La France commémore, ce 10 mai, la «Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions». Une journée institutionnalisée depuis 2006, qui parle et qui devrait fortement questionner l’Afrique…
Quand on parle de l’Afrique et notamment de son retard en matière de développement, il est presque toujours question de son passé douloureux, marqué par l’esclavage, la traite négrière, la colonisation… Dans le documentaire Routes de l’esclave: une vision globale produit par l’Unesco, les réalisateurs, Sheila Walker et Georges Collinet, évoquent les répercussions de la traite négrière sur le continent. Il est ainsi admis que pendant des siècles «l’Europe et une partie des Amériques s’enrichirent considérablement grâce à l’esclavage», tout en détruisant, dans le même temps, «les sociétés, économies et cultures africaines». Toutes choses qui amènent à conclure que… «l’esclavage fut à l’origine du sous-développement de l’Afrique».
On se rappelle en effet que cette honteuse saignée humaine conduisit, entre le 15e et le 19e siècle, dix à douze millions d’esclaves africains en Amérique au travers de cet ignoble «commerce triangulaire» entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Aujourd’hui encore, il est «très difficile d’évaluer avec précision l’importance de la ponction démographique opérée sur les trois cents années de traite intensive (de 1550 à 1850)». En initiant cette journée, qui permet entre autres de mener une «réflexion civique sur le respect de la dignité humaine et la notion de crime contre l’humanité», la France reconnaît sa responsabilité morale dans ce drame africain. Et si la date du 10 mai — choisie en référence au 10 mai 2001, «jour de l’adoption en dernière lecture par le Sénat de la loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité (loi N°2001-434 du 21 mai 2001)» — ne fait pas l’unanimité, elle a au moins le mérite d’institutionnaliser l’indispensable devoir de mémoire envers un continent spolié, en son temps, de ses forces vives. Mais aussi de témoigner pour aujourd’hui et pour demain.
Car on aurait tort de penser que l’esclavage a disparu de la surface de la terre. On note toujours ci et là quelques survivances sous diverses formes. Sans compter qu’il n’y ait jusque-là que la France à avoir fait un acte de contrition, ou tout au moins à satisfaire à ce devoir de mémoire. Parallèlement, la lutte pour la reconnaissance du crime que constitue l’acte d’esclavage s’est souvent embrouillée avec des demandes de réparations pécuniaires, cultivant le champ d’une… «instrumentalisation à des fins politiques, mais aussi économiques, financières».
C’est ce qu’explique l’historien et chercheur sénégalais Abdarahmane Ngaïdé, lorsqu’il note avec justesse, dans une interview accordée à Le Point Afrique, que «l’esclavage et la traite négrière sont devenus un objet de débat, captés par certains intellectuels et quelques groupes de pression alors qu’ils auraient dû rester un objet d’étude historique, dont il aurait fallu transmettre, fidèlement et exhaustivement, la connaissance, la mémoire». Aujourd’hui, il faut incontestablement vaincre «l’esclavage mental, psychologique (qui) continue, lui, de faire florès», notamment à travers l’enseignement depuis la base, mais aussi par le biais de journées comme celle du 10-Mai, dont la vocation est avant tout de réhabiliter la vérité et la mémoire.
Mais au-delà de cette journée française du souvenir, et/ou en lien avec elle, au-delà des initiatives touristiques, que font concrètement les Africains, sur leur continent, pour frapper les consciences sur ce douloureux passé, non pas pour qu’ils restent eux-mêmes engoncés dans ce passé, mais bien pour qu’ils ne l’oublient pas afin de l’assumer et de s’en émanciper? Comment comprendre que des Africains subissent encore, dans certains pays d’Afrique, des mesures coercitives, dégradantes et inhumaines qui n’ont rien à envier à l’esclavage de nos ancêtres, et qui débouchent bien des fois sur des rapatriements sauvages?
Il y a sans doute matière à réflexion pour tous, en ce 10-Mai qui invite, hors du seul cadre de l’Hexagone et de ses départements d’Outre-mer, à marquer une halte pédagogique et introspective sur l’esclavage, la traite négrière et leurs abolitions.