Grande figure du milieu culturel burkinabè, Wahabou Bara dirige désormais le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA). Six mois après sa nomination, il dresse la liste de ses acquis et annonce ses projets pour 2017.
Sidwaya (S.) : Vous étiez à la tête d’une entreprise culturelle privée florissante, pourquoi avez-vous mis fin à cette aventure en devenant directeur général du Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA) ?
Wahabou Bara (W.B.) : C’est l’occasion de mettre en pratique la somme de toutes ces expériences vécues dans le milieu culturel. J’ai côtoyé tout le secteur culturel de la sous-région et à l’international pendant une décennie. On m’a proposé une opportunité de passer à un autre stade avec une capacité d’écoute, d’anticipation, de l’audace. Même s’il y a des goulots d’étranglement parce que l’administration publique a ses règles. Est-ce qu’on pourra y imprimer la vitesse de croisière du privé ? C’est également une forme de reconnaissance de ces années passées à être un agitateur culturel. Je suis animé par le sentiment de défier mes limites.
S. : Votre nomination n’était pas gagnée. Nous avons appris qu’il y avait d’autres candidatures, mais vous avez été choisi par le Conseil des ministres. Comment appréciez-vous cette confiance des autorités ?
W.B. :Je suis reconnaissant au premier responsable de la culture, Tahirou Barry, au Premier ministre et aux autres membres du gouvernement parce qu’en Conseil des ministres, chaque proposition est discutée. Je les remercie pour cette marque de confiance. C’est la preuve que nous sommes(les acteurs culturels) observés. N’hésitions pas à intégrer les valeurs de travail, d’intégrité et de patriotisme.
S. : Pourtant certains acteurs culturels n’ont pas applaudi votre nomination.
W.B. :Ce sont des stimulateurs parce qu’ils me permettent de défier mes limites. Certains me connaissent, d’autres ont une idée arrêtée des acteurs culturels. D’aucuns pensent que ce sont des personnes qui ont échoué à l’école. Mais je suis en droit de montrer qu’un acteur culturel peut digérer le BBDA, voire la chose publique. C’est le symbole de la réussite du partenariat public/privé.
S. : Les nombreuses innovations au sein du BBDA semblent vous donner raison.
W.B. :J’ai été membre du comité de répartition du BBDA en 2014 au titre des producteurs et du Fonds de promotion culturelle. Je connais plus ou moins la maison. Dans nos voyages, la question du droit d’auteur revient régulièrement. Ayant été auteur, producteur, éditeur, je comprends la difficulté du monde culturel. J’ai une vue transversale des problèmes liés aux différentes filières (musique, le cinéma, la littérature, le patrimoine). On discute régulièrement en dehors des cadres de concertation de notre ministère de tutelle. Il y a des cadres informels où je me retrouve parfois avec le doyen et plasticien Siriki Ki, le cinéaste Idrissa Ouédraogo, l’artiste-musicien Yssouf Compaoré, Jacques Guégané de la filière littéraire, le docteur Vincent Sedego du patrimoine. L’une des lacunes du BBDA est la visibilité. Le BBDA a 31 ans mais nombre de personnes ignorent les missions lui sont assignées, même la première partie prenante, constituée des créateurs. Nous allons travailler à instaurer une culture du droit d’auteur. Le droit d’auteur est le pilier des industries culturelles et créatives. Si on arrive à donner des infrastructures au droit d’auteur, on est sûr de faire du Burkina Faso une force économique culturelle. Pour nous, les différentes parties prenantes doivent être sensibilisées aux rôles des uns et des autres. Les créateurs sur les mécanismes d’affiliation, de distribution des droits, les utilisateurs d’œuvre de l’esprit sur l’ordre tarifaire et sur la destination des sommes reçues. Les pouvoirs publics peuvent investir dans la consolidation du droit d’auteur .Cela permettra de sauver plusieurs emplois dans la culture et de positionner le Burkina comme une nation prospère. Le Burkina a son mot à dire dans l’économie du savoir.
S. : Est-ce la raison pour laquelle, vous rencontrez des partenaires notamment les douanes?
W.B. : Le BBDA a signé une convention avec la douane depuis 2003.Cette convention a permis au BBDA de percevoir au titre de la copie privée des montants considérables. Mais ces montants ont connu une chute drastique depuis 2014 parce que le système d’importation et d’exportation SYLVIE n’a pas actualisé la liste de certains produits soumis au droit d’auteur. Faisant ce constat, nous sommes allés vers les services des douanes pour traduire notre compassion pour les agents tués lors des attaques terroristes et relancer notre coopération. Nous avons déjà des résultats. La douane fait 60% de nos perceptions.
