Lors d’un point de presse tenu, le 20 mars 2017, le syndicat des poissonniers du Burkina accusait le promoteur de la société Hard SARL, Harouna Dia de concurrence déloyale et de commercialisation de produits avariés. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, le mardi 28 mars 2017 à Ouagadougou, cet ingénieur hydraulicien, qui s’est lancé dans l’importation et la commercialisation du poisson depuis 1998, répond à ces accusations et jette un regard sur ce secteur.
Sidwaya (S.) : Comment êtes-vous arrivé à l’importation et à la commercialisation du poisson ?
Harouna Dia (H.D.) : Je suis ingénieur hydraulicien de formation. Mon métier, ce sont les infrastructures hydrauliques comme les barrages. J’ai été affecté au Burkina Faso en tant que consultant par la coopération américaine comme conseiller en matière d'investissement du Plan populaire pour le développement dans le temps, surtout le volet eau. Après avoir sillonné le pays, j’ai apporté des recommandations et nous avons pu mobiliser trois millions de dollars pour financer des projets hydrauliques dans plusieurs provinces. J’ai toujours voulu entreprendre surtout dans les affaires. Avec les contacts que j’ai eus aux Etats-Unis, un jour j’ai demandé à mon chef de chantier le métier que je pourrai exercer ici au Burkina Faso. Il m’a suggéré de me lancer dans la vente du poisson, comme cela se faisait dans mon pays, le Sénégal. Il m’a surtout conseillé de trouver une formule pour amener le poisson du Sénégal au Burkina. C’est comme cela que j’ai commencé avec le poisson fumé et ensuite le poisson congelé en 1998.
S. : De façon générale, comment se porte la filière poisson au Burkina Faso ?
H.D. : La filière se porte bien. C’est vrai que sur le plan mondial, le volume de pêche baisse. Mais globalement ici nous arrivons à ravitailler le marché correctement. Malgré toutes les difficultés qu’il y a sur le plan international, nous arrivons à faire la promotion de plusieurs variétés de poisson qui sont à la portée du Burkinabè moyen. Nous avons aussi organisé un réseau de distribution sur l’ensemble du territoire qui fait que le poisson arrive partout même si sur le plan local la production du poisson a baissé.
S. : Lors d’un point de presse tenu, le 20 mars dernier, le syndicat des poissonniers du Burkina a dénoncé une concurrence déloyale, voire le monopole de l’importation et de la commercialisation par votre entreprise. Que répondez-vous ?
H.D. : Je ne sais pas ce que les gens appellent concurrence déloyale. Nous sommes dans les affaires. Ce que je fais, c’est ma philosophie du business. Je rappelle que j’étais un agent du développement, je suis panafricaniste, je pense lutter pour le développement de l’Afrique. J’ai passé ma vie aux Etats-Unis et en Europe donc, je suis écœuré de l’état de notre pauvreté. Quand je mène une activité économique comme la distribution du poisson, je pense à mes partenaires. Je veux que mes clients, mes grossistes gagnent et que le consommateur aussi gagne, que le poisson arrive un peu partout. Vous savez que le poisson apporte des protéines à l’organisme, donc il y a le côté santé qui est intégré. Nous avons toujours eu comme politique de baisser le prix du poisson. Notre concurrent, c’est le pouvoir d’achat du Burkinabè moyen. Nous avons vu beaucoup de promoteurs défiler, mais ceux-ci n’ont pas tenu longtemps parce que ce n’est pas évident. Il faut avoir une chaîne de distribution, des partenaires solides et crédibles pour tenir dans le long terme. Donc, je ne fais que suivre la stratégie de mon entreprise, c’est-à-dire vendre moins cher et porter le produit le plus loin possible dans le pays. C’est ce que je suis en train de faire maintenant et si cette politique gène certains, ce n’est pas de ma faute.
S. : Vous êtes aussi accusé de refus de dialoguer. Qu’en est-il exactement ?
H.D. : Comment je refuse de dialoguer, personne ne m’a saisi pour cela. Je suis dans un marché libre et concurrentiel. Depuis 1994 le Burkina Faso a décidé de libéraliser le commerce. J’ai appris que des jeunes ont été recrutés pour venir saccager mes installations. Mais moi je suis ouvert au dialogue. Quand je suis rentré dans cette activité j’ai subi des attaques terribles, mais j’ai lutté pour me faire une place. Je me suis stabilisé, mais je n’ai jamais usé de moyens non conventionnels. C’est regrettable qu’ils utilisent des calomnies pour me déstabiliser. Ils auraient dû m’approcher pour solliciter mes conseils, étant donné que je suis le plus gros importateur de poisson au Burkina Faso. Je les aurais aidés. C’est avec vous que j’apprends d’ailleurs qu’il y a un syndicat de poissonniers. Pourquoi moi, gros importateur je n’ai pas été approché pour la mise en place d’un tel syndicat ? Pourquoi moi, je n’en fais pas partie ? C’est à ne rien y comprendre.
