La Nouvelle Alliance du Faso (Nafa), parti de l’ex-diplomate Djibrill Bassolé a "assisté à la stratégie du bouc-émissaire et à la persistance de la violence", entre autres, comme style de gouvernance employé au Burkina par le pouvoir du chef de l’Etat Roch Marc Christian Kaboré qui comptabilise un an de gestion, selon son président Rasmané Ouédraogo, dans une interview à ALERTE INFO.
Quel bilan la Nafa dresse de l’an I de Roch Kaboré ?
Comme j’aime le dire, pour faire un bilan de la gestion d’un an de ce pouvoir, il faut avoir un regard ne serait-ce que sur la transition pour savoir qu’est-ce qu’elle a légué aux nouvelles autorités. C’est essentiel pour comprendre le contexte actuel et son évolution. Et j’ai toujours dit que la transition a légué un passif politique, social, financier, judiciaire et diplomatique, complexe, sensible et délicat. Deuxième élément d’analyse les autorités actuelles qui sont-elles ? D’où viennent-elles ? Sont-elles étrangères à la situation du pays ces 25 dernières années ? Troisième élément d’analyse quel est le style de gouvernance pratiqué ?
Cela dit au plan politique, nous avons assisté à un pilotage à vue. Nous avons assisté à ce qu’on peut appeler la stratégie du bouc émissaire, des conflits ou des contradictions au sommet. Nous avons noté également que la violence persiste. Ensuite au plan économique vous-mêmes le constatez c’est le marasme. C’est deux lois rectificatives en trois mois ; quatre nouvelles taxes introduites presqu’en fin d’année dont l’efficacité reste à vérifier. C’est la misère jamais également des populations.
Au plan social vous avez noté l’installation symbolique du Haut Conseil de Réconciliation et de l’Unité Nationale (HCRUN), mais vous notez également la multiplication et la généralisation des mouvements sociaux. Presque tous les secteurs d’activités ont observé des grèves. Cela traduit de notre point de vue un déficit de dialogue franc, sincère, constructif, empreint de respect et de considération entre les gouvernants et les partenaires sociaux. Et je pense que la crise qui a retenue l’attention des Burkinabè c’est celle du secteur de la santé notamment la grève du SYNTSHA (syndicat de la santé, sans service minimum) et la situation de la Centrale des Achats des Médicaments essentiellement Génériques (CAMEG, qui se retrouve actuellement avec deux responsables à sa tête).
Au plan judiciaire nous avons observé l’instrumentalisation des juridictions d’exception dont le tribunal militaire et la Haute Cour de justice. Vous avez également suivi avec nous les menaces proférées par certaines Organisations de la société civile (OSC) et certaines personnes sur les institutions judiciaires. Vous avez suivi également ce que j’appelle les mises en accusation publique des plus hautes autorités du pays sur l'institution judiciaire à l’occasion de la commémoration de l’an II de l’insurrection populaire (des 30 et 31 octobre 2014.
Un autre chapitre noir c’est le plan sécuritaire on n’en parle pas. Le pays a été endeuillé puisque le pouvoir a démarré avec les attaques du 15 janvier 2016 (qui ont fait au moins 30 morts et une centaine de blessés) et j’allais dire qu’on a clos l’année avec les attaques du 16 décembre 2016 (qui se sont soldées avec 12 soldats tués dans les fusillades d’un poste de sécurité à Nassoumbou, au Nord du Burkina). Durant toute l’année il n’y a pas eu de répits pour le Burkina et ses forces de sécurité. Ce tableau peut paraître très noir mais c’est la réalité.
Tout a été noir selon vous, alors?
Je ne peux pas dire que le pouvoir en place n’a pas fait d’effort. C’est l’héritage qui est lourd et le pouvoir n’a pas fait preuve de courage et de franchise politique qui consiste à dire la vérité, la réalité aux populations. Dire ce qu’on est venu trouver comme situation et appeler tous fils et filles du pays à la compréhension et à la patience pour changer les choses. Mais on a donné l’impression que de façon sectaire ou clanique on peut réussir. C’est ça le pêché de ce pouvoir-là. Le discours est truffé de faux.
Que pensez-vous du gouvernement qui se dit confiant pour la mise en œuvre de son programme quinquennal après avoir réussi la tenue de la table ronde sur le Plan de Développement économique et social (PNDES) qui a obtenu 18.000 milliards FCFA d’intention de financement ?
Le PNDES est une bonne chose mais comme le chef de l’Etat (Roch Kaboré) lui-même l’a dit et cela a été précisé par le Premier ministre (Paul Kaba Thiéba) et d’autres spécialistes de la question, pour ces genres d’exercices il faut attendre l’aboutissement réel pour mieux apprécier. Les conditions à observer, les démarches à accomplir pour pouvoir bénéficier de ces annonces-là vont nécessiter beaucoup de travail et de contribution à tous les niveaux. J’espère seulement que l’année 2017 va permettre aux autorités en place de pouvoir faire suite aux exigences ou aux conditionnalités des partenaires pour qu’enfin la relance économique soit une réalité dans notre pays.
