Six morts : quatre koglwéogo et deux jeunes de Goundi, de nombreux blessés, trois jours de veille, de tension et de courses-poursuites ; tel est le bilan des affrontements entre koglwéogo du Boulkiemdé et habitants de Tialgo et de Goundi, respectivement des villages de Ténado et de Réo (Sanguié). Retour sur ces chaudes journées débutées le jeudi 18 mai 2017.
Tialgo est situé à 05 km de Ténado. En cette journée du jeudi 18 mai, la plupart des habitants sont regroupés dans une concession où se déroulent des funérailles coutumières. Vers 10h, une vingtaine de koglwéogo, partis de Palogo, leur base à Koudougou, investissent Tialgo. Ils encerclent une concession en tirant des coups de feu. Ils informent la famille assiégée qu’ils sont venus recouvrer une amende qu’ils avaient infligée à un des siens pour vol de chèvre il y a près d’un mois. Le montant de l’amende ? 700 000 FCFA.
Le responsable de la famille est étonné que, pour un prétendu vol de chèvre, on leur réclame une telle somme. La famille ne peut payer un tel montant. Les koglwéogo se font menaçants. Dans ce méli-mélo, trois coups de feu partent. Tirés donc par ceux-ci, deux de leurs balles blessent deux des leurs et le troisième coup touche un jeune à la cuisse. Les villageois qui prenaient part aux funérailles sont naturellement alertés par tous ces coups de feu, et ils rejoignent le lieu de la tension. Informés de ce qui se passe, des gendarmes de la brigade territoriale de Ténado rallient aussi Tialgo.
L’affrontement est imminent. Les quelques gendarmes tentent de faire raisonner les deux parties. Ils récupèrent même les armes des koglwéogo afin d’éviter le pire. Vaines tentatives. Les deux camps se rentrent dedans. Il est 13h. Pour les Tialgolais, pas question de laisser les koglwéogo de Koudougou venir leur imposer leur loi. L’affrontement tourne à l’avantage des locaux.
Onze koglwéogo sont blessés. Les autres s’enfuient. Certains laissent derrière eux motos et fusils. Les blessés sont évacués au Centre médical de Ténado. Cinq d’entre eux, dont l’état est grave, sont transférés au CHR de Koudougou. Un y décède. Les koglwéogo parviennent à faire des prisonniers. La gendarmerie arrête des éléments du groupe d’autodéfense.
De nombreux blessés et deux nouveaux morts
Camouflet pour ces ‘’gardiens de la brousse’’. Dans la matinée du vendredi, des médiations tous azimuts sont entreprises par les autorités régionales et coutumières. De leur côté, les koglwéogo sonnent le rappel des différentes troupes des localités du Boulkiemdé et même d’autres provinces. Vers 17h, plus de 300 koglwéogo convergent sur Tialgo. Selon eux, c’est pour arrêter les responsables de l’agression de leurs ‘’éléments’’ et récupérer leurs prisonniers. Les forces de l’ordre, qui s’étaient renforcées aussi, prennent position sur les principales voies d’accès au village. Par des chemins dérobés, les koglwéogo contournent le dispositif et entrent dans le village.
‘’Ils se sont attaqués aux premières concessions en tirant comme la veille’’, rapporte un Tialgolais. Les policiers et les gendarmes sont impuissants. Ils ne peuvent pas faire usage de leurs armes (Lire propos du maire de Ténado). C’est des courses-poursuites : d’un côté, les ‘’envahis’’ armés de gourdins et de machettes ; de l’autre, les ‘’envahisseurs’’ armés de fusils de chasse, d’amulettes et de gri-gris.
Bilan : de nombreux blessés de part et d’autre et deux koglwéogo tués. Les rescapés sont boutés hors du village. Cette nuit du vendredi, un peu après 22h, dans leur mouvement de repli, un koglwéogo abat un jeune de Goundi (village relevant de Réo et situé sur la même nationale 14), poignarde mortellement un deuxième jeune et blesse un troisième à coups de couteau. Les habitants lui donnent la chasse et le lynchent.
