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Dr Ra-Sablga Seydou Ouédraogo : «2016, année perdue… pour l’opposition également !»
Publié le lundi 13 fevrier 2017  |  L`Observateur Paalga
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© aOuaga.com par A.O
Institut Free Afrik : une étude sur l`économie restituée
Jeudi 29 janvier 2015. Ouagadougou. L`Institut Free Afrik a restitué en conférence publique une étude intitulée "Economie mondiale, économie burkinabè 2015". Photo : Dr Ra-Sablga Seydou Ouédraogo, directeur exécutif de Free Afrik




« Une année perdue pour le Burkina ». C’est le titre du memorandum concocté par l’opposition sur un an de régime du Président Roch Marc Christian Kaboré, et livré à la presse le 7 février 2017. Même s’il s’accorde avec les opposants que « 2016 a été une année gâchée », le directeur exécutif de l’Institut Free Afrik, le Dr Ra-Sablga Ouédraogo, estime qu’elle l’a été également pour le CFOP. « L’inertie du pouvoir est en lien avec celle de l’opposition », écrit –il dans cette déclaration.

2016, année perdue pour le Burkina Faso ! C’est la conclusion de l’évaluation effectuée par le CFOP, dans son mémorandum en date du 7 février 2017, de l’année de pouvoir du Président Kaboré.

Le 19 janvier 2017, l’Institut FREE Afrik annonçait à la presse les résultats de son évaluation rétrospective et prospective, quatrième édition, intitulée «Burkina Faso 2016/2017 : s’éloigner du précipice, engager le renouveau». Le titre de l’un des chapitres du rapport, «Burkina Faso 2016, bilan d’une année perdue», a été repris par plusieurs articles de presse. Ainsi, Burkina 24 (22 janvier 2017), lefaso.net (23 janvier) et Sidwaya (23 janvier), entre autres, ont repris le même titre dans leur compte rendu de la conférence de presse. D’autres journalistes ont plutôt insisté, fort judicieusement, sur le « scénario du précipice » qui inquiète FREE Afrik et les recommandations adressées aux acteurs stratégiques de la société pour l’éviter.

J’observe que, plus de deux semaines après la publication des résultats de l’Institut, les mêmes mots sont utilisés pour caractériser l’année écoulée. Je ne sais pas si les évaluateurs du CFOP ont lu les comptes rendus de la conférence de presse de FREE Afrik. Pour un organisme de recherche qui vise à influencer le débat public, il doit se réjouir soit de l’écho que son rapport a eu chez l’opposition politique, soit de la convergence de vues avec des acteurs importants de la société ou des deux à la fois.

FREE Afrik est heureux que le débat public s’anime et soit alimenté d’un mémorandum de l’opposition. Il salue cet acte et l’encourage, car une société qui ne débat pas de ses problèmes, qui ne les pense pas ne peut pas les connaître et a fortiori les résoudre.

La connaissance et la résolution des problèmes de la société étant établies comme objectifs de la délibération publique, il est important que les vrais problèmes soient courageusement posés, débattus démocratiquement et que les politiques publiques ainsi que l’action des acteurs de la société soient réfléchies, voire amendées en conséquence.

Du bilan de l’année 2016

Plusieurs facteurs conduisent FREE Afrik à la conclusion de l’année perdue. L’évaluation de l’année 2016 indique un contexte international plutôt favorable. En effet, le maintien à un bas niveau du cours du Brent engendre des gains équivalents aux deux tiers des recettes publiques annuelles tirées des mines. Dans le même temps les cours de l’or et du coton ont connu une amélioration comparativement à 2015. En outre, le pays bénéficie d’une bonne disposition de ses partenaires au développement, une sorte de prime à son retour réussi à la démocratie grâce à un génie collectif admiré.

Toutefois, face au pressant défi sécuritaire, dans un contexte d’asymétrie criard entre l’aggravation des menaces et l’inorganisation des forces armées et de sécurité, la réforme de l’armée demeure, pour l’essentiel, attendue. Le pays a connu, connait, une démobilisation considérable des administrations publiques avec un front social en ébullition continue durant toute l’année et un attentisme du secteur privé en demande vaine de dialogue et de mesures de relance dans un climat de confiance à restaurer.

Un immobilisme inquiétant est à noter sur le front de la réconciliation nationale tandis que des lourdeurs et des incompréhensions grandissantes sont observées sur le plan de la justice.

Des réformes précipitées et improvisées (réformes sur l’imposition foncière, le 1% artistique, la gratuité des soins, etc.), une pédagogie mal négociée du PNDES, qui demeure ENCORE un plan sur papier, ont caractérisé l’action publique. Pendant que le pays fait face à des défis internes et externes brûlants, que sa population a augmenté d’un demi-million de personnes en 2016, le Burkina Faso est comme installé dans une inertie, un go slow déroutant.