Quant aux investisseurs qui s’annoncent, c’est trop beau pour être une réalité. Quels sont les secteurs qui les absorberont. Les mines, l’agriculture, l’artisanat ou les services ? Nous souhaitons que ce soit le cas mais je n’en suis pas sûr. S’il y a bien une période ou le Burkina Faso a connu une stabilité, une sécurité et la facilitation pour les affaires, c’est bien sous l’aire Blaise Compaoré (président déchu à la suite de l’insurrection populaire) mais elle n’a pas attiré autant d’investisseurs. Aujourd’hui le secteur minier qui est l’un des secteurs qui attiraient le maximum d’investisseurs étrangers n’est pas totalement stabilisé. Les investisseurs ne sont pas totalement en phase avec la loi sur le code minier votée sous la transition. En tout cas ils regrettent certaines dispositions par rapport à l’ancienne loi de 2003. Donc je vois mal des investisseurs en nombre se bousculer et venir s’installer au Burkina.
Qu’avez-vous comme commentaire à faire sur la nomination du général Oumarou Sadou comme nouveau Chef d’état-major général des armées (CEMGA) ?
Je ne m’y connais pas très bien en sécurité mais je me dis que de façon psychologique, tout changement est porteur de répits et d’espoir. Ceci permettra une meilleure réorganisation pour l’action. Comme ça été fait dans les prérogatives du chef de l’Etat et dans un contexte où le doute commençait à s’installer quant à la capacité de la hiérarchie des forces armées de pouvoir contrer, voire endigué les attaques terroristes. En cela c’est un changement en soi à saluer. Mais il ne suffit pas seulement de changer la tête mais tout le système et dispositif. Il y a des difficultés structurelles, ponctuelles, endogènes et exogènes. Donc il faut trouver le bon schéma qui s’adapte au contexte actuel. En tout cas nous avons bon espoir qu’avec ce changement qui doit marquer le début d’un changement en profondeur des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), cela doit contribuer à ramener la sérénité, la sécurité et la quiétude dans notre pays.
Quelle est votre position sur la création d’un ministère plein de Sécurité que le chef de l’Etat n’exclut pas de créer ?
Là-dessus dès la mise en place du gouvernement le 12 janvier 2016, c’était une des observations que nous avons eu à faire au niveau de l’opposition pour dire que vu ce que nous avons vécu sous la transition, il fallait qu’on ait un ministère plein de Sécurité pour donner non seulement la volonté et l’orientation politique mais les moyens aux forces de défense et de sécurité pour faire face aux défis du moment. Je pense que c’est une reconnaissance du chef de l’Etat (Roch Kaboré) et du gouvernement de cette erreur de casting. Donc nous saluons cette perspective de changement.
L’annonce du président de rayer le général Isaac Yacouba Zida, ex-Premier ministre, de l’armée est une suite logique pour certains observateurs qui pensent qu’il y a eu un "deal" avec la transition qui a mal tourné. Quel est votre avis sur cette affaire ?
Nous faisons partie de ceux qui pensent qu’il y a un deal pour emprunter votre mot entre la transition et le pouvoir actuel. Nous le disons et l’assumons. Un deal mal tourné certainement. C’est ça la réalité du pouvoir. Et je pense que M. Zida aussi en a fait trop. D’abord son grade de général, échanger avec les autorités militaires, ce qui a été fait c’est une exception. C’est contraire au minimum de règles et principes de l’armée. Vous avez constaté qu’on a voté une loi spécialement pour le bombarder général. C’est ce qu’on appelle une loi personnelle, or une loi doit être impersonnelle par principe. Donc la base a été déjà fausse et injuste.
Pour ce qui est des sanctions en cours je pense que comme l’a dit le chef de l’Etat, c’est en respect des règles de l’armée. Et je pense même qu’il (Zida) a bénéficié de la magnanimité et de la patience du chef de l’Etat. En d’autres circonstances si c’était sous la transition vous ne ferez pas un moi sans être sanctionné. Ca aussi c’est encore frais dans nos mémoires. Donc je n’ai pas de commentaire particulier. Sauf constater et souhaiter seulement que le droit soit respecté. Ce n’est pas parce que c’est M. Zida qu’il ne doit pas bénéficier de la loi. Si les procédures sont respectées nous n’avons pas de commentaires particuliers. S’il est victime d’injustice, nous sommes les premiers à nous opposer.
Qu’est-ce qui explique le fait que la question de la réconciliation divise la classe politique de l’opposition dont votre regroupement et celui du chef de file Zéphirin Diabré ?