Le samedi, toute la localité se positionne dans une logique de crise et surtout d’affrontement. ‘’Les koglwéogo se préparent à un troisième assaut’’, apprend-on. Certains soutiennent que de tout le pays, des koglwéogo convergeraient vers le Boulkiemdé. Les habitants de Goundi et de Ténado dressent des barricades et empêchent tout passage sur la nationale 14. Les forces de l’ordre, qui ont reçu du renfort, se positionnent aussi sur certains points stratégiques. L’arrivée du ministre de la Sécurité, Simon Compaoré, est annoncée.
Tout ça pour une chèvre volée ?
Comment un simple problème de vol présumé de chèvre peut engendrer un tel déferlement de violence ? Selon le président du Conseil villageois de développement (CVD) de Tialgo, Prosper Bamouni, le jeudi, quand ils ont été alertés par les coups de feu et les cris, ils ont accouru mais se sont retrouvés en face de koglwéogo qui leur ont intimé l’ordre de ne pas avancer. ‘’Ils ont dit qu’ils sont venus réclamer leur argent chez un certain Nabon Bamouni.La gendarmerie, le 2e adjoint au maire et le préfet de Ténado ont tenté de calmer les esprits en vain’’, poursuit le président du CVD.
Il ajoute que quand les koglwéogo ont commencé à taper sur les gens du village avec leurs armes, les officiels ont rebroussé chemin, même si les gendarmes ont réussi à retirer les armes des éléments du groupe d’autodéfense. ‘’Certains koglwéogo ont fui à pied jusqu’à Koudougou’’, explique le président du CVD.
Du côté des koglwéogo de Palogo, la version des faits est toute autre : pour leur président, Mahamadi Semdé, parle d’une affaire de 25 moutons volés par 2 jeunes de Tialgo. Selon lui, ils se sont rendus dans le village pour arrêter le complice afin de le juger à Palogo. ‘’A Tialgo, nous avons été confrontés à la résistance de la population qui a tué un des nôtres et blessé 14 autres. Nous avons appris que deux des nôtres ont été retenus par la population. C’est ainsi que nous nous sommes renforcés et y sommes repartis le vendredi pour exiger que les villageois nous rendent nos deux camarades. Ils ont refusé de le faire et nous ont attaqués, tuant encore deux de nos éléments’’, poursuit Mahamadi Semdé.
Le président des koglwéogo en veut à la gendarmerie, qu’il accuse d’avoir désarmé les koglwéogo au profit des Tialgolais. ‘’Quand nous sommes arrivés, nous sommes tombés sur un grand renfort de CRS et de gendarmes, et près de deux mille villageois. Nous n’avons pas voulu forcer le passage de peur de devoir tirer sur un agent de sécurité ou un civil. Nous avons alors décidé de rebrousser chemin. C’est alors que la population s’est jetée sur nous’’, confie Mahamadi Semdé.
‘’C’est la sécurité qui a dit aux villageois de nous attaquer’’
Alors qu’on nous a indiqué qu’il s’agit d’une amende infligée pour une chèvre volée, Ousséni Ramdé, membre du koglwéogo, parle plutôt de 25 moutons et d’une motopompe volés. Ils auraient réussi à récupérer trois moutons et, selon lui, les présumés auteurs des vols, qu’ils sont allés arrêter à Tialgo, leur auraient demandé de les libérer en promettant de rembourser le montant de l’amende qui s’élève à 700 000 FCFA comme l’aurait réclamé le propriétaire des moutons.
‘’21 jours après, le propriétaire des moutons est venu nous réclamer son dû. C’est pour recouvrer cette somme que nous nous sommes rendus à Tialgo. Sur place, les gendarmes ont récupéré nos armes avant de nous laisser à la merci de la population. Nous partons arrêter des voleurs à Tialgo et il n’y a jamais eu de problème. Ce sont les agents de sécurité qui ont dit à la population de nous attaquer’’, prétend Ousséni Ramdé. Des propos en totale contradiction avec ceux du maire de Ténado, Batiana Yoma, qui ne décolère pas contre les descentes des koglwéogo dans sa commune. (Voir encadré II). Quoi qu’il en soit, le samedi 20 mai, Goundi, Ténado et Tialgo ressemblaient à des zones de combats. Tant ils grouillaient d’hommes de tenue.
