Des travailleurs de la gare de l’Est de Ouagadougou dénoncent une gouvernance opaque de cette infrastructure au détriment des employés. En cause, la gestion des tickets de stationnement. La Régie autonome de gestion des équipements marchands (RAGEM) et le fermier-gérant se rejettent la responsabilité.
Le 22 décembre 2016, quatre employés de la gare de l’Est de Ouagadougou ont été reçus à la rédaction du journal Sidwaya. Munis de nombreuses « pièces à conviction », ils en avaient visiblement gros sur le cœur contre la gestion des premiers responsables de l’Union des transporteurs routiers et voyageurs de la gare de l’Est (UTRVGE), en particulier l’administrateur Antoine Kaboré. Les plaignants, qui totalisent chacun quinze à seize ans de carrière à cette gare comme guichetiers ou contrôleurs, n’ont été déclarés à la sécurité sociale que pour les six dernières années de travail. Ils réclament au Syndicat national des transporteurs routiers et de voyageurs du Burkina (SNTRVB), à la Régie autonome de gestion des équipements marchands (RAGEM), à l’UTRVGE et aux différents gestionnaires de cette infrastructure entre 2000 et 2016, les documents nécessaires à la déclaration effective de seize ans de labeur. Mais pendant le combat engagé pour la reconnaissance du travail effectué, les intéressés ont été licenciés par lettre datée du 15 décembre 2016. Comment en est-on arrivé à là ? Le porte-parole des travailleurs, Issoufou Zougmoré a fait la genèse de la situation. Selon M. Zougmoré, ses camarades et lui ont été employés par la SNTRVB, 1er gestionnaire de la gare par affermage en 2000. La régularisation qui leur était promise au bout de trois mois n’est jamais intervenue, jusqu’en 2003, date à laquelle des querelles entre le fermier et la RAGEM ont occasionné la reprise de la gare par la dernière citée en gestion directe. Les employés ont néanmoins continué à travailler entre 2003 et 2010. A partir de 2010, la gare de l’Est est repassée sous la gérance d’un autre fermier, l’UTRVGE. Jusque-là, tout s’était bien passé entre les travailleurs et leurs employeurs. «Notre employeur nous a déclarés à la sécurité sociale à titre de régularisation à partir de 2015, alors que nous avons travaillé depuis seize ans dans cette gare. Nous avons protesté et obtenu notre déclaration à partir de 2010», rappelle Issoufou Zougmoré. Toutefois, le compte n’y était toujours pas car, pour seize années de service, seulement six ont été déclarées. Avec les conseils du mouvement syndical, les plaignants décident de se tourner vers leurs employeurs successifs pour obtenir la déclaration des dix ans de travail non reconnus. «Le fermier-gérant actuel, Antoine Kaboré de l’UTRVGE a répondu qu’il n’est responsable de la gare qu’à partir de 2010. Il nous a suggéré de nous adresser à la RAGEM qui nous a renvoyés vers Antoine Kaboré», détaille le porte-parole des plaignants. C’est finalement à l’inspection du travail que les intéressés ont été orientés pour réclamer de l’employeur un bulletin de paie, des congés payés, des primes d’ancienneté et un certificat de travail. Mais le fermier, en lieu et place de la réponse aux prétentions de ses employés, leur a adressé des lettres de licenciement. De nombreuses interrogations fusent dès lors. Les quittances de stationnement estampillées du timbre et du logo de la RAGEM ne peuvent-elles pas établir la responsabilité de celle-ci dans la gestion de la gare entre 2003 et 2010 ? Comment le fermier-administrateur de la gare a pu continuer à vendre des quittances de la RAGEM avec l’appui de la police municipale ? Y a-t-il eu une utilisation frauduleuse de quittances de la RAGEM par le fermier à l’insu de celle-ci? Les plaignants tiennent à élucider la situation pour une seule et bonne raison : mettre la main sur l’identité de l’émetteur des tickets et obtenir de lui, des certificats de travail pour les dix ans de «travail au noir». Du côté des personnes incriminées, on ne l’entend pas de cette oreille. Bonaventure Kéré, ex-secrétaire général du premier fermier (SNTRVB) a été sans équivoque. «Sous ma direction, le syndicat n’a pas été responsable de la gestion du personnel de la gare, parce qu’il n’y avait pas de contrat de gestion», tranche M. Kéré, avant de lever un coin du voile sur la crise qui a abouti à la reprise de la gestion de la gare par la RAGEM. «Le président de l’époque, Anassé Baguyan, a estimé qu’il y avait beaucoup d’entrées d’argent et qu’on pouvait partager les recettes quotidiennement. Je me suis opposé parce que ce n’était pas une gestion sérieuse», témoigne l’ex-SG du SNTRVB. Mais le vieux, contesté dans le syndicat, réussira à garder la main grâce «à sa notoriété à la gare et l’onction des autorités communales». La commune s’est aussi défaussée à son tour.