S : Le syndicat dit également que vous écoulez du poisson avarié sur le marché, donc impropre à la consommation. Qu’en est-il ?
H.D. : Je vais vous faire une confidence. Depuis que le syndicat a démarré cette campagne de diabolisation, nos ventes ont grimpé. Les clients savent que dans ce pays nous vendons des produits de très bonne qualité. Nous avons des produits de type AA qui répondent aux normes internationales. Un carton contient une centaine de poisson et nous vendons des milliers de cartons par jour. Imaginer si tout ce poisson était avarié, les gens allaient tomber malades tous les jours. L’indicateur de la qualité de nos produits, c’est le marché, c’est la clientèle qui ne cesse de se développer chaque année. Nous avons créé beaucoup d’emplois et j’ai même aidé des jeunes à créer leurs entreprises. Nous sommes au courant de leur stratégie, mais j’avoue que la réaction de la clientèle est tout autre. C’est l’effet contraire qui s’est produit. Le syndicat cherchait à nous nuire, il a réussi à nous faire de la publicité. Nous recevons d’ailleurs des encouragements des populations. Nous subissons ces attaques, mais nous continuons à travailler pour le bien-être du vaillant peuple burkinabè.
S. : Le syndicat a demandé un audit de la filière poisson. Etes-vous favorable à cette requête ?
H.D. : La filière poisson c’est le poisson qui est produit à la Kompienga et dans d’autres localités du pays. Nous n’avons aucune emprise sur le plan international, aucune maîtrise sur le poisson qui traverse les océans. Si on parle de filière poisson c’est le poisson local et à ce niveau, il y a une réglementation. Le poisson importé n’est pas une filière.
S. : Pensez-vous que c’est parce que vous n’êtes pas Burkinabè que ces accusations sont portées contre vous ?
H.D. : Honnêtement, je me sens chez moi dans ce pays. Je ne me sens plus étranger parce que j’ai tout eu ici. Si les autres utilisent cet argument pour m’attaquer, qu’ils sachent que cela ne marche pas. J’ai eu des attaques plus graves que celles-ci, mais je me suis défendu seul. En sus, j’ai des amis qui m’ont toujours soutenu et des populations qui me font confiance.
S. : Cela fait plusieurs années que vous exercez ce métier. Quel est aujourd’hui l’apport du secteur dans l’économie burkinabè ?
H.D. : Vous constatez vous-mêmes. Des emplois sont créés, des femmes et des jeunes y travaillent. Il y a aussi l’introduction des protéines dans les consommations quotidiennes des Burkinabè et cela y va de l’amélioration de leur santé. De ce fait, je pense que c’est incontestable qu’on a donné un plus à l’économie nationale. Maintenant, s’il y a les moyens, comme on parle de filière, il faut développer l’aquaculture pour améliorer la production locale.
S. : Quels sont les facteurs qui peuvent influencer le prix du poisson sur le marché national ?
H.D. : Le poisson est le seul produit que l’on ne maîtrise pas, même le pêcheur. Les prix fluctuent tous les jours sur le marché mondial. C’est à nous d’encaisser souvent les amplitudes des fluctuations pour ne pas jouer sur le prix au niveau du consommateur. On vend plusieurs types de poissons qui n’ont pas le même prix. Si une variété devient très chère, l’autre devient moins chère et vice-versa. On a toujours jonglé comme cela pour qu’on ait au Burkina un poisson à bon prix.
S. : Quelles sont vos ambitions pour la commercialisation du poisson ?
H.D. : Mon ambition est de développer ce secteur davantage. Dans ce métier, la variable la plus importante c’est le prix, le rapport qualité-prix. Si les prix baissent, la consommation augmente, s’il monte, la consommation diminue. Nous voulons porter le poisson le plus loin possible, dans tous les foyers burkinabè.
S. : Avez-vous un message particulier ?
H.D. : Je veux demander à ce qu’on calme le jeu, qu’on reste sur le terrain du commerce. L’économie est libre et le commerce du poisson est libéralisé et géré par l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Notre poisson est accompagné du certificat d’origine sanitaire et certifié par nos vétérinaires, c’est ce que nous utilisons comme règles de circulation. Donc, nous respectons les règles de l’OMC, il y a la traçabilité pour qui veut le vérifier. Je rassure nos clients que nous vendons des produits de qualité qui respectent les règles internationales. Je remercie la population burkinabè pour le soutien qu’elle m’apporte.
Interview réalisée par
Joseph HARO