Certains syndicats de transporteurs sont vent debout contre le système « de bons de chargement » institué par le Conseil burkinabè des chargeurs (CBC) dans les ports de transit de marchandises à destination du Burkina Faso. Si officiellement la pratique sert à contrôler le fret dans l’intérêt des transporteurs burkinabè, des voix s’élèvent pour dénoncer « une juteuse mafia » générant annuellement des milliards de F CFA utilisés pour corrompre les responsables de toute la chaine des transports jusqu’au sommet de l’Etat, au préjudice des consommateurs finaux.
Au cours d’une sortie médiatique le 7 février dernier, le patron de la société de transit J AND E SHIPPING, Romuald Sawadogo a accusé « le couple CBC-OTRAF » de vouloir imposer « un monopole illégal », sur la gestion et le transport du fret à destination du Burkina Faso via les ports ghanéens. Il est reproché, entre autres, au Conseil burkinabè des chargeurs (CBC) et à l’Organisation des transporteurs routiers du Faso (OTRAF) une ingérence dans les activités de J AND E SHIPPING et des impositions supposées de camions aux transporteurs avec, en toile de fond, le système de bons de chargement mis en place par le CBC. Le président du Syndicat national des transporteurs routiers et voyageurs du Burkina (SNTRVB), Bonaventure Kéré ne décolère pas contre la mise en place de ces bons de chargement. « Le couple CBC-OTRAF a institué un système de bon qui n’est qu’un instrument d’escroquerie qu’ils utilisent pour arnaquer les importateurs et les transporteurs. C’est une mafia », tempête M. Kéré qui prend en exemple, la situation de l’entreprise de Romuald Sawaodogo. Il souligne que 22 camions ghanéens affrétés par J AND E SHIPPING ont été bloqués à Nabmatanga (ou localité située à quelques encablures de Koubri sur l’axe Ouaga-Po) pendant un mois pour défaut de bons de chargement avec l’aide de la police burkinabè. La société paieraient ainsi le fait de n’avoir pas respecté la règlementation inter-Etats des 2/3 et 1/3 qui oblige les chargeurs à réserver une part de fret de 2/ 3 pour les transporteurs du pays de destination (le Burkina Faso) et une part de 1/3 aux transporteurs ghanéens. Les frondeurs estiment que l’OTRAF est le premier à enfreindre à cette règle. « L’OTRAF a forcé M. Sawadogo pour récupérer son fret et charger 26 camions qui sont actuellement (NDLR : le 09 février 2017) à la SITAB. Vous pouvez vérifier, il y a 18 camions ghanéens et contre tout règlement inter-Etats, un camion nigérien sur 26. Quelle est la part des Burkinabè qui sont censés avoir 2/3 du fret et 1/3 pour les Ghanéens ? », s’interroge M. Kéré. Le syndicaliste doute de la pertinence de cette règlementation à partir du moment où « le Ghana a toujours refusé depuis 30 ans de signer cette clef de répartition », estimant qu’en tant que citoyen CEDEAO et avec la libre circulation des biens et des personnes, l’on devrait pouvoir transporter partout où l’on veut dans la communauté. Il reconnait néanmoins que cet accord sur la règle des 2/3 et 1/3 existe bel et bien entre le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.
L’OTRAF, un Etat dans l’Etat ?
Les syndicats frondeurs ont également dénoncé, sans pouvoir le prouver, la perception de frais contre la délivrance de bons de chargement normalement gratuits. « Ils ont institué une prime de 12 500 F CFA (NDLR : un imprimé vendu à 2 500 et une taxe de 10 000 F CFA). Ils disent que le bon est gratuit mais que c’est le service qui coûte 10 000 F CFA», renseigne Bonaventure Keré. Et ce n’est pas tout. « Quand vous voulez le bon de chargement, le CBC vous dit d’aller à l’OTRAF. Là-bas, s’ils sont d’accord, ils vous donnent une autorisation sur la base de laquelle, le CBC vous délivre le bon. Avec ce bon, vous retournez à l’OTRAF pour payer une commission de Coksaire (NDLR : démarcheur véreux) de 50 à 100 mille F CFA à la tête du client », a juré Bonaventure Kéré tout en reconnaissant ne pas avoir les preuves de ce qu’il avance « parce qu’il n’y a pas de traces ». Il avoue en sus que cette pratique est connue des autorités du Burkina Faso. Il semble d’ailleurs qu’un accord non publié avec le CBC attribuerait à l’OTRAF et à l’Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB), la gestion de tout le fret à destination du Burkina Faso. « Cela a rapporté entre le 1er janvier et le 1er juillet 2016, plus de 3,8 milliards de F CFA pour le port de Tema. Avec cette somme, vous pouvez corrompre n’importe qui dans ce pays », croient savoir les syndicalistes.
