Après un bon mois passé entre la préparation de l’équipe nationale pour la CAN 2017 à Marrakech au Maroc puis au Gabon, notre confrère Kader Traoré est de retour à la rédaction de L’Observateur paalga. Entre la belle chevauchée des Etalons, l’exception et le mode de vie à la gabonaise, notre chef de desk sport avait plein de choses à nous raconter. Dans cette interview, celui qui est à sa 6e Coupe d’Afrique des nations affirme qu’il a vécu une aventure sportive unique.
Comment avez-vous vécu le très bon parcours des Etalons ?
Comme tous les Burkinabè et comme tous les journalistes qui étaient à la CAN 2017, nous avons vécu cette compétition avec beaucoup d’émotion. C’est vrai que les Etalons ont su tirer leur épingle du jeu avec cette belle 3e place, mais il faut reconnaître que tout n’a pas été facile. Et lorsqu’on est journaliste et qu’on est au courant de certaines informations, il convient d’avouer que c’est difficile à gérer. Nous en voulons pour preuve, un jour à l’entraînement, nous avons constaté que les 3 gardiens des Etalons étaient tous blessés. Ce jour-là, nous étions peiné non seulement pour les joueurs eux-mêmes, mais aussi pour le sélectionneur national qui ne savait pas où mettre de la tête. Professionnellement, nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas traiter ce genre d’information avec beaucoup de tact, car elle peut jeter le doute dans la tête des Burkinabè.
Mais bon, après tout, c’est une belle expérience surtout que l’équipe nous a fait rêver et, forcément, cela se ressent dans la qualité de notre travail.
Vu la prestation des nôtres à la CAN 2015, n’aviez-vous pas des appréhensions à chacune de leurs sorties ?
A ce sujet, on peut paraphraser le ministre des Sports, Tairou Bangré, qui disait au soir du match de classement, que si on lui demandait de signer pour la médaille de bronze des Etalons avant le début de la compétition, on aurait tous signé. C’est pour dire rien n’était gagné à l’avance. On avait cette crainte dès le début de la CAN car étant dans le groupe A en compagnie du Cameroun et du Gabon, l’on se disait que le sort des Etalons allait être ardu. Mais dès lors que l’équipe a tenu tête au Cameroun et ensuite au Gabon, tout était possible. Les Etalons se sont bonifiés au fil des matchs et l’équipe est montée en puissance. Et après la victoire en quarts de finale, nous ne voyions pas une autre formation qui puisse battre encore les Etalons dans cette CAN. L’équipe est certes tombée face à l’Egypte en demi, mais elle n’a perdu aucun match dans le temps réglementaire. Donc nos appréhensions se sont vite dissipées.
On a eu l’impression que le groupe Etalons vivait bien. C’est le sentiment que vous avez eu aussi ?
Oui, le groupe vivait super bien. Vous savez quand l’équipe gagne, on oublie tous les petits soucis. Les joueurs étaient soudés et avaient la détermination de réussir des choses ensemble. Nous, on avait la possibilité de les côtoyer non seulement lors des séances d’entraînement, mais aussi à l’issue des matches. Quand on les observait, on voyait qu’il y avait une ambiance parfaite. Ils se taquinaient amicalement et gardaient une bonne cohésion. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’adaptation rapide des nouveaux comme Blati Touré, Yacouba Coulibaly et même Hervé Koffi. Les anciens ont été vraiment les parrains des nouveaux et tous travaillaient pour les mêmes objectifs. Quand on voit un Aristide Bancé taquiner un Yacouba Coulibaly, l’on se rend compte que ce groupe Etalons vivait l’harmonie.
La vie au pays des Bongo est-elle différente d’ici ?
La vie au Gabon est un peu différente de celle du Burkina. D’abord, nous n’avons pas la même culture et les mêmes habitudes. Contrairement par exemple au Burkina, il n’y a pas de motocyclettes au Gabon. Et tout le monde n’a pas de véhicule. Donc les gens se déplacent soit en taxi, soit dans les minibus de 20 places. Et les courses coûtent cher. Pour une distance de 20 ou 30 minutes de courses, vous pouvez payer 2 000 F CFA ou même plus. Pour quelqu’un qui est habitué à prendre le taxi à 300 F CFA à Ouaga, ce n’est pas évident. Et le comble, quand vous voulez prendre le taxi, c’est le client qui dit son prix, si le taximan est d’accord, il vous prend. S’il n’est pas d’avis, il ne vous parle même pas. Il n’y a pratiquement pas de marchandage possible.
