L’un des temps forts de la 28e session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, qui a eu lieu les 30 et 31 janvier 2017, à Addis Abeba, en Ethiopie, a été le lancement du thème de l’année sur le continent, intitulé « Tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans la jeunesse ». Les dirigeants africains ont été appelés à poser des actions concrètes pour une participation plus accrue des jeunes à l’édification d’une Afrique prospère.
Les prospectivistes d’ici ou d’ailleurs affirment que la jeunesse de la population africaine -60% des Africains ayant moins de 24 ans constitue le plus grand atout du continent. Mais, pour que cet atout évolue en véritable force productrice, il y a un pas important d’investissements adéquats à faire. Des pistes de résolution de cette équation ont été présentées aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, réunis dans le cadre de leur premier sommet de l’année 2017, les 30 et 31 janvier 2017, à Addis Abeba, au siège de l’organisation continentale. Le tout nouveau président en exercice de l’Union, le chef de l’Etat guinéen, le Pr Alpha Condé, a appelé ses pairs, les acteurs des secteurs public et privé, les ONG et partenaires au développement, à travailler à l’épanouissement des jeunes. La voie à suivre, a relevé le président Condé, est tracée dans la feuille de route de l’UA sur comment « tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans la jeunesse ». C’est un document d’une quarantaine de pages, élaboré avec le soutien technique et financier de l’UNFPA, à partir d’une large consultation de jeunes, de ministres, de membres du secteur privé, d’experts, d’organisations de la société civile, des institutions régionales, du système des Nations unies, etc. La feuille de route, assortie de résultats escomptés, pose l’avenir radieux de l’Afrique sur quatre piliers, intimement liés. Le premier concerne des actions dans les domaines de l’emploi et de l’entrepreneuriat, de sorte à permettre aux jeunes d’avoir des opportunités pour se réaliser. Ce qui est loin d’être le cas actuellement. Selon des chiffres de la Banque africaine de développement (BAD, 2013) contenus dans la feuille de route, « les 15 à 25 ans constituent environ 37% de la population en âge de travailler, mais représentent plus de 60% des sans-emploi en Afrique ». Une situation « explosive », a analysé le directeur exécutif de l’Institut des futurs Africains, le Pr Alioune Sall, que nous avons rencontré en marge du sommet. Pour ce sociologue et économiste, auteur de plusieurs ouvrages sur le développement de l’Afrique, le manque d’emplois pour les jeunes Tunisiens a été l’un des facteurs déclencheurs du printemps arabe. La thérapie prescrite dans la feuille de route recommande aux pays, la mise en œuvre de stratégies visant à réduire la proportion de jeunes sans-emploi en 2013 d’au moins un quart d’ici à 2024. En vue de résorber le chômage, les gouvernements ont été également invités à créer un environnement propice à la promotion des marchés de travail flexibles, favorisant le développement des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre capables de rivaliser au niveau mondial, etc. Pour y arriver, le Pr Sall a conseillé de dépasser le cadre simpliste du commerce import-export ou un contexte où règne le secteur informel, pour aller vers une économie à haute valeur ajoutée. Un clin d’œil à la « nécessaire » industrialisation du continent, pour transformer sur place les matières premières. Le président en exercice de l’UA, a abondé dans le même sens, en inscrivant l’accès à l’énergie sur le continent comme une priorité de son mandat. « Il n’est pas normal que l’électricité, nécessaire pour l’industrialisation et autres besoins domestiques, reste un luxe pour 700 millions d’Africains », a dénoncé Alpha Condé. La présidente sortante de la commission de l’UA, Dr. Nkosazana Dlamini-Zuma quant à elle, a encouragé une diversification des économies africaines, soutenue par une agriculture à moderniser, avec l’objectif de créer davantage d’opportunités pour les jeunes entrepreneurs.
Préparer les jeunes
Pour profiter de la transformation économique à laquelle aspire le continent, les jeunes doivent être à la hauteur de la tâche, c’est-à-dire, nantis de savoir-faire en adéquation avec les défis de l’heure. Ainsi, se justifie le deuxième pilier de la feuille de route, qui préconise une révolution dans le secteur de l’éducation et du développement des compétences en Afrique. Le moment est venu d’accorder une place de choix à l’éducation de qualité et pertinente, avec un accent sur la formation technique et professionnelle, ainsi que l’ingénierie, les mathématiques et la science. A l’endroit des jeunes Africains qui seront contraints d’abandonner le système éducatif formel, il est proposé l’éducation non formelle, à travers des formations sanctionnées des certificats uniformisés sur tout le continent. Le développement des compétences envisagé passe, aussi, par un apprentissage pragmatique du cycle de vie, qui englobe notamment l’éducation à la santé sexuelle et reproductive adaptée. « Garantir la bonne santé et le bien-être s’avère nécessaire pour assurer la vulnérabilité des jeunes et maximiser l’investissement dans le capital humain », note la feuille de route, en guise de troisième pilier. De manière claire, le document demande aux Etats, de créer les conditions à un accès des jeunes à la santé sexuelle et de la reproduction, y compris la planification des naissances. De même, il est prôné de redoubler d’effort dans la prévention des maladies, afin d’accroître la survie de l’enfant. La baisse de la fécondité et celle de la mortalité sont liées, et toutes deux essentielles pour tirer profit du dividende démographique, enseignent les spécialistes du domaine. L’institut de recherche international Guttmacher explique que le fait de répondre aux besoins non satisfaits en contraception moderne des adolescentes pourrait réduire les grossesses non désirées et les avortements de 70%, et diminuer sensiblement le nombre de femmes qui meurent en voulant donner la vie.
« Autrement, nous serons les premières victimes… »
Par ailleurs, le mariage d’enfants, les mutilations génitales féminines sont des pratiques « obstruant » le bien-être des adolescentes, et contre lesquelles les Etats devront sévir avec fermeté, conformément au nouveau paradigme de développement. Au titre du quatrième préalable à l’exploitation du dividende démographique dans le berceau de l’humanité, la feuille de route de l’Union africaine note l’urgence à consacrer les droits des jeunes, en éliminant les obstacles à leur participation active à l’édification de la nation et aux processus de gouvernance politiques. Dans ce sens, le socioéconomiste, le Pr Sall, a soutenu que les chances d’un développement durable inclusif seront plombées, tant que l’on continuera à marginaliser les majorités démographiques (jeunes et femmes) dans un statut de cadets sociaux (ndlr : sans moyens de production). A l’écouter, le dividende démographique n’est pas automatique et peut demeurer virtuel, s’il n’y a pas les investissements nécessaires pour transformer le potentiel en réalité. D’ailleurs, il définit le concept comme l’avantage économique dont peuvent bénéficier les pays en cours de transition démographique (la période qui suit la baisse des taux de natalité et caractérisée par le fait que le nombre de personnes dépendantes-enfants et personnes âgées est particulièrement faible par rapport au nombre des jeunes adultes en âge de travailler).Une telle configuration, a développé l’expert, peut se traduire par un accroissement significatif de la productivité, moyen d’une part, et les niveaux des épargnes d’autre part, les transferts en direction des dépendants étant réduits.Au regard des opportunités réelles à saisir, le président Condé a lancé sans ambages : «Nous devons travailler à mettre en œuvre l’ensemble des actions proposées, selon les spécificités et les priorités de chaque pays. Autrement, nous serons les premières victimes de cette bombe».
Koumia Alassane KARAMA
(De retour de Addis Abeba)