L’opération « Relais-cité » de Saponé, localité située à 25 kilomètres au Sud de Ouagadougou, initiée par le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat en 2013, avait suscité beaucoup d’engouement. Mais, trois ans après, les heureux bénéficiaires ne savent plus à quel saint se vouer, car des habitants de Tôghin, un des villages engloutis par la cité, les empêchent de mettre en valeur leur terrain. Pourquoi? Que dit le ministère ? Les réponses dans les lignes qui suivent.
Jeune ingénieur en génie civil de 31 ans, Daniel Sanou (un nom d’emprunt) venait d’intégrer la fonction publique quand il a souscrit en 2013 à l’opération dénommée « Relais-cité » de Saponé du Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat (MUH). Faisant partie, des 1 900 chanceux tirés au sort parmi 6 000 souscripteurs, il a acquis une parcelle de 436 m2. Son rêve d’avoir « un chez-soi » était en passe d’être une réalité. Mais sa joie s’est vite transformée en cauchemar. Avec un prêt de 3 500 000 F CFA qu’il a contracté auprès de sa banque et des économies réalisées grâce à des prestations privées, il a réglé tous les frais afférents à sa parcelle (environ 2 600 000 de F CFA) et payer des agrégats pour bâtir sa maison. Avant le début des travaux, il s’est rendu sur sa parcelle avec un ami en début d’année 2015 pour la nettoyer. Ils ont coupé les arbres et mis le feu aux ordures. « C’est en ce moment que deux jeunes ont débarqué sur une moto et nous ont dit d’un ton violent et comme s’ils s’adressaient à des enfants d’éteindre le feu, faute de quoi, nous aurons des problèmes », se souvient-il. M. Sanou certifie s’être rendu à la gendarmerie de Saponé, à la Direction générale de l’urbanisme et des travaux fonciers (DGUTF) pour se renseigner s’il a le droit de construire sa maison. « A la gendarmerie, un pandore a appelé le service domanial de la mairie de Saponé et son répondant lui a notifié que je peux construire. A la DGUTF, j’ai appris qu’il y a eu de petits soucis avec des autochtones, mais tout serait réglé. Ayant reçu le feu vert des deux services, j’ai amené sur mon terrain des agrégats. J’ai aussi recruté quelques jeunes de la localité pour commencer les travaux et je suis retourné à Ouagadougou », relate-t-il.
Les bénéficiaires déclarés persona non grata
Dans la soirée, un de ses employés l’informe qu’un vieux est venu « hurler » pendant des heures, tout en disant qu’aucune maison ne sera construite sur la parcelle. « Je suis reparti à Saponé voir le vieux. Ce dernier m’a fait comprendre que personne ne peut construire dans la cité sans me dire pourquoi. Il m’a demandé d’appeler leur responsable Michel Ouédraogo, agent de la SONABEL à Ouagadougou pour des explications. Ce que j’ai fait. Celui-ci m’a assuré que je peux construire. J’ai livré le contenu de notre communication au vieux qui n’a pas contesté et je suis reparti », indique-t-il. C’est donc rassuré que Daniel Sanou a donné l’ordre de continuer les travaux. Le surlendemain, alors qu’il était sur son chantier, le même vieux est réapparu, selon lui, avec une dizaine de jeunes. « Nous avons donné ton nom à des fétiches et si tu continues, tu vas mourir », m’ont-ils signifié. Au regard du climat délétère, des menaces de mort qu’il reçoit chaque fois qu’il se rend sur sa parcelle, M. Sanou est contraint d’arrêter les travaux de sa maison. « Depuis lors, c’est le statu quo. Je n’ai pas de maison et je suis obligé de subir les tracasseries des bailleurs », se plaint-il, révolté. Si le jeune travailleur connait au moins l’emplacement de son terrain, ce n’est pas le cas du frère d’Etienne Kaboré, conseiller en gestion des ressources humaines. « Mon aîné a souscrit à la tombola et est parti en Côte d’Ivoire. Il a été tiré au sort et c’est moi qui ai fait toutes les formalités afférentes à sa parcelle. Après quoi, les techniciens du MUH ont organisé une séance d’identification des terrains. Mais, ce n’est que de loin que la parcelle de mon frère m’a été montrée. Car, des autochtones sortis nombreux ce jour, nous ont menacé et chassé des lieux », déplore-t-il.
