La 105e session du Conseil des ministres des pays d’Afrique subsaharienne, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) s’est tenue du 2 au 4 mai 2017 à Bruxelles en Belgique. Les soixante-dix-neuf ambassadeurs et ministres qui prenaient part aux discussions se sont félicités du choix du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, comme porte-étendard des pays africains producteurs de coton.
Cette 105e session du Conseil des ministres a surtout planché sur l’avenir des relations entre les ACP et l’Union européenne (UE), après l’expiration des Accords de Cotonou en 2020. En juin 1975, les pays d’Afrique subsaharienne, des Caraïbes et du Pacifique ont conclu un accord de partenariat avec ce qui était encore la Communauté économique européenne (CEE) aujourd’hui l’Union européenne. Cet accord Nord-Sud qui s’est décliné en plusieurs phases pour devenir ce qu’on appelle depuis, Accord de Cotonou, porte sur les questions politique, de coopération économique et commerciale mais aussi sur le financement du développement via le Fonds européen de développement (FED). En 2020, un nouveau partenariat doit être noué par les deux parties. Mais avant d’établir ce nouveau partenariat, les ministres ACP lors de leur session à Bruxelles, ont demandé qu’un bilan sans complaisance soit dressé sur l’impact réel de cet accord sur le développement des ACP. Mais d’ores et déjà, ils ont estimé que les nouvelles négociations post-2020 qui doivent débuter en 2018 ne doivent pas se faire au détriment de l’unité du groupe ACP. Les ministres sont assez catégoriques à cet effet : il ne sera pas question de faire des négociations post-2020 par région comme veulent le faire leurs partenaires européens. Les ACP veulent engager ces futures négociations en bloc, en une seule entité, une et indivisible. Ils souhaitent aussi conclure un accord juridiquement contraignant. Les ministres ont aussi posé comme préalables, que les acquis de l’Accord de Cotonou soient préservés et ont par ailleurs affirmé la volonté des Etats ACP de dépasser le cadre européen pour conclure des accords de partenariat avec d’autres acteurs du globe y compris le Royaume Uni qui va définitivement se retirer de l’UE, suite au vote du Brexit.
L’Accord de Cotonou qui définit les relations entre les 79 pays ACP et l’Europe des 28, prévoit un accès préférentiel du marché européen aux produits dits de base produits par les ACP comme le coton, la banane, le sucre et désormais la noix de cajou. Ces produits qui sont souvent les premières sources de devises pour certains de ces pays du Sud sont pourtant victimes des subventions (directes et/ou indirectes) accordées par certains pays à leurs producteurs. Ces subventions distordent le marché international, réduisant ainsi considérablement les gains des pays ACP.
En ce qui concerne l’UE notamment, les produits de base des ACP ont un accès à tarif préférentiel sur le marché européen en vertu de l’Accord de Cotonou. Mais, les ministres ont relevé que l’UE a commencé à conclure depuis peu, des Accords de libre- échange (ALE) bilatéraux avec d’autres Etats du monde, octroyant à ces derniers, les mêmes avantages tarifaires accordés aux ACP. Cette situation a un impact sur les produits de base des ACP qui partagent désormais le marché européen avec les nouveaux venus. Il faudrait, d’après les ministres, que l’UE fasse preuve de prudence dans les négociations d’ALE en prenant en compte leur impact sur les fournisseurs ACP.
Concernant par exemple la banane dont les Caraïbes, le Pacifique ou des pays africains comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun sont de gros exportateurs dans le marché européen, les ACP ont relevé que les Mesures d’accompagnement (MAB) promises tardent à se concrétiser. Un programme d’aide mis en place par l’UE arrive même à expiration en 2018, alors que certains pays n’en ont même pas bénéficié. Les ACP souhaitent donc que l’UE apporte son appui au développement d’une chaîne de valeur dans les pays producteurs de banane et surtout qu’elle respecte ses engagements de ne pas abaisser les taux tarifaires en-dessous du seuil de 75 euros par tonne applicable à ses nouveaux partenaires avec lesquels elle conclut des ALE.
