La Commission constitutionnelle chargée des réformes en vue du passage à la Ve République a animé une conférence de presse, le mardi 10 janvier 2017, à Ouagadougou, pour faire le point de ses travaux.
Après deux mois de travaux, la Commission constitutionnelle, présidée par Me Halidou Ouédraogo, a élaboré l’avant-projet de la nouvelle Constitution. A ce titre, elle a animé une conférence de presse, le mardi 10 janvier 2017, à Ouagadougou, pour décliner les grands principes qui ont prévalu à sa rédaction. Dans la déclaration liminaire lue par le rapporteur général de la Commission constitutionnelle, Luc Marius Ibriga, il est ressorti cinq points autour desquels l’avant-projet a été rédigé. Ce sont l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la redevabilité dans la gestion publique, la consolidation de l’Etat de droit et la stabilité et l’équilibre des institutions. Au niveau de l’équilibre des pouvoirs, les commissaires ont, à l’unanimité, admis le régime présidentiel qui, selon eux, «permet une meilleure articulation des pouvoirs afin de favoriser une culture de l’alternance et du compromis». Ce principe a clarifié les rôles des parties prenantes au sein de l’exécutif afin de situer les responsabilités. «Comme dans les régimes précédents, le président du Faso reste la figure majeure du dispositif institutionnel. Les modalités de son élection ne changent pas. Il est élu au suffrage universel direct au terme d’une élection qui peut comporter deux tours. Il ne peut par ailleurs prétendre à plus de deux mandats continus ou discontinus», stipule l’avant-projet de la Constitution. Toutefois, la Commission constitutionnelle a proposé un encadrement de l’exercice des pouvoirs du chef de l’Etat sur bien d’aspects. Par exemple, les personnes nommées par le président du Faso aux hautes fonctions civiles et militaires devront recevoir l’approbation de l’Assemblée nationale. L’exercice du droit de grâce requiert également l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Dans cette dynamique, le parlement se trouve renforcé mais contrôlé. L’avant-projet propose que l’Assemblée nationale soit désormais maîtresse de son ordre du jour et que le domaine de la loi soit étendu à la réglementation des marchés publics. Dans le même volet, l’avant-projet suggère une consécration des droits de l’opposition politique. «La nouvelle Constitution oblige le président de Faso à consulter l’opposition politique sur les questions d’intérêt national. Il a, en outre, la faculté d’organiser des concertations périodiques avec l’opposition», a déclaré le rapporteur général.
«Juridiction constitutionnelle modernisée»
Au titre du deuxième principe intitulé ‘’souci de garantir l’indépendance de la justice’’, les commissaires souhaitent une justice indépendante ouverte au contrôle du citoyen. «Néanmoins, l’indépendance n’excluant pas le contrôle, l’avant-projet de Constitution ouvre une nouvelle perspective et renforce le mécanisme de contrôle de la société sur les institutions judiciaires et les personnes qui l’animent», a précisé Luc Marius Ibriga. L’avant-projet milite aussi en faveur d’une juridiction constitutionnelle modernisée. Ainsi au lieu de Conseil constitutionnel, l’institution sera désormais désignée sous l’appellation Cour constitutionnelle. Sa composition, stipule l’avant-projet, sera plus démocratique d’autant plus que les membres de la Cour sont nommés pour un mandat unique de neuf ans non révocable, ce qui doit leur permettre de remplir leur office «dans la tranquillité et la sérénité». «En éclatant les autorités de désignation des membres de la Cour et en exigeant une nomination de son président par ses pairs, la nouvelle Constitution renforce les garanties d’indépendance de l’institution», a relevé le rapporteur général de la Commission constitutionnelle.
Pour ce qui est de la redevabilité dans la gestion publique, l’avant-projet de la nouvelle Constitution conseille le changement de nature de la Cour des comptes qui va devenir une institution supérieure de contrôle détachée du pouvoir judiciaire. «Ses membres appartiennent à un corps particulier. Cette option met fin au malaise qui a longtemps contribué à obérer le travail de la Cour des comptes en raison de la diversité de statuts de ses membres et à son positionnement dans l’ordre administratif du pouvoir judiciaire», a souligné le conférencier. Le troisième point admet également la consécration d’institutions constitutionnelles indépendantes dans divers domaines comme la lutte contre la corruption, l’administration des élections, la régulation des médias et l’intercession entre l’administration et les citoyens.
Droit d’initiative par voie de pétition
Le quatrième point relatif à la consolidation de l’Etat de droit suppose que la législation de l’Etat de droit doit être soumise au respect de normes qui sont supérieures à ces droits et qui fondent en conséquence leur possible contrôle, à savoir «les droits-libertés». Comme nouveaux droits citoyens, l’on peut citer, entre autres, le droit d’initiative législative par voie de pétition reconnu à 15 mille citoyens, le droit d’initiative référendaire reconnu à 50 mille citoyens et la possibilité pour chaque citoyen de demander compte à tout agent ou autorité publique de sa gestion.
Le cinquième principe, inhérent au souci de stabilité et de l’équilibre des institutions ainsi que de transparence du jeu politique, formule la garantie d’une Constitution stable. « En la matière, la Constitution de la IVe République s’est révélée être trop souple dans la pratique avec une dérive vers des révisions opportunistes et «déconsolidantes» de la démocratie. Tirant les leçons de cette histoire constitutionnelle récente, les commissaires ont œuvré à définir une procédure de révision assez complexe », a argué Luc Marius Ibriga.
Le Tribunal militaire sera-t-il maintenu ou pas ? Qu’entendez-vous par complexification de la révision constitutionnelle ? Qu’en est-il de la presse ? Ont demandé les journalistes.
Le Tribunal militaire maintenu
A la première question, le président de la Commission constitutionnelle, Me Halidou Ouédraogo, a répondu : «Avant le début des travaux, nous avons convenu que tout ce qui ne serait pas accepté de façon consensuelle, restera en l’état. Il n’y a pas eu de manipulation par rapport à la justice militaire». Et Luc Marius Ibriga de préciser que les commissaires ont proposé que le Tribunal militaire ne relève pas d’une loi simple, mais d’une loi organique. «L’organisation et le fonctionnement du Tribunal militaire seront contrôlés par la Cour constitutionnelle et ce, avant la promulgation de loi relative à cette juridiction», a-t-il clarifié. Par complexification de la révision, ont réagi les conférenciers, il faut comprendre que les modalités de modification de la loi fondamentale sont devenues rigides. Sous le régime Blaise Compaoré, ont-ils poursuivi, il y a eu sept révisions et cela ne sera plus possible. A propos de la presse, M. Ibriga a affirmé que la nouvelle Constitution réaffirme le droit à l’information et prévoit la mise en place d’un organe de régulation des médias.
Me Halidou Ouédraogo a indiqué que la Commission constitutionnelle va entreprendre des sorties dans les treize régions du pays pour exposer le contenu de l’avant-projet aux populations. Des missions similaires, a-t-il dit, seront entreprises au Mali, en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Gabon. «Nous allons nous rendre aussi à Paris (France), Bruxelles (Belgique), Rôme (Italie) New York (Etats-Unis d’Amérique) et à Montréal (Canada) pour la même chose. L’avant-projet sera soumis au président du Faso pour lecture et il nous le renverra au bout de huit jours», a-t-il conclu.
Karim BADOLO