«C’est le fermier qui gère»
«A partir de 2010, nous avons signé un contrat d’affermage avec l’UTRVGE qui nous paye une redevance mensuelle d’un million de F CFA. Dans ce système de gestion, c’est le fermier qui gère l’infrastructure avec son personnel», rétorque le directeur de la RAGEM, Bruno Yetta. Il précise cependant que des agents de la mairie sont sur place à la gare pour prévenir toute dégradation et s’assurer de la bonne tenue de l’ouvrage. Mais comment se fait-il que le nouveau gestionnaire continue d’utiliser les quittances et le même personnel que la RAGEM qui n’a plus rien à voir dans la gestion ? «C’est l’équipe des travailleurs qui a pris la gare en affermage. Dès lors, ils sont devenus le personnel du fermier-gérant. C’est par méconnaissance que le gérant a continué à afficher nos logos sur ses tickets de stationnement», se défend M. Yetta, en présentant les termes du contrat d’affermage comme preuve de ce qu’il avance. En effet, par une lettre de «mise en demeure» datée du 23 décembre 2016, le directeur de la RAGEM sommait le fermier de cesser l’utilisation du logo de la mairie de Ouagadougou et du timbre de la RAGEM sur ses quittances sous peine de sanctions. Si la Régie n’a pas géré la gare de l’Est à partir de 2010, elle l’a bel et bien fait avant cette date. «La RAGEM a géré la gare entre 2003 à 2010, avec l’appui du syndicat des transporteurs réunis en association. Sûrement qu’il y a eu cet amalgame, puisqu’ils ont cru que la RAGEM les employait. Il n’y a aucune trace de ces travailleurs dans les effectifs de la Régie», explique le directeur. Après la construction de l’infrastructure en 1999, la gestion a été confiée à l’Organisation des transporteurs routiers du Faso (OTRAF). Mais la commune a repris l’infrastructure pour la céder, en affermage au Syndicat national des transporteurs routiers et de voyageurs du Burkina (SNTRVB) dans les années 2000. Cela n’a pas mis fin aux problèmes de gestion. Selon Antoine Kaboré, en 2003, il y a eu une mésentente entre les membres du SNTRVB obligeant la RAGEM à reprendre la gare pour une gestion directe. «Avec la commune, les employés ont gardé le statut qu’ils avaient avec l’ancien fermier comme le stipule le contrat. Les intérêts de la gare étant menacés, nous nous sommes constitués en Union des transporteurs routiers et voyageurs de la gare de l’Est (UTRVGE) en 2004 pour signer en 2010 un contrat d’affermage avec la mairie», explicite M. Kaboré. Il a même juré avoir proposé, sans succès, la déclaration à la CNSS à tous les employés quand le contrat d’affermage a été signé.
Non recrutés par la RAGEM
C’est après l’insurrection populaire de 2014, affirme Antoine Kaboré, que les plaignants sont allés à la CNSS pour dénoncer le fait qu’ils travaillent avec quelqu’un qui ne les a pas déclarés.
L’employeur Antoine Kaboré maintient qu’il ne serait pas possible de déclarer les travailleurs à partir de la date souhaitée. «En 2000, si quelqu’un devait nous déclarer, c’était le gérant Anassé Baguyan. La RAGEM ne pouvait pas nous déclarer parce qu’elle ne nous a pas recrutés», étaye M. Kaboré. Il pense d’ailleurs que les plaignants ont très bien compris la situation, à moins d’être de mauvaise foi. Car, «ils étaient 14 au total à accepter une régularisation à partir de 2010 et cela nous a coûté 14 millions de F CFA. Après avoir touché leurs allocations familiales, les 5 plaignants (Issoufou Zougmoré, Issouf Sawadogo, Madi Diallo, Bebané Djibril et Boukaré Nikiema) ont estimé qu’il y avait beaucoup d’argent à la Caisse et qu’il fallait y retourner», confie Antoine Kaboré. De l’avis du fermier, c’est par méconnaissance que les logos de la RAGEM ont continué à être utilisés. Cela ne suffirait donc pas, du point de vue de M. Kaboré, pour réclamer le statut d’employés de la RAGEM. «Un revendeur de Sidwaya peut-il venir demander un certificat de travail à Sidwaya ? Non ! parce qu’il n’y a pas de contrat de travail entre lui et Sidwaya», interroge le fermier. Le gérant a aussi justifié le bien-fondé du mode de gestion par affermage. «La mairie ne pouvait même pas payer deux agents sur la base d’une fréquentation de 60 véhicules par jour au départ. Elle a donc demandé aux bénéficiaires que nous sommes, de nous organiser pour nous charger de la gestion», justifie-t-il. Les 5 employés soupçonnent également le fermier d’avoir usé de la corruption pour faire taire «l’affaire» à l’inspection du Travail parce que l’inspecteur leur aurait demandé le numéro de téléphone de l’employeur. Antoine Kaboré rejette toutes les accusations rappelant qu’il ne connaissait même pas l’inspection du travail avant d’y être convoquée. Il fait remarquer, par ailleurs, qu’il a toujours privilégié la concertation. «Parmi les 5, certains ont été sanctionnés pour faute de gestion. Issoufou Zougmoré lui-même a fait un an et quatre mois à la maison pour cause de maladie. Nous avons continué à les payer», foi d’Antoine Kaboré. Il croit connaître les motivations profondes des plaignants. «Ils ont pensé que c’est la RAGEM qui gère la gare de l’Est et que parallèlement, nous avons fabriqué de faux tickets que nous écoulons frauduleusement. C’est nous qui gérons tout en tant que fermier sans que cela ne regarde la RAGEM. Je ne peux pas me voler moi-même», soutient M. Kaboré.
Mahamadi TIEGNA