Les ACP souhaitent que le sucre, autre produit de base des ACP, soit considéré comme un produit «sensible» et que son importation des nouveaux partenaires de l’UE soient subordonnées à un droit de douane minimum de 98euros la tonne. D’ailleurs, les pays ACP ont réitéré leur vive préoccupation sur les incertitudes liées à l’expiration des quotas de production de sucre au sein de l’UE qui arrive le 30 septembre 2017 et demandent instamment un dialogue en vue d’identifier les mesures correctives à prendre afin d’atténuer les répercussions négatives qui en découleront.
Sur l’autre produit de base notamment le coton dont le Burkina Faso est l’incontestable producteur leader au sein des ACP, les ministres se sont félicités de l’engagement pris par le président Roch Marc Christian Kaboré de plaider en faveur du développement de ce secteur en Afrique ainsi que le lancement d’un nouveau programme dit «Route du coton», qui vise à renforcer les capacités de production, de transformation et d’exportation ainsi que de création de la valeur ajoutée et des emplois durables. Les ambassadeurs des pays ACP ont d’ailleurs été chargés par les ministres, à réfléchir pour un appui au secteur coton dans le cadre du 11è Fonds européen de développement (FED).
Quant à la noix de cajou dont la Côte d’Ivoire se présente de plus en plus comme un producteur majeur, les ministres ACP ont plaidé pour la mise en place d’une structure appropriée pour gérer ce produit de base.
Accéder au marché même après le Brexit
Les ACP redoutent un rétrécissement du marché européen après le Brexit et demandent à l’Europe des 27, de leur apporter un appui pour faire en sorte que l’accès préférentiel en vigueur au marché britannique soit prolongé. Ils demandent à l’UE d’aider les producteurs ACP qui seront les plus durement touchés par le Brexit à trouver d’autres débouchés au sein de l’Europe des 27, y compris, le cas échéant; dans les Pays et territoires d’outre-mer (PTOM) et les régions ultrapériphériques de l’UE où les produits de base ACP ne sont pas commercialisables. Ils demandent par ailleurs à l’UE de prendre des mesures réglementaires afin de réduire au minimum les répercussions des chaînes d’approvisionnement des produits ACP destinés à l’Europe des 27, à travers le Royaume-Uni, et celles destinées au Royaume-Uni via l’Europe des 27.
Sur le plan stratégique, le groupe ACP veut surtout opérer des changements stratégiques et politiques et une transformation organisationnelle afin d’être un acteur efficace sur la scène internationale au 21e siècle. Cette réinvention et ce repositionnement devrait permettre aux ACP de devenir un acteur influent de la gouvernance économique et politique au niveau mondial. C’est cela d’ailleurs, ont affirmé les ministres, qui devraient amener les ACP à élargir leur spectre relationnel en établissant des contacts et des relations avec d’autres Etats et groupes d’Etats extérieurs à l’UE.
A cet effet, alors que l’UE a signé ou tente de signer des Accords de partenariat économique (APE) avec les différentes régions géographiques qui composent les ACP, les ministres ont relevé qu’un grand nombre d’Etats ACP restent en dehors du cadre des APE. Ces accords, ont-ils noté, ont engendré des «frictions» au niveau régional, qui risquent de compromettre les processus d’intégration régionale, en raison de la coexistence de différents régimes commerciaux dans les régions ACP. En effet, dans les différentes régions, les pays dits à économie intermédiaires ont déjà signé les APE et les mettent en œuvre tandis que les PMA (pays moins avancés) n’ont souvent même pas commencé les discussions. Le cas de l’Afrique centrale est symptomatique. Alors que le Cameroun a signé un accord intermédiaire qu’il a commencé à appliquer, l’UE a unilatéralement mis fin aux négociations avec les autres Etats de la zone CEMAC provoquant leur courroux.
D’ailleurs, en dehors de la zone CARIFORUM (qui regroupe les pays des Caraïbes) aucune région n’a conclu des APE. Et même dans cette zone, tous, comme Haïti, n’ont pas signé d’APE avec l’UE.
En Afrique de l’Ouest, la Gambie, la Mauritanie et le Nigeria n’ont pas signé les APE. Mais le nouveau président gambien, Adama Barrow, a promis de franchir le pas.
Romaric Ollo HIEN
Ambassade du Burkina Faso à Bruxelles