver à relire un texte de loi pour le conformer à une situation réelle qui existe, et faire en sorte que ledit texte de loi puisse s’appliquer à une situation antérieure. Mais si par gymnastique, on arrive à le faire, ça sera leur droit le plus absolu de se constituer. En tous les cas, ce que je répète, ce n’est pas aux victimes des événements d’octobre 2014, de dire à l’avance qui est le coupable. C’est à la justice de révéler, de façon objective, équitable, juste et transparente, qui est le coupable. Et je vous assure, si c’est fait dans cette transparence judiciaire, ce n’est pas sûr que ce soient les membres du gouvernement qui portent le chapeau. Parce que les organisateurs de la manifestation doivent avoir une responsabilité juridique beaucoup plus grande que celle du gouvernement. Les manifestations des 30 et 31 octobre 2014 ne peuvent pas être seulement jugées par un seul texte de loi. Il faudrait invoquer toutes les lois qui règlementent les manifestations et qui concernent les problèmes de débordement, les conséquences en pertes en vies humaines, les dégâts matériels. Il ne faut pas oublier non plus le code pénal qui a des dispositions sur l’organisation des manifestations sur la voie publique, ainsi que sur l’association pour détruire les biens publics, et qui règlemente aussi le soulèvement des populations contre les institutions de l’Etat. Et les juristes savent très bien que la question de la responsabilité est importante dans l’instruction judiciaire. Il ne s’agit pas de trouver son coupable, il s’agit de dire qui est le coupable en respectant la rigueur de toutes les dispositions juridiques et judiciaires.
La récente visite de la CODER à Blaise Compaoré à Abidjan a défrayé la chronique. Avec le recul, pensez-vous avoir quelque part commis des erreurs que vous auriez pu éviter ?
Dans la lutte politique, on m’a toujours enseigné qu’il y a ce que vous avez comme stratégie que vous déployez sur le terrain politique, et il y a aussi ce que vos adversaires, ou du moins ceux qui vous sont opposés, déroulent sur le même terrain. J’évite de faire des amalgames. J’évite d’endosser la perception qui n’est pas la mienne en politique. Et j’assume mes perceptions en politique. Je le dis et je le répète, la visite de la CODER à Blaise Compaoré n’est qu’une suite logique de deux autres visites qui ont été relayées par la presse et qui n’ont fait aucun remous. A savoir la visite aux deux anciens chefs d’Etat que sont Michel Kafando et Jean-Baptiste Ouédraogo. La CODER est allée voir Blaise Compaoré en tant qu’ancien chef de l’Etat. Et seulement en tant qu’ancien chef de l’Etat, dans le cadre de sa démarche pour la réconciliation. Voilà ce qui s’est passé. Les intellectuels honnêtes le savent, l’opinion honnête le sait. Maintenant, et c’est de bonne guerre, il y a ceux qui ne sont pas d’accord avec la CODER, il y a ceux qui ne sont pas d’accord avec les dirigeants de la CODER, il y a ceux qui ne sont pas d’accord avec Gilbert ou Achille ou bien Rasmané, ce sont eux qui introduisent ce genre de considérations, et qui font des commentaires à l’emporte-pièces. Il est vrai que le président Ablassé Ouédraogo, qui a communiqué sur la visite, a eu à utiliser les termes qui relèvent de sa perception de notre entretien avec Blaise Compaoré et qu’on ne peut pas les lui enlever. Il estime que lors de l’entretien, le président Compaoré a donné l’impression de quelqu’un qui a pardonné. C’est sa lecture de l’entretien. Mais ce ne sont pas des propos qui viennent du président Compaoré lui-même.
« A nous de savoir mieux communiquer, et à nous de savoir prendre les précautions pour les prochaines fois »
Loin s’en faut. Et nous avons déjà rendu compte de tout cela. C’est comme ça qu’il a perçu l’homme qui était en face de lui. Mais nous autres membres de la délégation, nous n’avons pas dit cela, c’est autre chose que nous avons dit. Nous avons dit que le président a accueilli notre démarche. Maintenant, on attrape l’élément de la sortie d’Ablassé Ouédraogo, on l’isole et puis on commence à triturer les choses parce que politiquement, ça arrange certaines personnes. Comme je l’ai dit, c’est de bonne guerre. A nous de savoir mieux communiquer, et à nous de savoir prendre les précautions pour les prochaines fois. Je le concède, mais ce qui est sûr, c’est que cette visite a tout son sens et elle a son importance au même titre que les visites que nous avons rendues aux présidents Jean-Baptiste Ouédraogo et Michel Kafando. Eventuellement, si nous en avons la possibilité, nous rendrons visite à Yacouba Isaac Zida pour avoir été également président du Faso.
