Face à la recrudescence des actes terroristes, imputés le plus souvent, à tort ou à raison, à la religion musulmane, le Cheikh Abdoul Hamid Zoungrana s’est senti obligé de donner sa lecture du phénomène. Ce guide spirituel nous a accordé une interview dans la matinée du 15 avril 2017 alors qu’il préparait un prêche dans ce sens dans la nuit au quartier Bonheur ville. Au-delà du thème central, le Cheikh s’est également prononcé, entre autres, sur le sens réel du djihad, la cohabitation entre musulmans et non musulmans telle que prônée par l’islam et sur la solution pour une paix durable dans le monde en général et au Burkina Faso en particulier.
Au cours de l’année écoulée, le Burkina Faso a connu plusieurs attaques terroristes. C’est aussi un phénomène planétaire comme vous le savez et le plus souvent ses auteurs brandissent l’islam pour justifier leurs actes. Qu’en dites-vous ?
L’islam nous enseigne la paix. Il nous interdit d’opprimer qui que ce soit. Si ces des gens tuent des innocents, ce sont des pratiques, des comportements individuels qu’ils veulent intégrer dans la religion musulmane et ce sont des attitudes qui n’ont jamais été recommandées. Selon des «hadiths»1 authentiques du prophète Mahomet (paix et salut sur lui), le musulman doit aider son prochain oppresseur et celui qui est opprimé. Cela veut dire autrement qu’il doit sensibiliser le premier à abandonner ses agissements et par ricochet, il protège le second de l’oppression. Les terroristes tuent des gens qu’ils ne connaissent pas, nul n’est épargné et ce qui est désolant ce sont des innocents.
Mais au temps du prophète il y avait le djihad, bon nombre de personnes estiment que l’islam s’est propagé par la violence, des gens auraient été attaqués et contraints à épouser la religion. Qu’est-ce que le djihad alors ?
Djihad en arabe veut dire effort. Il a plusieurs dimensions : faire des efforts pour réaliser un projet, des efforts pour faire le bien, c’est-à-dire venir en aide à des orphelins, secourir un malade qui n’a pas de moyens financiers pour se soigner, c’est faire des efforts pour nourrir sa famille, ses géniteurs, etc. Je sais que vous faites allusion à la guerre sainte comme dans l’imaginaire populaire, on peut faire effectivement des efforts pour défendre la religion si elle est menacée, et le prophète a fait cette forme de djihad qui peut être teintée de violence. Mais la condition première, c’est la légitime défense, ce n’est pas ce qui se fait de nos jours où des gens se font exploser avec des innocents. Ces personnes avant de passer à l’acte disent le plus souvent «Allah Akbar ! »2, c’est en langue arabe et la personne qui le dit n’est pas forcément un musulman ou une musulmane. De nos jours, il y a toujours des Arabes qui ne sont pas des musulmans ni des catholiques, il y a des animistes parmi eux bien qu’ils ne soient pas nombreux. Ce que nous voyons de nos, jours c’est le fait d’individus égarés par Satan.
Récemment, dans la région du Sahel Burkina, il y a des individus qui ont sommé des enseignants d’abandonner l’éduction classique, le français au profit de l’arabe, pour certainement leur faire embrasser l’islam. Quel commentaire en faites-vous ?
Ça ne se décrète pas. Il n’y a pas de contrainte en islam. Le prophète (paix et salut sur lui) lui-même a envoyé ses compagnons à travers le monde pour qu’ils apprennent d’autres langues. La langue n’a pas de rapport avec la religion. Il y a des gens qui ne connaissent rien à l’arabe mais avec leur français, ils sont de fervents défenseurs de la religion musulmane et s’investissent avec tout ce qu’ils ont pour que l’islam rayonne. Ces personnes dont vous parlez veulent imposer leur point de vue et pas plus. Le Coran est en arabe parce que Dieu l’a envoyé à un Arabe. Les enseignements que Dieu a envoyés à Moïse ou à Jésus n’étaient pas en arabe. Pourtant ce sont des prophètes et le bon musulman les reconnait tous, sinon il ne l’est pas.
Et qu’en est-il de la cohabitation entre musulmans et non musulmans ?
Selon l’islam, les rapports entre musulmans et non musulmans doivent être empreints de civilité, d’humanisme, etc. Ce n’est pas parce que l’autre n’est pas de ma religion que je ne dois pas lui venir en aide. Le bienfait observé à l’endroit de n’importe quel être humain est rétribué. Par exemple, le prophète Mahomet fréquentait une famille juive, et ayant appris la maladie d’un enfant issu de cette famille, il y est allé uniquement pour s’enquérir de son état de santé. L’enfant agonisait, et le prophète lui a demandé de se convertir à l’islam. Le mourant a regardé ses parents et, après avoir obtenu leur aval, a dit : «Je suis un enfant, je suis juif et si le prophète de l’islam s’est déplacé pour me visiter, je suis musulman à compter de cet instant». Après l’avoir dit, il a rendu l’âme, mais on doit retenir que c’est le comportement du prophète qui a réussi à le convertir. Cependant, s’il était de son côté à les dénigrer ou à proférer des insultes, des menaces, ça n’aurait rien donné.
Un autre exemple : même le bienfait ou le mauvais traitement d’un animal sont rétribués. Il y a des hadiths authentiques du prophète qui enseignent en substance qu’une prostituée est descendue dans un puits, a enlevé de l’eau avec sa babouche pour abreuver un chien. Il y a aussi une pieuse qui faisait ses cinq prières quotidiennes et celles nocturnes, elle jeûnait et faisait beaucoup d’aumône avec ses richesses. Mais sous le coup de la colère, elle a enfermé un chat jusqu’à ce que mort s’ensuive parce que l’animal a mis ses affaires sens dessus dessous. La première a été prédestinée au paradis tandis que la seconde connaitra l’enfer. Si uniquement à travers des animaux, la sentence se présente, ainsi qu’en sera-t-il si on tue son prochain impunément ?
Face à cette montée du terrorisme, que faire pour consolider la paix au Burkina Faso et dans le monde?
Je pense que les guides spirituels musulmans doivent se réunir et faire en sorte que, dans nos prêches, lors des prières, nous répandions des messages de paix, sensibilisions à la tolérance religieuse, à la patience, à l’amour du prochain qui qu’il soit parce que Dieu pouvait faire de nous une seule communauté. Il faut que nous comprenions davantage la religion. Dans nos paroles, on parle de paix, mais les actes posés sont tout autre. Comment vouloir vivre en symbiose, dans la paix en s’insultant, en se calomniant, en manquant de respect aux ainés ?
Ceux qui dirigent, c’est-à-dire les autorités, doivent être justes et respectueux envers ceux qu’ils gouvernent. Les gouvernés aussi doivent respect aux autorités car c’est Dieu qui les a hissés à ce niveau et elle le mérite. En cas de mésentente, il faut toujours s’assoir pour discuter et chercher des solutions. Ce sont ces messages que nous nous apprêtons à porter à des fidèles musulmans et musulmanes qui viendront de l’intérieur du Burkina et de pays voisins.
Aboubacar Dermé