Ce n’est pas une question de division entre l’opposition de Diabré et la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation nationale (CODER). C’est d’abord une question de vision et de volonté politique d’aller ou pas vers la réconciliation nationale. Et pour nous la réconciliation nationale n’est qu’une étape. Ce qui importe pour nous c’est la paix, la cohésion sociale et le développement harmonieux de notre pays. Vous aurez remarqué qu’avant la création de la CODER, la question de la réconciliation n’était pas dans l’agenda politique hormis l’installation symbolique du HCRUN. J’insiste bien en disant symbolique. C’est avec la CODER que le concept de la réconciliation nationale a été admis dans l’agenda politique. Donc ça son sens et son intérêt. Le Chef de File de l'Opposition Politique (CFOP, Zéhirin Diabré) n’en avait pas fait une priorité. En tout cas pas comme la CODER le fait actuellement. Donc il y a une différence fondamentale.
Ensuite la CODER a une plateforme de huit points dans lesquels nous avons extrait quatre points pour en faire les éléments clés de notre offre politique à la nation. Donc la justice, la réconciliation et la paix, je dis bien la justice. Le deuxièmement élément porte sur la remise de la nation au travail et le troisième concerne la relance économique. Le quatrième élément prend en compte la sauvegarde de la démocratie. Personne ne dit mot sur tout ça. Et là où nous avons dit la réconciliation nous avons dit d’abord la justice. Ces genres d’avis et d’opinions nous avons suivi mais cela ne correspond pas à la réalité parce que nous-mêmes qui parlons sommes victimes de cette justice. Nous appelons à une justice impartiale, indépendante et restauratrice. Pas celle qui consiste à considérer un pan du peuple comme des parias, des gens à mettre hors d’état de nuire et les autres les anges ou les vrais Burkinabè.
Vous aurez remarqué que sont victimes de l’insurrection populaire ceux qui appartenaient à ce qu’on appelle le peuple insurgé. Les autres qui ont aussi subis des préjudices ne sont mêmes pas encore considérées comme des victimes encore moins des demandes de réparations. Nous n’avons pas peur de la justice, je le dis, nous voulons et souhaitons ardemment la justice mais celle impartiale, indépendante et restauratrice pour tout le monde. La justice tranche, condamne et punit. La justice n’est pas là pour concilier ou unir des victimes et des bourreaux. Nous avons actuellement plus de cinq mille dossiers judiciaires à gérer. Vous pensez que la justice peut de façon classique juger ces affaires en cinq ans. Nous disons que pour préparer les esprits à accepter non seulement les résultats de la justice et surtout se tendre la main par la suite, il faut un dialogue inclusif ou on va s’asseoir entre Burkinabè yeux dans les yeux dire j’ai fauté, tu as fauté.
Quelles sont vos attentes pour le procès des militaires de l’ex-Régiment de sécurité présidentiel (RSP) accusés de vouloir attaquer la Maison d’Arrêt et Correction de l’Armée (MACA) pour libérer les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé votre leader ?
Nous n’avons pas d’attente particulière ou spécifique pour telle position ou telle personne. Nous souhaitons que la justice dise le droit rien que le droit. Que ceux qui sont fautifs soient reconnus comme tels et punis. Ceux qui ne sont pas coupables qu’ils retrouvent leur liberté civique et politique.
Un mot sur la détention du général de gendarmerie Djirbill Bassolé ?
En tant que président de parti politique je n’ai pas d’appréciation à faire. Vous aurez constaté notre attitude depuis le début de ce dossier-là. Nous sommes des légalistes et républicains. Nous respectons les institutions quel que soit leur fonctionnement. Mais vous constatez avec nous l’évolution de ce dossier. Vous constatez avec nous que c’est plus d’un an après qu’on cherche à vérifier la véracité, l’authenticité ou l’originalité d’une des pièces clés de la procédure. Je vous laisse vous-mêmes apprécier. Vous êtes d’accord avec nous que Djibrill Bassolé qu’on le veuille ou pas c’est un prisonnier politique. On peut dire tout ce qu’on pense. Je ne peux pas dire s’il est impliqué ou pas mais je constate que c’est un prisonnier politique parce que tous les faits sont là pour le démontrer.
Et aujourd’hui si M. Bassolé ne peut pas trouver le minimum, c’est-à-dire la liberté provisoire, c’est essentiellement dû à des raisons politiques. Et c’est dommage pour notre pays qui actuellement à tous les atouts pour aller vraiment vers l’approfondissement de la démocratie et l’enracinement de l’Etat de droit. Aujourd’hui c’est Djibrill Bassolé et on pense que tous ceux qui parlent de ce sujet ce sont des gens aigris, des revanchards, en oubliant que demain ça sera quelqu’un d’autre. Il faut se battre pour le droit, la justice, la paix et l’unité nationale.
BBO