Fondé il y a 54 ans par des Français, le monastère bénédictin de Koubri a su allier héritage français et tradition locale, pour vivre une expérience de prière, de travail et d’accueil.
Il faut s’échapper de Ouagadougou par le sud. Parcourir une trentaine de kilomètres et s’arrêter à Koubri, petite ville connue pour ses barrages, ses fromages et son monastère. Le domaine bénédictin, 230 hectares, est une institution, avec d’un côté les moines de Saint-Benoît et de l’autre les moniales de Notre-Dame. Entre les arbres, des pistes de terre inondées les relient.
En ce jour de la mi-avril, une cloche sonne l’office de sexte. Sœur Henriette, 66 ans, regarde sa montre. « C’est bientôt l’heure. Ça, c’est l’héritage de la France : nous prions aux mêmes horaires que dans les monastères français », s’exclame-t-elle, souriante. Un monastère fondé par cinq moniales de Valognes
Marie-Henriette Kalmogo a reçu une éducation catholique à Ouagadougou, avant de rejoindre Paris, grâce à une bourse, pour terminer ses études. « J’ai travaillé un an à la Société générale. Comme j’aspirais déjà à la vie monastique, j’en ai profité pour aller visiter l’abbaye de Valognes. Leur accueil a été formidable. Je me suis sentie à l’aise chez les bénédictines. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. »
Cette abbaye bénédictine de la Manche avait déjà répondu à l’appel de l’archevêque de Ouagadougou d’une présence monastique dans son diocèse, en fondant, dès 1963, le monastère des sœurs de Koubri. Marie-Henriette l’avait visité dans sa jeunesse et son passage à l’abbaye de Valognes conforte sa vocation : elle retourne au Burkina Faso et entre au monastère de Koubri en 1973.
La fondation du monastère de Koubri par les cinq moniales de Valognes n’a pas été facile. « Elles n’ont pas été encouragées, même dans le milieu religieux. On se demandait ce que venaient faire ces cinq Françaises dans la savane ! Mais heureusement, elles sont arrivées dans la foi », souligne Sœur Henriette.
Aujourd’hui, elle estime que le monastère ressemble toujours à ses fondatrices françaises, tout en ayant su s’enrichir des traditions locales. « À Koubri, on a fait quelque chose de simple. Les cinq fondatrices ne voulaient pas tout copier de la France, elles tenaient compte de nos idées. Notre église, par exemple, ne ressemble pas à un édifice français. »
Un héritage intellectuel
Comme toutes les sœurs de Koubri, Sœur Henriette voue une profonde reconnaissance à ces pionnières, dont les corps reposent aujourd’hui dans l’une des cours du monastère. « Ce sont nos fondatrices vénérées. Elles nous ont accueillies telles que nous sommes, explique Sœur Henriette, en se signant. Elles nous ont enseigné la vie monastique bénédictine, une lecture ouverte des textes, le solfège… Deux des fondatrices avaient appris la langue locale et nous chantions en mooré avec elles. Il y avait des échanges des deux côtés. Jésus est notre sauveur, l’Évangile seul doit nous mener, mais il faut aussi tenir compte de notre tradition africaine. »
Lorsque Sœur Henriette a prononcé ses vœux, quatre sœurs burkinabées du monastère revenaient de France. « Elles avaient été envoyées par nos fondatrices visiter des monastères pour voir ce qu’était la vie monastique, nos racines. Ça avait été très critiqué à l’époque, mais la démarche a porté ses fruits. C’était un exemple, un enrichissement pour nous, les Voltaïques. On a reçu l’Évangile, la culture et la langue. Ce n’est pas une acculturation, c’est une ouverture d’esprit. Ça nous a appris à penser différemment tout en restant nous-mêmes. »
Sœur Henriette, qui a toujours eu un goût prononcé pour les sciences sociales, s’apprête à repartir en formation. Cette semaine, un professeur de l’université de Ouagadougou vient dispenser aux sœurs des cours de philosophie. « C’est de la formation continue pour que l’on ne s’en tienne pas à ce qu’on reçoit pendant le noviciat. On parle d’anthropologie, d’ethnologie et même de la mondialisation ! »
Cet héritage intellectuel est aussi celui des missionnaires d’Afrique, appelés Pères Blancs en raison de la couleur de leur robe. Au début du XXe siècle, l’Église catholique avait pour vocation d’éduquer les populations. « Les missionnaires se démarquaient souvent des colons, précise Sœur Henriette. Les Pères Blancs ont beaucoup contribué ici, notamment dans les œuvres sociales et dans la production des élites. Nous avons poursuivi cela, en construisant un dispensaire pour la population locale. »
« L’Église du Burkina Faso est vivante »
À quelques centaines de mètres de là, chez les moines, le Frère Jean-Christophe Yameogo, 42 ans, fait le tour de la ferme laitière rattachée au monastère Saint-Benoît. Le cheptel compte une soixantaine de vaches, croisement entre des races du Niger et des races françaises. Le gagne-pain des moines, dont le lait est commercialisé à Koubri et à Ouagadougou.
« Nous devons beaucoup de nos réalisations à l’aide humaine, technique et financière de la France. La salle de pasteurisation par exemple, mais aussi la construction d’une centaine de barrages au Burkina ou d’un collège, plus récemment, en plus de notre école. »
Avec les œuvres sociales pour la population et l’accueil des hôtes pour une retraite spirituelle, les frères cultivent également leur héritage religieux. « Depuis la fondation, notre formation nous permet de faire une expérience personnelle avec Jésus-Christ. Chaque diocèse ou presque a son sanctuaire marial. Certains partent en pèlerinage à Lourdes, Fatima ou Yamoussoukro. »
Entré au monastère en 2000, Frère Jean-Christophe se souvient avec émotion avoir côtoyé le père François de Gaulle, neveu du général de Gaulle. « C’est ce Père Blanc qui m’a baptisé, précise-t-il. Nombre d’entre nous ont été formés en France. Ici, ce sont les fondateurs qui ont alphabétisé les premiers postulants et évangélisé les premiers chrétiens de Koubri. Les Français ont une vocation solide, c’est ce qu’ils nous ont transmis. À son tour, l’Église du Burkina Faso est vivante et évangélisatrice. Nous continuons la mission que nous avons reçue. »
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