Les Kogléwéogo de certaines localités de la province du Boulkiemdé étaient en ébullition les mardi 18 et mercredi 19 avril 2017. La raison : une descente punitive projetée sur la commune de Kindi (50Km de Koudougou) et le procès d’une dizaine de présumés délinquants. Même si, au dernier moment, les esprits se sont calmés du côté de Kindi, évitant ainsi un affrontement entre ces groupes d’autodéfense et la population, du côté de Palogo (Koudougou, 6Km du centre-ville), de jeunes voleurs ont passé de sales quarts d’heure.
Le lundi 17 avril dans la nuit, nous avons, ainsi que bien d’autres noctambules, croisé des Kogléwéogo sur certaines artères de la ville de Koudougou. En groupes de deux ou quatre, ils étaient juchés sur leurs JC Super, fusils de chasse portés bien en évidence. Ce n’est que le lendemain mercredi que nous apprendrons que ces éléments d’auto-défense devraient rallier Palogo où est installée une base de Kogléwéogo, puis converger sur Kindi pour ce qui s’apparente à une opération punitive contre des jeunes qui auraient molesté un émissaire des Kogléwéogo. ‘’Notre descente sur Kindi fait suite au vol de 35 000 F par un jeune à Kindi. Le propriétaire de l’argent s’en est plaint à notre point focal de Kindi, et celui-ci en a informé les Kogléwéogo de Nandiala’’, explique le président Kogléwéogo de Palogo, Mahamadi Semdé. Le présumé voleur a été arrêté par les Kogléwéogo de Nandiala (commune située à 20Km de Kindi). Mais le chef de Zamsé aurait intercédé auprès des ‘’protecteurs de la brousse’’ afin qu’on libère le jeune. Promettant de régler le problème à l’amiable. ‘’Par respect pour la chefferie, les Kogléwéogo ont libéré le jeune. C’est après cela, que les jeunes de Kindi ont intercepté notre point focal à Gouim (village de Kindi), l’ont battu, l’ont blessé, avant de le remettre à la gendarmerie de Kindi. Quand nous en avons été informés, nous avons alerté les Koglewéogo des localités environnantes. Nous avons rassemblé plus de 1 000 Kogléwéogo qui ont convergé le mardi vers Kindi. Notre objectif c’était de nous entretenir avec la chefferie de Kindi et la gendarmerie afin de trouver des solutions au problème.
C’est après avoir échangé avec les autorités coutumières et les responsables de la gendarmerie que nous avons décidé de rebrousser chemin. Même si dans nos rangs, de nombreux camarades étaient pour qu’on investisse Kindi et règle le compte aux agresseurs de notre point focal’’, explique Mahamadi Semdé. ‘’Nous n’avons aucun problème avec les populations de Kindi. Tout ce que nous voulons ce sont les trois qui ont organisé l’attaque de notre camarade et le voleur. Et tôt ou tard, ils tomberont entre nos mains’’, martèle-t-il.
Eviter toute récupération politique
Une source jointe à Kindi a précisé que l’annonce de la descente des Kogléwéogo dans la commune a créé une vive panique. Selon d’autres personnes jointes sur place, des habitants auraient même quitté la commune de peur d’un affrontement. Notre source confirme que ce sont les Kogléwéogo de Nandiala qui investissent chaque fois leur localité pour arrêter de prétendus voleurs. ‘’Les gens ont estimé que c’en était trop. C’est ce qui a poussé les Kindilais à afficher leur rejet des Kogléwéogo’’, rapporte notre interlocuteur. Ça serait dans cette dynamique de rejet que le point focal aurait été battu.
‘’Les éléments des Kogléwéogo sont arrivés dans la soirée du mardi 18 avril à Nandiala. Ils sont même arrivés jusqu’à l’entrée de Kindi. Ils se sont entretenus avec le chef traditionnel et un représentant du chef de terre de Kindi, avant de rebrousser chemin. Ils voulaient arrêter le Kombi-naaba (chef des jeunes), mais ils n’ont pu le faire’’, précise notre source à Kindi. Bien que voyant des manœuvres politiciennes autour de tout ce remue-ménage, notre interlocuteur espère que ce différend sera résolu au plus vite afin d’éviter toute récupération, surtout à la veille des élections complémentaires auxquelles Kindi prend part.
