Confrontés à des difficultés d’ordre social, psychologique… des mineurs basculent parfois dans la délinquance. Des structures spécialisées dans divers domaines tentent de leur redonner une nouvelle vie. Voyage au cœur du programme de réinsertion sociale de ces mineurs en conflit avec la loi.
B. H, 17 ans, est pensionnaire au Centre d’éducation spécialisée et de formation (CESF) de Gampéla, situé à quelques encablures de Ouagadougou, sur la route de Fada N’Gourma. Admis dans ce centre, il y a une année, le jeune homme rêve d’ouvrir son propre atelier en mécanique automobile, une fois le secret des engins à quatre roues maîtrisé. B. H revient de loin. Après plus de cinq années de mauvaises fréquentations, il a fait le serment de tourner la page de la délinquance juvénile et de la consommation des stupéfiants. «Avant, je fumais des drogues comme le tramadol et le «05». Je ne dormais pas à la maison. Il m’est arrivé de passer une ou deux années sans rentrer en famille. Un jour, je suis allé voler, avec un ami, des cuivres à l’aéroport de Ouagadougou. Nous avons été arrêtés, jugés et conduits au centre de Gampéla», confie-t-il, laissant transparaître un brin de regret de ce passé peu honorable. Mais, aujourd’hui, susurre-t-il, il a tout arrêté et se sent mieux. A. Y, 15 ans, lui, évolue dans le métier de la couture. Il apprend cette profession depuis deux ans. Manipulant avec dextérité son outil de travail, l’aiguille de sa machine fait des mouvements de va-et-vient sur un morceau de tissu. «Je suis en train de coudre une chemise», précise-il.
Pensionnaire au CESF de Gampéla, il a du mal à évoquer les raisons qui l’y ont amené. «J’ai été pris pour vol de portable et d’amplificateur à Zorgho. Lorsque j’ai été arrêté, on avait décidé de me livrer aux groupes d’autodéfense Kogl-wéogo pour qu’ils me tuent. Mais, ils ont changé d’avis parce que les objets volés ont été retrouvés. J’ai donc été conduit à la gendarmerie, puis déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) où j’ai passé trois mois avant de venir au centre de Gampéla», se souvient-il. Pour A. Y, les conditions de vie au centre sont nettement meilleures à celles de la MACO. «On avoisinait la centaine de personnes dans la même cellule et dans ces conditions, on n’arrivait pas à dormir la nuit. On nous servait de la bouillie le matin et un seul repas à midi. Un agent pénitentiaire avait l’habitude de nous bastonner. Mon séjour en prison m’a ouvert les yeux», affirme-t-il. De nombreux jeunes comme B. H et A. Y doivent leur salut aux centres de réinsertion sociale d’enfants en conflit avec la loi. Dans la province du Kénédougou, à environ 450 km de la capitale, se trouve, la Maison de l’enfance, André Dupont de Orodara (MEADO). A T, 17 ans, admis dans ce centre à la suite d’un vol de portable, tout comme B H, rêve d’être un grand mécanicien d’automobile. Muni de clés et de tournevis, le regard braqué sur le moteur d’un véhicule, il vérifie avec attention, si rien n’a été oublié sur cet engin que ses camarades et lui viennent de réparer, sous le regard de leur moniteur. «Vous pouvez l’essayer», lance ce dernier. A. T s’exécute ! En un seul essai, il arrive à démarrer la voiture. Le groupe d’une dizaine de personnes explose de joie. A. T, qui est à sa deuxième année d’apprentissage, est confiant et pense déjà à son entreprise qu’il compte installer à Banfora, sa ville d’origine. «Mon objectif, c’est ouvrir cet atelier pour subvenir à mes besoins et aussi pour décourager certains jeunes qui s’adonnent à la délinquance» dévoile-t-il.
I. D est pensionnaire d’une autre structure d’accueil de mineurs, le Centre d’éducation et de réinsertion sociale des mineurs en conflit avec la loi (CERMICOL) de Koumi, localité située sur l’axe Orodara-Bobo-Dioulasso à une dizaine de Km de la deuxième ville du pays. Vêtu d’une blouse bleue comme les six autres pensionnaires du centre, I. D. explique son quotidien au CERMICOL. «Nous apprenons pour le moment tous les métiers enseignés, comme la couture, la soudure, la mécanique-auto, l’électricité-bâtiment et la menuiserie... Plus tard, nous allons faire notre choix», explique-t-il. Cet ancien apprenti-chauffeur dit avoir été flatté par son ami qui avait planifié une opération de vol à son insu. «Il est venu à la gare pour me demander de l’accompagner quelque part. Arrivés, il m’a demandé de l’attendre à la porte. Lorsqu’il a été aperçu, il m’a abandonné en prenant la clôture», relate-t-il tristement. Au procès, poursuit-il, le tribunal a trouvé que ma version n’était pas crédible. «Le juge m’a demandé, si je voulais apprendre un métier. J’ai répondu par l’affirmative et j’ai été conduit dans ce centre», ajoute-t-il, avec un ouf de soulagement. «Ici, je me sens à l’aise et je compte à la sortie m’essayer à l’élevage de volaille», souhaite-t-il. Tous ces enfants en conflit avec la loi ont un dénominateur commun. Ils ont tous séjourné dans les maisons d’arrêt et de correction avant de se retrouver dans ces différents centres en suivant une procédure de placement judiciaire.