Arrêt des travaux
de viabilisation
De retour au pays, le frère de Kaboré est informé de la situation. « Compte tenu des risques sécuritaires, il a préféré ne pas s’aventurer dans la cité », se désole-t-il. Comme ces deux infortunés, aucun attributaire des parcelles du Relais-cité de Saponé n’a pu exploiter son lopin de terre. Si des routes ont pu être tracées sur le site, seulement quelques rares bâtisses inachevées, des poteaux électriques, des restes de cultures, des herbes, des arbres, des caniveaux inachevés en dégradation, sont visibles. Gestionnaire du chantier d’assainissement de la cité, Issaka Compaoré dévoile que son équipe a été chassée des lieux, le 1er décembre 2015. « La population nous a dit qu’elle n’a rien contre nous. Mais en veut au MUH. Elle a clamé que tant que ses revendications ne seront pas satisfaites, elle ne veut voir aucune machine pour des travaux. Nous avons donc décampé. Comme les caniveaux n’étaient pas achevés, l’eau de pluie a dégradé ce qui a été réalisé », regrette-t-il. Pourquoi, un tel imbroglio ? A l’origine de ce refus catégorique de mise en valeur des terrains et de viabilisation du Relais-cité de Saponé, des autochtones du village de Tôghin, situé à la partie droite de la cité (en venant de Ouagadougou) avec à leur tête le doyen Ousmane Ilboudo, alias Yéro. Ces derniers chassent et menacent tous ceux qui s’aventurent sur le site pour des travaux. En effet, le Relais-cité occupe les terres de trois villages que sont Tôghin, Bologo (à droite) et Banemtenga (à gauche). Au moment du lotissement de la cité, les habitants des trois localités ont crié à l’expropriation de leurs champs et d’une partie des habitations, à la non implication des propriétaires terriens...En plus, ceux de Tôghin ont dénoncé la spoliation d’une bande rouge qui comprend la cour royale, des tombes et les sites rituels du village.
Des « avocats »
à la rescousse
Pour obtenir gain de cause, les trois villages ont mis en place le Collectif Saponé composé de sept membres dont Michel Ouédraogo, David Bonkoungou, militaire à la retraite et Yéro. Face « au refus » du défunt maire de la commune, François Konseiga et du MUH de l’époque de les écouter, ils ont fait appel à l’expertise du Mouvement de solidarité pour le droit au logement (MSPDROL). Le vice-président du mouvement, par ailleurs porte-parole du réseau NOVOX au Burkina Faso, Seydou Traoré explique qu’effectivement, le MUH a commencé à lotir la cité sans parler du dédommagement des propriétaires terriens, des populations qui seront déguerpies et sans suivre les règles en la matière. Une situation qui a engendré, à l’en croire, le refus catégorique de l’opération par les autochtones, le déterrement des bornes et l’expulsion des entreprises chargées de l’aménagement du site. « Quand j’ai pris le dossier en main, j’ai échangé avec le directeur général de l’urbanisme et des travaux fonciers, Léon-Paul Toé, actuel secrétaire général du MUH et d’autres agents du ministère. Ils ont décidé d’indemniser chaque propriétaire terrien en fonction de la surface perdue », certifie-t-il. En plus, dit-il, le MUH a aménagé une trame d’accueil de 2 900 parcelles pour dédommager des habitants. « Cela est largement suffisant pour les trois villages », estime-t-il. Tous ces acquis, soupire-t-il, n’ont pas satisfait les autochtones de Tôghin et Bologo qui ont demandé des parcelles dans le Relais-cité notamment celles de la bande rouge. Même s’il juge la requête anormale, Seydou Traoré soutient avoir négocié avec le MUH pour sa satisfaction. « Après l’identification d’une cinquantaine de personnes domiciliées dans la cité, le MUH a consenti à leur octroyer 108 parcelles. Il a demandé de dresser une liste des bénéficiaires. Ce qui a été fait par les autochtones eux-mêmes », relate-t-il. Il assure que pour plus de transparence, il a rejoint les autochtones dans leur famille pour lire les noms inscrits sur la liste. Seul un nom a été contesté, personne ne connaissant l’intéressé. « Je leur ai recommandé de se concerter et de remplacer le nom. Après quoi, nous avons déposé la liste finale à la DGUTF et les attributions ont été faites », confie-t-il.