Le bilan de l’année 2016, pour FREE Afrik, est aussi celui de l’opposition politique. En effet, le rapport de l’Institut indique que l’inertie du pouvoir est en lien et a son reflet dans celle de l’opposition. Celle-ci s’est neutralisée dans un schisme stratégique en son propre sein entre la Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER) et la Coalition des forces démocratiques pour un vrai changement (CFDC). La première, constituée du CDP et de ses alliés, préoccupée par la libération de certains de ses dirigeants accusés d’avoir des responsabilités dans le coup d’Etat ou de crimes économiques, revendique la réconciliation nationale et applaudirait l’impunité pour tous. La seconde, réunie autour de l’UPC s’active à une dénonciation d’une continuité des pratiques de l’ancien régime et revendique, épisodiquement, la justice et sauterait de joie si celle-ci portait en particulier contre ses adversaires au pouvoir.

L’action de l’opposition a oscillé en 2016 entre hibernation et de timides sorties, mais aussi entre silence sur des sujets majeurs, y compris des polémiques importantes, et « coups de gueule » sur des sujets moins importants. Ainsi, elle est restée discrète sur l’affaire des tablettes, affaire pourtant emblématique d’une demande de renouveau de la gouvernance, dans la ligne de l’esprit de l’insurrection. Elle est restée quasiment muette toute l’année 2016 sur la baisse drastique du budget d’intervention de l’ASCE-LC, qui a été divisé par deux entre 2015 et 2016, alors que le pouvoir claironnait son attachement à la bonne gouvernance. Elle n’a pas demandé le recouvrement des créances de l’Etat, elle ne mentionne pas ce sujet dans son mémorandum (les mauvaises langues diront que, comme la majorité, elle a dans ses rangs de gros débiteurs de l’Etat, ce que les faits ne peuvent contredire). Alors qu’il s’agit là encore d’un dossier emblématique de bonne gouvernance et d’assainissement des finances publiques. Elle n’a pas défendu la relance des entreprises cassées, en marge de l’insurrection, ou de celles victimes du terrorisme, pendant que des milliers d’emplois directs et indirects sont en jeu. Enfin, sur la situation sécuritaire, dans son ensemble, l’opposition ne prend pas la mesure du moment historique inédit.

2016 est une année perdue en raison d’une gouvernance engluée dans l’inertie créée par les forces centrifuges « d’un triangle d’incompatibilité de pouvoir » dans la majorité (les RSS), mais aussi d’une opposition absente, peu présente, démissionnaire ou éloigné des priorités selon les cas.

L’année est perdue également en raison de l’action, selon le cas, inappropriée, inefficace, timorée, voire démissionnaire, des autres acteurs stratégiques de la société (intellectuels, syndicats, OSC, presse, autorités coutumières et religieuses, etc.).

Le vide programmatique de l’offre politique

Pourquoi souligner spécifiquement la responsabilité de l’opposition et attendre d’elle un repositionnement stratégique ? Parce que l’occasion nous en est donnée. Mais surtout parce que nous sommes convaincu qu’il n’y a pas de position spécifique pour être patriote ou utile à son pays. Nous sommes convaincu que le temps du dieu-président, président du parti-Etat, est révolu.

Pourquoi accorder tant d’importance à l’opposition ? Parce qu’elle prétend diriger le pays demain. Elle a en son sein des hommes pas moins capables que ceux qui nous gouvernent et qui ont des chances de gouverner, qui sait, en 2020, 2025 ? Donc demain ?

Elle doit travailler, dès maintenant à combler, un tant soit peu, le « vide programmatique de l’offre politique burkinabé ». De quoi s’agit-il ? A un journaliste qui m’a posé la question, je lui ai rappelé les résultats d’une évaluation des programmes des candidats à l’élection présidentielle de 2015, entreprise par l’Institut FREE Afrik, avec le soutien de la Coopération suisse et de Diakonia. Que dit cette étude ? Qu’il suffise qu’on évoque juste un volet.

« Education dans le programme des candidats : « La crise de l’éducation n’est pas (encore) prise dans sa pleine mesure, dans sa dimension quantitative (massification des effectifs) et qualitative, par les programmes évalués », cela indifféremment des candidats et des partis.

« A l’évaluation, les éléments de diagnostic sur lesquels se fondent les programmes examinés sont fragiles … Quand il n’y a pas une quasi-absence d’information chiffrée établissant le diagnostic du secteur (MPP), les données fournies sont fausses (UPC). Ainsi le programme du MPP n’est pas fondé sur une analyse de la situation de l’éducation, en tout cas le programme ne le donne pas. Celui de l’UPC avance des chiffres dont certains sont faux : par exemple, il y est dit, p.47 paragraphe 5, que : « sur la période 2012-2013, notre pays comptait seulement 338 étudiants pour 100 000 habitants ». Cependant, selon les données du ministère des Enseignements secondaire et supérieur (MESS), pour l’année académique 2012- 2013, le pays compte 443 étudiants pour 100 000 habitants. Le chiffre est sous-évalué du tiers. Il en va de même de l’UNIR/PS, qui affirme, p. 34, que « le ratio nombre d’étudiants pour 100 000 habitants est passé de 283,6 à 471,1 entre 2007 et 2013 ». Les statistiques du MESS en font ressortir 239 en 2006-2007 et 443 en 2012-2013. Il y a là une surévaluation de 20% à 6%. Ces imprécisions ont des conséquences importantes sur les politiques proposées. »