Privilégier les peines alternatives
Le code pénal de novembre 1996 révisé en 2004 en son article 74 dit que toute personne âgée de 13 ans et plus est pénalement responsable, nous explique la juge des enfants au Tribunal pour enfant de Ouagadougou, Djénéba Sawadogo. «Nous recevons les enfants dont l’âge varie entre 13 et 17 ans. La condamnation à un emprisonnement est fonction de l’acte et de l’âge du fautif» indique-t-elle. Et de poursuivre que la décision du juge tient compte d’un rapport d’enquête sociale menée par les travailleurs sociaux des maisons d’arrêt et de correction qui précisent les conditions de vie matérielle de l’enfant. «Nous cherchons à savoir, si l’infraction de l’enfant a une cause, une explication. Une fois le mobile identifié, nous essayons de voir s’il peut être placé dans un centre», détaille-t-elle. Des voix s’élèvent de plus en plus pour demander aux Etats de privilégier les peines alternatives à l’emprisonnement ferme. «La plupart du temps, l’emprisonnement ferme a démontré ses limites. Car, en prison, la proximité de l’enfant avec les adultes le conduit malheureusement à adopter de mauvaises pratiques», argumente-elle. La Convention relative aux droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant préconisent les peines alternatives telles que le travail d’intérêt général, le placement dans des centres spécialisés en vue d’une rééducation, précise-t-elle. Dès son arrivée dans un centre, le mineur en conflit avec la loi est soumis à un processus de socialisation. «Nous voyons d’abord ce qu’on peut faire pour le jeune à travers nos structures de prise en charge psycho-sociale. Nous utilisons deux approches. L’approche différenciée qui consiste à la prise en charge individuelle de l’enfant par les éducateurs référents et la prise en charge globale», explique le directeur des études et de la planification de la MEADO, Lota Koura. Les enfants sont ensuite préparés à une réinsertion socio-professionnelle en leur assurant une formation professionnelle adéquate.
Contenir la violence
Au centre de Gampéla, les éducateurs sociaux ont la charge d’œuvrer au changement de comportement, à travers un travail éducatif. Pour y parvenir, ils disposent d’une série d’activités telles que les causeries éducatives, les entretiens, les activités socio-éducatives comme le théâtre, le cirque, le sport etc. L’enfant est soumis au règlement intérieur (interdiction de voler, de se bagarrer, etc.). «Si l’enfant arrive à intégrer ces éléments, nous pensons qu’il pourra respecter certaines normes au niveau de la société», affirme le directeur des études et des programmes, Somè Sagnon. Les enfants, dès leur admission au CERMICOL de Bobo-Dioulasso, sont soumis à un bilan psychologique à travers des entretiens et des tests psychologiques, confie le psychologue clinicien, Anselme Sanon. «A l’issue de ce bilan, nous élaborons un plan d’intervention en fonction de la spécificité de chaque enfant. Pour les enfants qui s’adonnent à la drogue, nous organisons une rencontre individuelle avec l’intéressé. Il s’agit d’un entretien spécifique comme la méthode «treet-net» qui consiste à détecter le problème avec l’enfant puis à identifier les dommages et conséquences liés à l’utilisation de ces substances», explique-t-il. Il précise que de nombreux enfants sont aussi confrontés à des troubles de comportement. Dans ce cas de figure, le centre procède à un débriefing pour amener l’enfant à expliquer ses comportements violents. «Cela lui permet de mieux se contrôler et de mieux maîtriser son environnement, mais plus en pensée qu’en action», commente le psychologue. Les responsables de ces structures de réinsertion sociale affirment, de manière unanime, que les enfants en conflit avec la loi sont, pour la plupart, issus de la rue, des enfants abandonnés, traumatisés ou confrontés à de multiples ruptures. «Ils se sentent abandonnés, et nous essayons de mettre de la création artistique soit en théâtre ou en musique autour de cela afin qu’ils puissent s’approprier leur situation», affirme M. Sanon. Un enfant inquiétait du point de vue comportemental, mais avec le travail abattu par l’ensemble de l’équipe et le lien de famille que nous essayons d’établir, rassure-t-il, nous sommes arrivés à le contenir et la violence qu’on redoutait est en train de diminuer. «La violence est un langage. C’est parce que quelque chose n’a pas été fait qu’elle émerge. Nous voudrions donc interpeller les parents sur leurs devoirs envers leur progéniture», plaide-t-il.