Des défenseurs
devenus « Judas »
Alors que M. Traoré pensait que la hache de guerre était enterrée entre le MUH et les autochtones de Saponé, des habitants de Tôghin dénoncent des actes de corruption. « Ceux que nous avons placés à la tête du collectif Saponé, notamment Michel Ouédraogo et David Bonkoungou, nous ont trahis. Ils ont tripatouillé la liste et mis le nom de leurs cousins et de jeunes résidents à Ouagadougou qui ne connaissent même pas Saponé. Ces gens ont eu des parcelles au détriment de parents de défunts et de vieilles personnes. Seydou Traoré était correct. Malheureusement, il a été coopté par les traîtres et rame maintenant contre nous », détaille Yéro, tout en précisant qu’à un moment de la lutte, seules les trois personnes citées géraient les affaires. A l’en croire, Seydou Traoré aurait reçu deux parcelles, les sieurs Ouédraogo et Bonkoungou aussi même s’il ignore le nombre pour les deux. Et ce, s’offusque-t-il, au détriment de la résolution des problèmes des autochtones. « La bande rouge constitue le cœur du village de Tôghin et nous n’accepterons jamais de la perdre. Nous réclamons donc l’annulation de l’attribution des 108 parcelles. Nous voulons que le MUH nous cède toutes les parcelles de la zone litigieuse (environ 200) et nous allons positionner les gens nous-mêmes en fonction des sites rituels », exige-t-il. Outre la bande rouge, la condition pour que les attributaires puissent mettre en valeur leur parcelle est, selon les « opposants », le dédommagement des propriétaires terriens, et l’attribution des terrains de la trame d’accueil qui n’avait pu se faire à cause de la mesure de suspension des opérations de lotissement décrétée le 5 novembre 2014. Les protestataires ont-ils conscience du tort qu’ils font aux innocents attributaires de parcelles dans le Relais-cité? Pourquoi ne veulent-ils pas d’ « étrangers » à Saponé ? A ces questions, Issa Ouédraogo rétorque que la charité bien ordonnée commence par soi-même. « Nous réfutons les allégations qui disent que nous ne voulons pas d’étrangers, car la construction de la cité permettra de développer Saponé. Mais toutes nos terres, nos champs ont été pris par le Relais-cité. Nous ne saurons libérer les lieux sans savoir où aller ni comment vivre. Nous pensons que les attributaires ont intérêt à se joindre à nous pour que le MUH résolve le problème », souhaite-t-il.
Les « caprices »
des autochtones…
Michel Ouédraogo et David Bonkoungou, tous ressortissants de Bologo ne reconnaissent pas la bande rouge réclamée par Tôghin et estiment avoir été honnêtes. Ils expliquent: « Bologo a fait sa liste, Tôghin aussi. Nous avons fusionné les deux listes et déposer celle finale au ministère. Nous n’y avons pas mis nos noms, donc pas acquis de parcelles dans les 108. Tout a été fait dans la transparence. Dans les terrains attribués, Bologo n’a eu que 20% contre 80% pour Tôghin », argumente M. Ouédraogo. Ce qui, selon lui, fâche les ressortissants de Tôghin, c’est le fait qu’il ait bénéficié de quatre parcelles dans la cité pour lui et ses proches de même que David Bonkoungou. « Nous avons fait la demande au MUH qui a accédé à notre requête. Nous n’avons pas volé, ni bénéficié d’un traitement de faveur comme ils le disent. Les habitants de Tôghin ont démissionné à un moment donné de la lutte. C’est nous qui avons fait tous les sacrifices et nous estimons que nous méritons amplement les parcelles reçues », se défend-il. Avec son compère, il défie quiconque de démontrer leur malhonnêteté. « Si c’est le cas, que la personne nous traduise en justice », argue-t-il. Seydou Traoré, lui, trouve que les habitants de Tôghin font preuve de mauvaise foi. « Le MUH n’était pas obligé de donner des parcelles dans la cité. Mais, il l’a fait pour préserver la paix. Il a accédé à toutes les requêtes, supporté les caprices des autochtones pour qu’on puisse terminer l’opération. Je leur ai signifié en vain qu’ils n’ont plus le droit d’empêcher la mise en valeur des terrains. S’ils jugent qu’il y a eu maldonne, qu’ils aillent se plaindre à la gendarmerie ou même intenter un procès contre les fautifs », conseille-t-il. Parlant des parcelles qu’il a reçues, il certifie que c’est le MUH qui lui en a fait cadeau. « Au début, j’étais retissant de peur qu’on m’accuse de corruption. Toutefois, les responsables de la DGUTF de l’époque m’ont rassuré que cela n’a pas de lien avec l’action que j’ai menée pour les autochtones de Saponé », se justifie-t-il. Se disant écœuré par le comportement de ses anciens protégés, M. Traoré invite les bénéficiaires à se référer à la justice, et le MUH à prendre les dispositions idoines pour la mise en valeur de la cité.