Revenu à Koudougou en fin de matinée du mercredi 19 avril, les Kogléwéogo de Palogo n’auront pas de temps de repos. Car c’est jour de marché et surtout c’est jour de procès. A la barre, une bonne dizaine de jeunes dont l’âge varie entre 18 et 20 ans. Nous y arrivons à 16 heures. Mais sur le trajet Koudougou-Palogo, des femmes, des hommes et des jeunes convergent à Palogo pour suivre ce ‘’procès’’ labélisé Kogléwéogo.
Sur place, une foule immense entoure la base des Kogléwéogo. Leurs responsables nous invitent à prendre place sur un banc. ‘’C’est bien que vous soyez présent. Vous verrez que nous ne sommes pas des barbares. Quand nous arrêtons quelqu’un, c’est que nous nous sommes assurés de sa culpabilité. La punition que nous lui infligeons vise à le faire avouer publiquement son délit et à avouer tous les délits antérieurs qu’il aurait commis. Nous frappons le dos avec de fines branchettes. C’est très douloureux, mais ça ne peut pas causer de lésion interne ou fracturer un os’’, nous explique, professionnellement, Rasmané Semdé, le ‘’juge’’ des Kogléwéogo. Une sorte de débriefing avant l’ouverture du procès public.
Quelques coups et les aveux fusent immédiatement
Tout est bien organisé et chaque membre à un rôle bien précis dans le déroulement du procès. Un à un, les jeunes sont amenés au milieu de l’espace qui fait office de tribunal. Ils sont attachés à des piquets de bois solidement plantés au sol. Mains et pieds liés et immobilisés par des cordes en nylon dans une technique d’attache propre aux Kogléwéogo, les jeunes sont fouettés par de fines fouets débarrassés de leurs feuilles et préalablement chauffés au feu. La procédure est bien réglée : le chef Wibga (épervier ou chasseur), d’un signe de la main, indique que le procès peut commencer. Le juge se place devant l’accusé. Un autre homme se tient à côté avec un récipient contenant du piment pilé et dilué dans de l’eau. Deux autres passent leurs fouets dans les flammes, attendant le signal. Un coup de sifflet strident est donné par un autre agent. C’est le signal. Les deux hommes aux fouets administrent des coups vifs et secs sur le dos du supplicié qui pousse des hurlements effroyables. Les centaines de curieux amassés tout autour ne perdent rien de la scène.
Des rires et des quolibets accompagnent les cris de détresse de l’inculpé. Quinze secondes à peine et un autre coup de sifflet. Les coups s’arrêtent. Le juge peut alors poser ses questions. Pendant que l’homme au récipient enduit le dos de l’infortuné de mixture à base de piment. Encore des cris de douleur. Naturellement, les aveux fusent immédiatement. Une deuxième séance de coups est administrée pour faire avouer d’éventuels délits antérieurs et enfin une troisième séance, un peu plus longue, pour la correction et enlever à l’accusé toute envie de récidive. Sitôt le dernier inculpé passé à l’audience et la correction administrée, la foule est invitée à libérer les lieux. Les centaines de badauds quittent le tribunal presque à contre cœur, mais l’air réjoui. Une dame regrette qu’on se limite à trois séances de bastonnade. ‘’Les jeunes de maintenant ne veulent plus travailler. Ce qu’ils savent faire, c’est voler nos poules et nos chèvres pour aller boire et fumer la cigarette. Il faut que la télé vienne filmer ça et le montrer. Ça donnera des leçons aux autres’’, propose un vieux juché sur sa vieille bicyclette. Lui trouve que les fouets sont trop minces. ‘’A notre temps, c’est avec des gourdins qu’on corrigeait les voleurs’’, se souvient-il. ‘’Si tu tapes un jeune de maintenant avec un gourdin, il va mourir sur le champ’’, tempère son voisin. Le juge Rasmané Semdé nous fait remarquer : « Tu vois qu’ils sont tous coupables. Ils ont même avoué d’autres choses ». Je ris en mon fort intérieur en pensant qu’à la place de ces jeunes, j’étais capable d’avouer que c’est moi qui ai piqué la côte de Jésus avec la lance.