« Le MPP ne donne aucune estimation de l’incidence budgétaire de ses propositions. Quant à l’UPC, son budget de l’éducation et de la formation professionnelle pour l’année 2016, qui est de 271 milliards (rubrique « la jeunesse : notre capital, notre avenir, notre défi »), est inférieur au budget de l’éducation de 2014 qui était de 299 milliards de F CFA. Il en va de même en ce qui concerne le programme éducatif de l’UNIR/PS qui « nécessitera des moyens financiers à hauteur de 1 170 milliards de francs CFA durant les cinq ans » (p. 37 premier paragraphe), soit en moyenne 234 milliards de F CFA par an. Pourtant selon l’annuaire statistique 2014 du MENA, en 2013, le budget de l’éducation s’élevait à 262 milliards de FCFA et en 2014 à 299 milliards de FCFA. Les budgets proposés par l’UNIR/PS et l’UPC sont donc paradoxalement moins ambitieux que le niveau actuel des dépenses d’éducation, pendant que des investissements et des recrutements d’enseignants plus nombreux sont programmés. Encore une fois, le MPP ne donne pas d’estimation de l’incidence budgétaire de son plan d’éducation »[1].

La polémique entre le chef de file de l’opposition et le premier vice-président de l’Assemblée nationale est symptomatique de la mauvaise qualité du débat public qui joue hors-jeu et hors cours de l’Histoire. Elle est symptomatique du tête-à-tête infécond entre la majorité et l’opposition. Le pays aurait gagné énormément si les joutes entre les deux portaient sur la doctrine et la stratégie militaires, face à la menace terroriste inédite, sur les moyens d’accélération de la justice, sur les voies concrètes de mise en œuvre ambitieuse de la loi anticorruption (les mauvaises langues diront « qu’ils se tireraient une balle dans les pieds », l’économie politique dirait qu’ils n’y ont pas « suffisamment » intérêt, enfin la même chose) ou sur l’urgence de la relance économique qui est devenue une arlésienne ou encore sur les politiques de sortie de la crise énergétique, etc.

« L’heure de nous-mêmes », l’ère de nous tous

L’ère des responsabilités partagées, à ne pas confondre avec celle des compromissions, a sonné. Après l’exceptionnelle insurrection populaire, « l’heure de nous-mêmes a sonné » (Césaire), entrons dans l’ère de nous tous.

Que ceux qui gouvernent nous sortent de l’inertie suicidaire, abandonnent l’indolence insouciante, et que ceux qui doivent s’opposer s’activent sur les défis brûlants et ne se préparent pas seulement pour les élections, comme ils le reprochent à juste titre aux gouvernants actuels, mais pour la gestion du pouvoir et pour le difficile, le très difficile mais impératif changement.

Que les intellectuels se réveillent, qu’ils toisent les puissants du jour en leur jetant à la face leur responsabilité historique, qu’ils secouent le brave peuple endormi, la magnifique société en danger.

Que la société civile sorte de sa léthargie et apporte sa contribution pour sauver le pays. Qu’elle sorte de son confort d’activités classiques financées.

Que les autorités coutumières et religieuses dépassent les conseils émollients et indiquent les limites de l’inacceptable.

Que les syndicats articulent davantage leurs intérêts aux priorités de l’histoire, qu’ils entendent l’appel de l’histoire, qu’ils aident à mobiliser le pays face au danger de l’occupation possible (probable ?) d’une partie de son territoire où l’Etat est défié comme jamais. Que les syndicalistes du Nord du pays parlent à haute voix de cette population apeurée et sans recours.

Vite ! Il faut délocaliser le camp de l’Unité, le désormais camp Samgoulé Lamizana à Nassoumbou. Vite et bien. L’unité du territoire, et pas seulement, est en jeu.

Que le Burkina se réveille !

Le Burkina Faso demande des hommes et des femmes pour l’éloigner du précipice

Ki-Zerbo a publié en 1954, dans la revue étudiante Tam Tam, un article fort remarqué intitulé : « On demande des nationalistes ! ». Il y indique que l’Afrique demande des hommes pour la libérer du colonialisme. En 2017, les barbares sont à nos portes, ils sont déjà au milieu de nous. Demandez aux populations apeurées du Nord et quasi-abandonnées. Le Burkina Faso demande des hommes et des femmes pour l’éloigner du précipice ! N’attendons pas qu’il soit trop tard.
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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