Ensuite, il y a que la capitale Libreville n’est pas lotie. Cela ne veut pas dire que les constructions sont anarchiques, mais l’on s’aperçoit que les voies ne sont pas tracées comme au Burkina. L’autre constat, c’est incroyable de voir que les villes ne sont pas reliées entre elles par des voies bitumées. Ce serait inconcevable qu’il n’y ait pas de goudron entre Ouaga et Bobo. Et enfin, l’on s’est aperçu que malgré la richesse de son sol, le Gabon importe toutes ses denrées alimentaires du Cameroun voisin. Au Burkina, des bras valides auraient transformé les forêts en fermes agricoles.
Comment avez-vous trouvé les Burkinabè vivant au Gabon ?
Il y a une bonne colonie burkinabè au Gabon. A Libreville, il y a au moins 20 000 compatriotes. Ils exercent dans le commerce, le jardinage, le transport et autres petits boulots. Leur difficulté, lorsqu’on échange avec eux, c’est la quête de la carte de séjour. Pour un document qui s’établit autour de 800 à 900 000 F CFA, beaucoup d’entre eux doivent débourser jusqu’à 1,5 millions de FCFA. Les passeurs et les intermédiaires se sucrent sur leur dos. Ceux qui sont dans le transport urbain ne racontent pas avec joie les affres avec les policiers lors des contrôles. Ils sont tout le temps victimes de rackets et de spoliation. Mais malgré tout, ils s’en sortent bien et parviennent à se réaliser. Ils essaient de s’organiser au sein de la communauté, mais jusque-là, c’est encore le tâtonnement.
Qu’est-ce qui frappe a priori un Burkinabè quand il arrive dans un pays comme le Gabon ?
Ce qui frappe au Gabon, c’est le manque de route. Il y a certes beaucoup d’échangeurs à Libreville, mais pour aller dans un lieu donné, il n’y a qu’une seule route. Imaginez que pour aller au stade du 4-Août, il n’y ait qu’une seule voie. C’est incroyable. Ce qui fait qu’il y a tout le temps des embouteillages. Mais à côté, on reste admiratif face à l’absence de feux tricolores dans la circulation. Il y a beaucoup de ronds-points aux carrefours et les usagers respectent les sens giratoires ou la priorité. Ils n’ont pas besoin de policiers en armes à côté des feux de signalisation, encore moins des VADS pour réglementer la circulation.
Là-bas, nous avons découvert l’existence du certificat de concubinage. C’est assez curieux de voir que l’Etat légalise une union libre et non pérenne entre un homme et une femme. Pour caricaturer, vous pouvez vivre avec une femme pendant 3 mois et après, chacun prend sa route. Nous ne savons pas les objectifs recherchés par un tel acte administratif, mais à notre sens, il pourrait vraiment banaliser la vie en couple.
La CAN n’était pas la chose la mieux partagée par les Gabonais, contexte politique oblige peut-être. Comment l’étranger qui est venu pour la fête du football africain peut-il se sentir dans une telle ambiance ?
Nous avons surtout été déçu de voir des Gabonais célébrer l’élimination des Panthères du Gabon. On peut être de l’opposition ou être contre le président Ali Bongo, mais lorsqu’il est question de l’équipe nationale, c’est le drapeau national qu’on défend. C’est indécent de voir des scènes de liesse dans la ville lorsque le pays a été défait. C’est vrai que les opposants disent qu’il fallait résoudre d’abord la crise née de l’élection présidentielle, mais il ne faut pas voir les Panthères comme une propriété du camp Bongo.
Déjà à la veille de la compétition, beaucoup prédisaient l’élimination de l’équipe. Cela veut dire qu’il y a eu trop d’énergie négative autour du onze national du pays organisateur de la CAN. C’est dire que la fracture socio-politique est encore ouverte et il faut un vrai débat démocratique afin que les Gabonais se réconcilient avec eux-mêmes.
Interview réalisée par
Arnaud Ouédraogo