Procès en légitimité de l’OTRAF
Et ce serait la raison de la bienveillance supposée des autorités (le CBC trouveraient son compte) vis-à-vis de l’OTRAF qui, en tant que syndicat, ne devrait pas être dans les ports « pour vendre du fret, chercher des camions pour affréter et prendre des commissions pour Coksaire ». Les pourfendeurs des bons de chargement en veulent en particulier à l’OTRAF qui, selon eux, devrait, en tant que faitière, permettre à chaque membre de garder son autonomie. Mais elle se serait transformée en « un Etat dans l’Etat », un monstre créé sous la houlette « d’un certain ministre des transports voulant manger entre les mains du vieux Kanazoé et de Barro Djanguinaba ». Aux dernières nouvelles, le Réseau national de lutte anti-corruption (REN LAC), l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat (ASCE) ont été saisis de cette affaire de commission de 50 à 100 mille F CFA à des fins d’investigation à la demande des syndicats opposés aux bons de chargement. De son côté, l’OTRAF met en avant le respect de la réglementation et des accords inter-Etats. Selon le président de l’organisation, Issoufou Maiga, le ravitaillement du Burkina Faso est organisé par le CBC, gestionnaire agréé du fret et installé dans les ports de la sous-région. A l’entendre, la loi fait obligation à tous les transporteurs à destination du Burkina Faso, de déclarer le fret au CBC. Ce serait dans le souci de maintenir le dynamisme des entreprises du domaine des transports des nations de destination et de transit que le Conseil a édicté une clé de répartition du fret entre transporteurs des pays de destinations et ceux des pays de transit. Pour couper court aux partisans d’une libéralisation totale des transports de fret, M. Maiga souligne que depuis la signature de la convention portant règlementation des Transports routiers inter-Etats de la CEDEAO en 1982 (TRIE), le pouvoir est donné au pays de destination de gérer son fret. En son article 20, le TRIE stipule que « la règle en matière d’attribution du fret inter-Etats est celle prévue par le règlement intérieur de bureaux inter-Etats des Etats- membres ». Cette disposition fonde la légitimité du CBC à émettre la règle des 1/3 pour les pays de transit et 2/3 pour les camions burkinabè. Issoufou Maïga précise que c’est pour la mise en œuvre efficiente de cette réglementation, que le CBC « collabore » avec l’OTRAF qui connaît les camions burkinabè. « Après la déclaration du fret, les ghanéens présentent leur 1/3 et l’OTRAF les 2/3 des Burkinabè. Le bon est délivré par le CBC gratuitement. C’est ceux qui enfreignent la loi qui paient 200 mille à titre de régularisation », déclare-t-il. Le président de l’OTRAF rejette, par ailleurs, l’information selon laquelle, sa structure aurait imposé des camions à la société J AND E SHIPPING de Romuald Sawadogo. Il distingue deux cas de figure. Il y a le cas des chargeurs qui confient leur fret directement à l’OTRAF depuis Ouagadougou. Il y a aussi la situation des chargeurs qui ont leurs commissionnaires au port de Tema. Ceux-ci font les formalités et viennent ensuite vers l’OTRAF avec ou sans ses camions. L’essentiel pour l’organisation est de veiller à ce que la règle des 1/3 et 2/3 de quota soit respectée. Selon Issoufou Maiga, l’OTRAF ne fait que valider la liste et n’a pas besoin d’imposer un camion. Il défie, par ailleurs, Bonaventure Kéré de donner les preuves de la perception des 50 mille à 100 mille francs CFA par l’OTRAF. La sortie du président du SNTRVB et de Romuald Sawadogo (Celui-ci est poursuivi le jour même de sa conférence de presse à la gendarmerie de Kosyam pour non-paiement de frais de transport), de l’avis du président de l’OTRAF, n’a d’autre but que de « tromper la vigilance de l’opinion, de l’intoxiquer pour des futilités ». Il estime que si les autres syndicats veulent revendiquer une présence aux ports, cela n’est pas du ressort de l’OTRAF qui assure la continuité de ce qui existait déjà. Issoufou Maiga résume ainsi le problème : si la procédure des bons de chargements est respectée, c’est que le fret est contrôlé et si le fret est contrôlé, les transporteurs burkinabè trouvent leur compte. « C’est ce qui ne plaît pas aux organisateurs de la conférence de presse. Finies les mauvaises habitudes, le temps du changement a sonné et nous continuerons à ce rythme », martèle M. Maïga. La direction générale du CBC, incriminée aussi dans l’affaire, n’a pas cru bon de se mêler « à cette querelle pour le contrôle du fret ».
Mahamadi TIEGNA