Le MUH rejette
les accusations
Du côté du MUH, les incriminations des frondeurs sont rejetées en bloc. C’est plutôt leur boulimie qui est pointée du doigt. Le secrétaire général du ministère, Léon-Paul Toé, directeur général de l’urbanisme et des travaux fonciers en 2013, indique que contrairement aux allégations de Yéro et ses partisans, les chefs coutumiers dont les propriétaires terriens ont été associés au projet du Relais-cité. « Il est impensable de faire des lotissements sans associer les chefs coutumiers, car ce sont eux qui vous disent où vous pouvez mettre les pieds. Par le passé, nous avons perdu beaucoup de jeunes agents pour non-respect de cette règle. Aujourd’hui, nous ne badinons pas avec ça et Saponé n’a pas fait l’exception », répond-il. Sur la bande rouge réclamée, un technicien du ministère, Apollinaire Compaoré, ayant participé à l’aménagement du Relais-cité avance que les premiers travaux topographiques sur la base desquels les plans de lotissement ont été faits, ont permis d’identifier quelques familles, tombes et sites rituels. « Nous avons délimité la zone considérée comme noyau du village et c’est ce qui correspond aux 108 parcelles que nous leur avons attribuées afin de les fixer sur place. Aujourd’hui, ils font monter les enchères et réclament davantage, une centaine de parcelles, deux réserves foncières soit le double de la surface de départ. Chaque jour on identifie une nouvelle tombe. Vous trouvez que c’est un terrain complètement nu qui ne laisse pas percevoir qu’on y a enterré quelqu’un », désapprouve-t-il. Pour le responsable de la direction générale de l’urbanisme, de la viabilisation et de la topographie, nouvelle dénomination de la DGUTF, Yacouba Siko, ces réclamations dépassent tout entendement technique. Car, la zone ne peut pas grandir du jour au lendemain. Revenant sur l’attribution des 108 parcelles, le SG Toé pense que les habitants se sont faits piéger par leurs représentants Michel Ouédraogo et David Bonkoungou. Il martèle qu’en son temps, le MUH a voulu discuter avec les élus locaux, logiquement les dignes représentants de la population.
« Aucune parcelle attribuée en dehors des 108 »
Pourtant, cette option s’est butée au refus catégorique des autochtones. « Nous avons dû traiter avec ceux qu’ils ont désignés pour les représenter. C’est eux qui ont amené la liste pour l’attribution des parcelles. Si à l’arrivée, certains disent ne pas se reconnaître, c’est une cuisine interne qu’ils doivent faire. Ils ont été pris à leur propre piège, qu’ils s’assument » ! dit-il, très courroucé. Concernant la bande rouge réclamée par Tôghin, le SG considère que si la zone est vraiment sacrée, les habitants n’allaient pas demander son parcellement à leur profit. «C’est de la plaisanterie ce qu’ils racontent. Je suis convaincu qu’ils font tout ce bruit afin d’avoir plus de parcelles pour vendre », commente-t-il. Une thèse soutenue par Thiérry Yaméogo, directeur de la viabilisation. Celui-ci affirme qu’au cours de récentes discussions menées avec les « frondeurs » pour résoudre le problème, le ministère a proposé de retirer ses bornes de la zone réclamée. « Ainsi, il n’y aura plus de parcelles. Ils ont catégoriquement refusé cette option », étaye-t-il. A propos des parcelles que Michel Ouédraogo, David Bonkoungou et Seydou Traoré disent avoir eues, le DG Siko est formel que cela ne peut être que des terrains de la bande rouge. « J’insiste, nous n’avons fait qu’attribuer les 108 parcelles aux personnes figurant sur la liste dressée par les représentants des populations. Nous ne connaissons ni de près, ni de loin, ceux qui sont sur la liste », se démarque-t-il. En dehors de toutes ces considérations, il reconnait que les problèmes sont réels. Il regrette le fait que non seulement les attributaires qui sont à jour de leurs taxes ne peuvent pas construire, mais aussi les chantiers de l’école primaire, du centre d’éducation préscolaire et du château d’eau sont à l’arrêt. Il rassure que des rencontres ont été initiées avec le nouveau maire de Saponé, Idrissa Ouédraogo pour débloquer la situation dans les plus brefs délais avec des solutions qui satisferont toutes les parties. Chagriné, le bénéficiaire Daniel Sanou estime que ces propos du DG Siko relèvent du dilatoire, car ils n’indiquent pas le bout du tunnel pour les attributaires. A l’en croire, les explications données par les autochtones de Tôghin et le MUH démontrent un manque de sincérité des deux parties. « Je pense qu’il y a eu des trahisons entre les autochtones eux-mêmes. Je crois aussi que le ministère détient de nombreuses parcelles car les terrains dégagés dépassent largement les 1 900. Il ne veut pas dédommager les autochtones comme il se doit pour faire des affaires avec le surplus. Il serait donc judicieux de faire un audit de la gestion du Relais-cité », préconise-t-il. Il affirme qu’il n’est pas encore question pour lui d’abandonner sa parcelle ou d’envisager de se faire rembourser. Tout ce qu’il souhaite, c’est que le MUH règle définitivement le problème.
Eliane SOME