S. : Parlant de perception, comment compter convaincre les médias qui refusent de payer les droits d’auteur ?
W.B. :Nous travaillons à accroître la sensibilisation. Les médias ont des statuts différents ; l’idée est de revoir l’ordre tarifaire pour l’adapter aux médias. Nous travaillerons aussi en 2017 à doter les journalistes de droit d’auteur parce qu’il y a une production artistique et littéraire à ce niveau. Si la documentation est assez fournie, on pourra réparer cette injustice. Au cas où la sensibilisation ne marchera pas, nous allons utiliser la justice, mais nous ne voulons pas en arriver à cette étape. Il ne faut pas aller vers un droit d’auteur contraignant, mais plaisant. Je demande aux patrons de presse de faire preuve de solidarité avec les artistes.
S : A propos des droits d’auteur dans les médias. Sera-t-il destiné au journaliste ou à l’organe de presse ?
W.B : Nous sommes en train d’analyser toutes les pistes.
S. : Lors de la Rentrée du droit d’auteur(RDA), vous avez mis l’accent sur les artistes du troisième âge à travers une collecte de fonds. Pourquoi une telle initiative ?
W.B. :Certains créateurs vivent aujourd’hui dans la précarité qui n’honore pas la profession. Ils ont porté haut le flambeau de la culture burkinabè , du cinéma, de la musique, des arts plastiques,etc. En attendant l’effectivité du statut de l’artiste, il est prévu dans les statuts du BBDA le soutien aux membres. Il est de notre devoir, nous les jeunes, d’aider ces personnes âgées en mettant en place un fonds baptisé AMA (Aide aux membres âgés). A l’occasion de la rentrée du droit d’auteur, nous avons réussi à mobiliser 18 millions de F CFA. La somme sera repartie à partir du premier trimestre 2017 à cent créateurs issus de différentes filières. Chacun bénéficiera de 50 mille F CFA par trimestre soit 200 mille FCFA par an. Nous avons également mis en place un comité de lobbying, présidé par le comédien Auguste Sorgho, pour renforcer cette somme. Les autres membres sont Siriki Ki (Arts plastiques), Daniel Kollo Sanou (Cinéma), Issouf Compaoré (Musique moderne), Kisto Koinbré (Musique traditionnelle) et Jacques Guégané (Littérature).
S. : Comment se fera le choix de ces artistes en difficulté ?
W.B. :Les artistes concernés doivent déposer des dossiers auprès du comité de gestion parce qu’il faut justifier sa précarité. Le BBDA n’a fait que lancer le fonds et l’alimenter grâce à ses relations.
S. : En 31 ans d’existence, le BBDA vient enfin de se doter d’une assemblée générale. Quel sera son rôle ?
W.B. :L’assemblée générale est l’organe suprême du BBDA. Elle n’a pas pu être mise en place à cause de nombreuses voix discordantes parmi les artistes. Certains ne comprenaient pas le bien-fondé de cette assemblée générale. Son absence empêchait l’implication des artistes dans le processus décisionnel du BBDA. L’assemblée générale est l’organe de délibération et qui donne les grandes lignes de la politique de distribution des sommes perçues par le BBDA. C’est l’organe suprême, fort de cinquante-cinq membres. C’était l’une des révendications des membres lors de la crise qui a secoué le BBDA.
S. : En dépit de vos efforts, le phénomène de la piraterie sera l’un des obstacles à la mobilisation des droits d’auteur. Comment comptez-vous la combattre ?
W.B. : En 2017, le Comité national de lutte contre la piraterie des œuvres littéraires et artistiques (CNLPOLA), dont nous assurons le secrétariat général, sera plus opérationnel. Nous allons passer à une vitesse supérieure en conciliant sensibilisation et répression. Si nous créons un environnement propice à une culture de droit d’auteur, la distribution des œuvres illicites reculera. Il faut que les Burkinabè comprennent que le droit d’auteur n’est ni une taxe ni un impôt, mais un droit, une compensation de l’utilisation d’une œuvre littéraire et artistique. Le droit d’auteur est la première richesse d’un créateur. En d’autres termes, le droit d’auteur est pour l’auteur ce que le sang est pour le corps humain.
S. : Quels sont vos projets pour consolider le BBDA en 2017 ?
W.B. :En 2017, nous allons poursuivre la sensibilisation des créateurs, des utilisateurs des œuvres de l’esprit et des pouvoirs publics. C’est aussi augmenter le volume des recettes, opérationnaliser le CNLPOLA et accroître la positivité du personnel. J’en profite pour souhaiter mes vœux de stabilité au Burkina Faso. Aux créateurs, je souhaite beaucoup de fécondité artistique.
Alassane KERE