Quelle appréciation faites-vous de la gestion du pouvoir actuel ?
Je vais juste reprendre quelques éléments que nous avons déjà évoqués dans le mémorandum de l’opposition. D’abord, globalement, je pense que le MPP a échoué. Du moins pour être juste envers le MPP, je dirais qu’il est en train d’échouer. L’échec, c’est moins ce qui s’est passé en une année et quelques mois que ce qui devait se passer, en moins d’une année et que le MPP avait promis, aux yeux de l’opinion, à ses militants et au peuple burkinabè. C’est de cela qu’il s’agit. Quand on a posé ses balises et qu’on n’arrive pas à atteindre ses objectifs, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même. Si en tant que parti qui compétissait aux élections de 2015, après une transition consécutive à la crise sociopolitique assez grave pour notre pays, le MPP avait eu l’humilité et la modestie de dire au peuple burkinabè, son engagement à travailler avec la dernière énergie à relever la situation du Burkina, on l’aurait jugé autrement. Mais en grande pompe, avec trompettes et tambours, campagne faisant, le MPP a dit au peuple burkinabè, et les archives sont là, qu’en l’espace de six mois, tout allait changer. Et qu’il suffisait qu’on leur donne le pouvoir. Le MPP a dit qu’avec lui, c’est l’expérience de la gestion du pouvoir que le peuple choisit. Le MPP a dit que Roch, c’est la réponse. Mais qu’est-ce que l’on constate aujourd’hui ? D’abord, en six mois, tout s’est aggravé. Ensuite, en une année, malheureusement, les choses ne sont pas mieux. Et enfin, au lieu d’être la réponse, Roch est devenu le problème (ndlr : en référence à son slogan de campagne), en tant que premier responsable du pays et un des premiers responsables du MPP. Lui-même s’arrache les cheveux. Il a lui-même des difficultés pour imprimer un certain rythme pour l’avancée du pays.
« Le PNDES, c’est beau, mais la réalité est que les Burkinabè ne s’en sortent toujours pas »
C’est dire que l’appréciation qu’on fait de la gestion du MPP, n’est pas exagérée. Ce n’est pas pour dire qu’il ne peut pas faire en une année et demie ce qu’il doit faire en cinq ans. Mais qui l’a dit ? On n’aurait pas apprécié si eux-mêmes ne l’avaient pas dit. On peut reprendre leur discours de campagne, pour voir le nombre d’emplois qu’ils ont promis de créer pour les jeunes en moins d’une année. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ce qui est même attendu de façon basique, tel que le paiement de la dette intérieure, pour permettre aux entreprises de fonctionner et permettre à l’économie de continuer à respirer, n’a pu être fait. La mobilisation des ressources pour les investissements publics traîne toujours. Le PNDES, c’est beau, mais la réalité est que les Burkinabè ne s’en sortent toujours pas. Je ne juge pas le PNDES maintenant, mais je juge ce qui permettra au PNDES de fonctionner maintenant. Puisque sans les ressources, il n’y a pas de PNDES. Ils le savaient très bien quand ils l’échafaudaient. Il ne s’agit pas de construire un moteur et de le poser ! S’il n’y a pas de carburant, personne ne bouge. C’est cette façon de faire son marketing politique qui est à l’origine du jugement que les gens font du MPP aujourd’hui. Et ajoutés à cela maintenant, les autres problèmes socioéconomiques, politiques, comme les violences électorales qui ne sont pas encore réglées. Pour des gens qui ont l’expérience de la gestion du pouvoir, je crois que ce n’est pas suffisant.
Avez-vous déjà pensé à un poulain dans la perspective de la présidentielle de 2020 ?
Non, pas du tout. Nous n’avons pas encore pensé à un poulain. Pour la présidentielle de 2020, il faut dire que c’est toute une démarche qui sera mise en œuvre pour y aller. Cette démarche n’est pas encore conçue, parce que notre priorité, c’est de remettre le parti sur de bonnes jambes pour pouvoir engager la compétition. Certainement qu’à l’issue du congrès de 2018, on aura déjà une vision plus ou moins claire sur cette question, et on pourra en reparler.
Interview réalisée par Drissa TRAORE