Ouagadougou - La déception s'impose comme le sentiment dominant au Burkina Faso deux ans et demi après le renversement du président Blaise Compaoré, dont le procès par contumace pour la répression des manifestations qui ont entraîné sa chute s'ouvre jeudi à Ouagadougou, la capitale du pays.
Bien des espoirs étaient pourtant nés lorsque qu'en octobre 2014, les insurgés avaient envahi le parlement, chassant des députés qui s'apprêtaient à voter une modification de la Constitution pour autoriser Compaoré à prolonger son règne déjà vieux de 27 ans.
"Ce procès nous appartient et c'est une déception qu'il (Compaoré) ne soit pas ici", admet Marcel Tankoano qui dirige le mouvement de défense des droits civiques M21 (mouvement du 21 avril).
Comme nombre de ses compatriotes, Tankoano est fier du rôle qu'il a joué dans la chute de Compaoré, l'une des rares victoires populaires en Afrique contre un dirigeant déterminé à se maintenir en place illégalement.
Lors de ce procès, une trentaine de ministres seront poursuivis pour meurtres, étant accusés d'avoir autorisé le recours à la force létale contre les manifestants désarmés.
Blaise Compaoré se trouve en exil en Côte d'Ivoire, pays frontalier du Burkina, où il a trouvé refuge lorsque les manifestations populaires ont pris de l'ampleur.
Il a depuis acquis la nationalité ivoirienne et les autorités installées dans la capitale économique Abidjan lui témoignent leur soutien en refusant son extradition.
Tourner la page de l'ère Compaoré est d'autant plus difficile que certains de ses anciens amis sont encore au pouvoir, à commencer par l'actuel président Roch Marc Kaboré. Cette situation entretient le doute sur la volonté du régime à vraiment faire la lumière sur les crimes du passé.
Le vice-président de l'Assemblée nationale, Ouesseni Tamboura, écarte les critiques et affirme que le procès par contumace sera "une étape importante vers la cohésion" nationale. Beaucoup restent sceptiques.
"C'est la même clique qui était au pouvoir avant et ils ne vont pas nous faciliter la vie", estime Tiemtore Issa, marchand de vêtements dans les rues de Ouagadougou.
Protégé de l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi tué lors du printemps arabe, Blaise Compaoré s'était attiré les critiques de la communauté internationale pour son soutien aux rebelles lors des guerres civiles au Libéria et en Sierra Leone.
Bien que contraint à l'exil, l'ancien dirigeant continue à disposer de puissants relais dans son pays, tel son ancien chef du renseignement qui a tenté un coup d'Etat en 2015 ou via son parti politique arrivé en troisième position des législatives l'an passé.
L'enquête ouverte sur la mort de l'ancien président Thomas Sankara, tué lors du putsch qui a conduit Compaoré au pouvoir en 1987, doit en principe aussi déboucher sur un procès.
"Les nouveaux dirigeants entendent recourir à la justice lorsque cela sert leurs intérêts mais ils n'ont pas l'intention de se saborder", note Cynthia Ohayon, analyste pour l'Afrique de l'Ouest au sein de l'organisation International Crisis Group.
"Ici, les choses sont 'mouta mouta'", résume Tankoano, utilisant une expression de la langue mossie qui signifie "à l'arrêt".
(Pierre Sérisier pour le service français)