Une brouette, une pelle et trois serre-joints vendus à 4 000 FCFA
Toujours sanglotant et transis de douleur, les jeunes ne font pas de difficultés à répondre à mes questions. Ogoara Bado, 20 ans, selon lui, bien que paraissant plus, est apprenti-jardinier à Pou (Ténado). Il est marié et père d’un enfant. Il confie avoir servi d’indicateur à des personnes de Tialgo (Ténado) pour voler un âne. « Ce sont des gens à Tialgo qui m’ont flatté pour me mettre dans ces problèmes et s’enfuir. C’est la première fois que je vole », soutient Ogoara Bado, avant de rectifier que c’est la deuxième fois devant le regard menaçant du juge Rasmané Semdé. Kaboré Marc, 19 ans, élève en 3e année dans un collège d’enseignement technique de Réo, affirme avoir volé une brouette avec d’autres outils de maçonnerie (ces objets, qui ont été récupérés, ont été présentés à l’assistance) avec la complicité de son camarade de classe Nazaire Ky qu’ils ont vendus à 4 000F.
Wilfrid Walbéogo, 19 ans aussi, exerçant dans le petit commerce à Ouagadougou, à l’en croire, est impliqué dans un vol de portables. Lui, par contre, malgré les coups reçus, soutient n’avoir pas volé les portables même s’il promet qu’il va les retrouver pour les propriétaires. ‘’j’ai voulu aider des petits du quartier à retrouver leurs téléphones qu’ils disent avoir été volés par des grands du quartier. C’est moi-même qui leur ai proposé de faire appel aux kogléwéogo. Et maintenant, c’est moi qu’ils accusent’’, se lamente Wilfrid Walbéogo.
Empêcher que ces petits voleurs deviennent des coupeurs de route
‘’Vous voyez, notre stratégie c’est pour empêcher que ces petits voleurs deviennent un jour des coupeurs de route. Regardez ce petit (il indexe un enfant d’à peine 18 ans qui a subi deux séances au lieu de trois du fait de son âge). Il vole de l’agent et soutire les marchandises de la boutique de son propre grand frère. Si nous ne l’arrêtons pas, que deviendra-t-il dans 05 ans ?’’, interroge le juge Rasmané Semdé. Du reste les suppliciés disent ne pas en vouloir aux Kogléwéogo. ‘’C’est notre mauvais comportement qui nous a conduits ici. Nous méritons cette correction’’, confessent-ils. Chacun promettant de ne plus voler. Alors que les derniers accusés subissaient leurs sentences, des Wibsé (éperviers) font leur entrée avec comme trophée un jeune de 19 ans. Son nom : Abdoulaye Tiendrébéogo. Il aurait été pris en flagrant délit de vol d’une poule. Poule qu’il tenait toujours. Très vite, les Kogléwéogo se rendent compte qu’il avait été bastonné par ceux qui l’ont arrêté. Ils ont alors décidé de ne pas le garder. ‘’Il peut succomber des suites de ses blessures et on va dire que les Kogléwéogo ont tué quelqu’un’’, justifie Mahamadi Semdé.
On avait faim et on a décidé de voler une poule
Se tordant de douleurs consécutives aux coups reçus lors de son arrestation, Abdoulaye Tiendrébéogo nous explique sa mésaventure : ‘’Moi et mon ami Elie avons quitté Godin Oualtinga (15Km de Koudougou) pour venir creuser les fondations d’un chantier de construction. On a travaillé et on ne nous a pas payés. On est allé voir la femme du propriétaire du chantier et elle a refusé de nous donner quelque chose. On avait faim. Elie m’a proposé qu’on vole une poule dans une cour. C’est quand on tentait de voler la poule que des jeunes nous ont surpris. Mon ami a réussi à s’enfuir. Les jeunes m’ont pris et m’ont battu à coup de bâtons. Ils voulaient me briser les côtes à l’aide d’un cordon, mais des vieux se sont interposés’’, raconte-t-il. Les vieux ont appelé les Kogléwéogo qui sont allés le récupérer. Le voyant vraiment mal en point, les Kogléwéogo lui ont fait un massage avant le lui donner de l’Amoxicilline et un antalgique. Pour Abdoulaye, Kogléwéogo rime avec bon samaritain. Surtout que n’eût été l’intervention des vieux, ça aurait pu être pire lui.
Quand nous quittions Palogo aux environs de 18h, la dizaine de présumés délinquants mangeaient paisiblement du riz au gras préparé par les Kogléwéogo. N’eût été leur dos zébré de fines plaies et les rictus de douleur sur leur visage, on croirait que ce sont des jeunes en colonie de vacances au milieu de leurs guides. Tout un monde !
Cyrille Zoma