Le cinéma, dès sa création, s’est nourri et continue de s’abreuver des belles histoires que lui offrait la littérature, et particulièrement le roman. Et on se demande pourquoi le cinéma burkinabè ne prospecterait pas le terrain de l’adaptation ; un mariage du cinéma et de la littérature qui sortirait ces deux arts de la morosité actuelle.
L’adaptation a toujours été une veine qu’a exploitée le cinéma. Qu’ont en commun les grands succès cinématographiques tels Autant en emporte le vent de Sam Wood, Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann, Les Oiseaux de Hitchcok, Les Raisins de la colère de John Ford, Z de Costa-Gavras et Le Mépris de Jean-Luc Godard? Ce sont des adaptations !
D’un côté, il y a un cinéma burkinabè qui a un public acquis mais dont les œuvres, dans leur majorité, souffrent d’une faiblesse de scénario. De l’autre, il existe une littérature assez prolixe mais quasi invisible du fait du manque d’instance de diffusion et de la difficulté à trouver un lectorat. Un mariage entre ces deux arts, même s’il n’était pas d’amour, serait légitime car chacun apporterait à l’autre ce qui lui manque par une percolation des forces entre les deux contractants.
Il y a déjà eu quelques adaptations mais elles restent isolées, relevant plus d’initiatives personnelles que d’une volonté politique de structuration de cette collaboration. En effet, Le Grotto de Jacob Sou est une adaptation de la pièce de théâtre Monsieur Togho Gnini de B. B. Dadié, Sya, le rêve du Python de Dani Kouyaté est adaptée de la pièce de théâtre La légende de Wagadù vue par Sya Yatabéré d’Ousmane Diagana et En attendant le vote de Missa Hébié s’inspire du roman En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma. Ces adaptations puisent dans la littéraire africaine mais aucune de ces œuvres n’appartient à la littérature burkinabè.
Une adaptation a été faite par le passé mais dans le domaine télévisuel. Le Secret, un téléfilm réalisé en 1998 par Raymond Tiendré, est une adaptation du roman Au gré du destin d’Ansomwin Ignace Hien. Mais ce ne fut pas une tentative malheureuse. En effet, l’œuvre choisie n’était pas la meilleure de son auteur, encore moins la meilleure de la place. Cela a pesé négativement sur la qualité du film et sa réception par le public, ce qui démontre que tout livre n’est pas adaptable. L’histoire du cinéma est truffée de livres maudits dont l’adaptation est impossible. Par exemple, Voyage au bout de la nuit de Céline. Ainsi de Don Quichotte, dont toutes les adaptations ont échoué, et de celle de Terry Gilliam, il ne reste qu’un documentaire sur les aléas du tournage.
C’est pourquoi les œuvres qui méritent d’être adaptées doivent avoir un récit cohérent et un personnage principal mû par un fort point de vue sur le monde.
Et pourtant des œuvres littéraires connues et aimées, il y en a une flopée. Si l’adaptation du premier roman burkinabè, Le Crépuscule des Temps anciens de Nazi Boni, peut légitimement intimider les réalisateurs et les producteurs au regard de la reconstitution d’époque qui peut se révéler onéreuse (l’histoire se déroule à l’orée de la pénétration coloniale au Bwamu), il y a aussi Les Dieux délinquants d’Augustin Sondé Coulibaly qui peut être intéressante pour le cinéma car ce roman entremêle politique, grande délinquance et histoire d’amour. L’Epine de la Rose de Mathias Kyélem est aussi une histoire d’amourette entre adolescents. Il nous est revenu que Jacques Prosper Bazié avait souhaité voir son œuvre Amoro portée à l’écran et qu’il avait commencé la scénarisation de l’histoire du monarque qui a résisté à la colonisation. Hélas, le romancier est parti avant d’avoir trouvé preneur.
Cette passerelle entre littérateurs et cinéastes est facile à établir ; il suffit de donner des formations en écriture scénaristique aux écrivains. Une chose aisée car étant des écrivains, ils ont montré leur capacité à créer des histoires, il ne leur reste qu’à s’approprier la forme du scénario. Noraogo Ouédraogo et Guy Désiré Yaméogo sont des scénaristes et surtout des bibliophages insatiables qui pourraient jouer le rôle d’interface entre le monde de l’édition et les producteurs.
Un tel attelage du cinéma et de la littérature du Burkina pourrait faire mentir Robert Bresson, qui affirmait qu’il n’y a pas d’épousailles entre ces deux arts sans extermination des deux.
Saïdou Alcény BARRY