La récupération de certains enfants en conflit avec la loi, constitue parfois un cauchemar pour l’équipe d’encadrement. «Entre 2013 et 2014, nous avons reçu trois enfants que nous n’avons pas pu gérer», explique le directeur des études et des programmes du centre de Gampéla. Ces enfants, venus des tribunaux de Tougan, de Ouahigouya et de Ouagadougou, poursuit-il, n’avaient aucun respect du règlement intérieur. «Ils arrivaient toujours à sortir sans autorisation pour voler. L’un d’entre eux a une fois été ligoté pour fait de vol. Il n’a eu la vie sauve qu’en mentionnant le nom du centre», témoigne-t-il. Un autre enfant venu de Fada N’Gourma a également donné du fil à retordre à l’encadrement. «Malgré notre dispositif de surveillance, ce dernier arrivait toujours à se procurer de la cigarette et autres stupéfiants comme le tramadol. Face à cette situation, nous avons opté de laisser partir les enfants en pareille situation au risque qu’ils contaminent l’ensemble des enfants», déclare M. Sagnon. Lamien Etienne Marie Guy, attaché d’éducation spécialisée se souvient aussi des moments difficiles qu’il a connus avec l’un des pensionnaires de la MEADO. «O. a été placé pour avoir dérobé avec ses amis, une somme de plus de 100 000 avec effraction dans une boutique à Gaoua. Lorsque j’ai pris son dossier, je me suis rendu compte que sa pathologie était beaucoup avancée. Je lui ai donc accordé une attention particulière» explique-t-il. Au départ, tout allait bien, relève-t-il, mais en fait ce n’était qu’une apparence. O. sera encore impliqué dans des cas de vols, jusqu’au jour où il va subtiliser un appareil MP3 de son ami. Démasqué, ce dernier va élire domicile au marché. Après qu’il a été aperçu et ramené au centre, O. va afficher de bonnes intentions. «Mais ce n’est que peine perdu. Il va de nouveau rejoindre son lieu habituel pour se retrouver quelques temps plus tard à Banfora», raconte Lamien Etienne Marie Guy. Aux dernières nouvelles, le centre a été informé, qu’il aurait commis un vol chez sa patronne pour se rendre en Côte d’Ivoire. Il sera rattrapé et déféré en prison. En plus de ces nombreuses récidives, les encadreurs font parfois face à des situations plus dramatiques. Un pensionnaire A. S (16 ans) de la MEADO a ôté la vie d’un autre, Wendmi à la suite d’un «deal» foireux. Pour prévenir des drames similaires, les responsables des centres préconisent désormais la séparation des enfants en conflit avec la loi et ceux en danger. Il faut une prise en charge différentielle, disent-ils, car pendant qu’ils s’échinent afin que les enfants qui s’adonnent aux substances nocives abandonnent ces pratiques, ces derniers entrainent les autres dans la prise de ces stupéfiants.
La transmission du savoir
Les centres réussissent tant bien que mal à récupérer des enfants qui, au début, étaient au bord de la déchéance morale. Pour l’année écoulée 2015-2016, 28 jeunes ont été installés par le centre de Gampéla. «Pour qu’un enfant évoluant dans la soudure puisse bénéficier de notre soutien, il faut que ses parents lui trouvent un local, fassent le raccordement électrique avant que nous lui trouvions l’ensemble du matériel nécessaire pour le bon fonctionnement de son atelier», explique le directeur des études et des programmes du centre de Gampéla. Au niveau de la MEADO, 20 pensionnaires en fin de formation reçoivent chaque année un kit complet d’installation. «Nous avons quelques données qui montrent que certains réussissent. Nous recensons une dizaine de pensionnaires qui tirent leur épingle du jeu. Deux de nos pensionnaires sont même devenus des aide-moniteurs», raconte le DG de la MEADO, Yacouba Yago.
Grâce aux centres de réinsertion, des jeunes arrivent à s’intégrer dans la vie active. C’est le cas de R. K, un pur produit de la MEADO de la promotion 1990-1993. Aujourd’hui, la menuiserie n’a plus de secret pour lui. Il affirme, avec fierté, gagner sa vie grâce à ce métier. Installé à son propre compte à quelque 300 mètres du centre, il emploie trois personnes dans son atelier. N. T, par contre, n’a pas attendu l’aide du centre pour ouvrir son atelier. Et c’est avec joie qu’il confie : «J’ai fait mon apprentissage à la MEADO de 2009 à 2013. Je maitrise la soudure. J’arrive à confectionner des ouvertures de maisons, des chaises et bien d’autres articles». D. S s’est installé, quant à lui, à son propre compte en 2008 en qualité de menuisier grâce au soutien du centre et depuis 2013, il intervient à la MEADO comme aide-moniteur. Pour lui, c’est un honneur de transmettre le savoir qu’il a acquis au centre à ses «frères». «Avec les conseils reçus, nous essayons, à notre tour, de les transmettre à la nouvelle génération afin qu’elle réussisse aussi», soutient-t-il. Au centre de Laye, le directeur affirme qu’aujourd’hui plusieurs ex-mineurs du centre encadrent dans leurs ateliers, leurs frères du village, auxquels, ils évitent l’oisiveté, les affres de la rue et le chemin de la délinquance qu’eux-mêmes ont connus.
Abdoulaye BALBONE