A 11h 30 précises, le ministre de la Sécurité, Simon Compaoré, est accueilli par les autorités régionales avec à leur tête le gouverneur, Alizata Dabiré. Le patron de la sécurité a salué les villageois. Il leur a exprimé sa compassion et celle du gouvernement pour la perte de leurs deux enfants. Simon Compaoré s’est incliné devant les deux corps et a assisté à leur inhumation avant d’échanger avec la population.
« Si vous ne réagissez pas, nous allons réagir à votre place »
‘’Nous sommes sur les nerfs. Monsieur le Ministre, si vous allez réagir, il faut le faire. Si vous ne réagissez pas, nous allons réagir à votre place. Nous ne pouvons plus pardonner. Nous en avons mare’’, a lancé le porte-parole des jeunes de Goundi au patron de la sécurité. Réponse de Simon Compaoré : ‘’Il faut nous laisser faire. C’est nous qui allons réagir maintenant. Nous le ferons au nom de la loi. Vous allez voir ce qui sera fait. Nous allons nous rendre à Tialgo et à Koudougou. Ensuite vous entendrez des nouvelles. Faites-nous confiance. Ça, ça ne peut pas rester impuni. Nous sommes dans une république. Nous allons prendre les mesures qui s’imposent et qui vont s’appliquer avec rigueur. Ceux qui sont à la base de ça vont en répondre. Les forces de sécurité appliqueront ce qui doit être fait dans une république’’.
Quand il quittait Goundi, on entendait toujours les pleurs des femmes après l’enterrement des deux jeunes : il s’agit de Bapio Bama, qui laisse derrière lui deux femmes et huit enfants, et de Boubié Bayala, qui laisse une femme et trois enfants. Les jeunes, les yeux rouges de colère, ont martelé qu’ils ne veulent plus voir de koglwéogo dans toute la province du Sanguié. ‘’Si nous voyons un koglwéogo ici, c’est son cadavre que les autres viendront chercher’’, assure un jeune gaillard. Il insiste pour que j’enregistre ses propos et publie sa photo afin que le ministre voie qu’il ne plaisante pas. Après Ténado et Tialgo, le ministre Simon Compaoré s’est rendu au QG des koglwéogo à Palogo. Toujours flanqué de son impressionnant dispositif de sécurité.
Quand Simon pique sa petite colère
‘’C’est une vingtaine de personnes que nous avons envoyée la première fois, et elles ne sont pas allées avec un esprit belliqueux. C’est la sécurité qui a été complice de l’attaque de nos camarades. Nous sommes repartis le vendredi pour exiger que la population nous remette nos camarades retenus. Si la sécurité n’avait pas retiré nos armes, personne des nôtres ne serait blessé encore moins tué. Nous exigeons le retour de nos gens, sinon nous savons ce que nous allons faire de leurs parents que nous avons amenés aussi’’, martèle le chef wibga des koglwéogo.
Ces propos ont plongé Simon Compaoré dans une colère noire. Cependant il a pris le soin d’écouter toutes les explications des intervenants avant de réagir (Lire encadré). On voyait qu’il contenait difficilement sa colère. Un de nos confrères souffle qu’il ne savait pas Simon capable d’un tel calme. Quand il a pris la parole, il s’est insurgé contre le fait que les koglwéogo portent et exhibent fièrement leurs armes et leurs munitions devant lui, ministre de la Sécurité, et devant les forces républicaines.
‘’C’est une défiance à l’autorité et à la loi. Si on vous dit d’amener les papiers de ces armes, vous ne pourrez pas les sortir. Même moi Simon, si je dois porter une arme, je dois avoir ses papiers’’, fait remarquer celui qui avait été surnommé chef suprême des koglwéogo. Notez que Bassolma Bazié, secrétaire général de la CGT-B, ressortissant du Sanguié, est venu s’entretenir avec les différentes parties. Il a indiqué être venu avec une délégation afin de s’imprégner de la situation et voir comment il peut apporter sa contribution à l’apaisement des tensions.
Cyrille Zoma