Comme on le subodorait, les avocats de la défense se sont présentés à l’audience hier 21 décembre 2016, mais c’était pour mieux la quitter, car ils se sont déportés, arguant n’avoir pas eu assez de temps pour étudier leurs dossiers et préparer la défense de leurs clients. Le tribunal, qui en a pris acte, a renvoyé le dossier au 5 janvier 2017 en attendant la commission d’office de nouveaux avocats.
Cette audience devait reprendre hier à midi comme annoncé la veille par le président du tribunal militaire, Seydou Ouédraogo. En fait, avant l’heure indiquée, les avocats étaient déjà au prétoire, et les 29 accusés dans leur box, les journalistes et le public installés dans la mezzanine du palais.
A 12h07mn, le greffier est venu déposer son plumitif. C’est le signe avant-coureur de l’imminence de la reprise de l’audience, suspendue la veille à midi. Et quelques minutes plus tard (12h14), le tribunal effectuait son entrée au prétoire.
Après un bref rappel des raisons de la suspension de l’audience de la veille, le président, Seydou Ouédraogo, a donné la parole à la défense, qui tenait à revenir sur son préalable déjà évoqué au premier jour du procès.
C’est Me Arnaud Sampébré qui a été le premier à s’exprimer. Il a déclaré que lui et ses collèges n’ont pas eu assez de temps (seulement 24h) pour éplucher la cinquantaine de pièces du dossier que le parquet a mis à leur disposition mardi dans l’après-midi. Par conséquent, «nous ne sommes pas en état d’assurer convenablement la défense de nos clients». Me Sampébré a alors réitéré la requête du renvoi du dossier dans deux semaines. Cette requête a été appuyée par Me Christophe Birba.
Une requête qui n’est pas du goût du commissaire du gouvernement, Alioun Zanré, même si ce dernier n’était pas fondamentalement opposé à l’idée que l’on accorde un délai supplémentaire à la défense pour bien fourbir ses armes. Il a du reste rappelé que c’était encore sa position la veille vu que les parties prenantes au procès sont là pour la même cause, le triomphe de la vérité. Pour manifester son engagement pour un procès équitable, Alioun Zanré a annoncé avoir mis à la disposition de la défense une salle commode pour la consultation de l’entier dossier de ce procès. Le parquet militaire a défié quiconque d’apporter une preuve du contraire. « Nous ne voulons pas de choc avec qui que ce soit, mais on doit aller aux débats », a ajouté le commissaire du gouvernement. Pour l’un des substituts du procureur, le ministère public pense que la demande de deux semaines est tout simplement excessive.
Après avoir suivi les échanges, Me Arnaud Ouédraogo a l’impression que le parquet pense qu’on le met en cause. «Personne ne vous met en cause en quoi que ce soit, c’est juste un constat qui est fait pour assurer le droit de la défense. Ce n’est pas une question de défi, ni de votre instruction, ni de votre personne», a-t-il soutenu.
Les avocats commis d’office, par sa voix, n’arrivent pas à comprendre «ce fétichisme de date» qui fait que des gens veulent manifestement que le dossier soit jugé avant 2017. Il a estimé qu’importe l’avocat, le conseil qui doit assurer la défense des inculpés, il faut que ce dernier ait le temps de se préparer, et affirmé que les avocats ne sont pas à l’école ni sous l’autorité du parquet militaire.
Les avocats commis d’office pensent que le tribunal militaire ne doit pas faire de ce procès un cadeau de Noël à la population. Chose qui serait une erreur. Me Birba Christophe invite par ailleurs le tribunal à se départir de l’agenda politique et du populisme qui est à la base d’erreur judiciaire fatale. Selon lui, les avocats veulent tout simplement d’un procès qui réponde au standard minimum d’un procès équitable.
Mes Michel Traoré et Abdoulaye Zabré ne sont pas des avocats commis d’office. Mais par solidarité à leurs collègues, ils ont estimé qu’il était réaliste d’accorder un temps supplémentaire à la défense.
Dans sa réplique, le commissaire du gouvernement, Alioun Zanré, n’a pas souhaité qu’il y ait des tiraillements stériles ; il a dit s’en remettre à la décision du président du tribunal. Ce dernier, qui a dit que chacun joue son rôle, a suspend l’audience à 12h 44 mn.
Trois quart d’heure plus tard, retour dans la salle d’audience. Le président du tribunal a annoncé le rejet de la demande des avocats commis d’office et souhaité par conséquent la poursuite des débats.
Me Arnaud Sampébré, qui est resté sur sa position initiale, a annoncé son déport de ce dossier.
Le président du tribunal a voulu savoir si c’est au sien propre ou au nom de tous les avocats commis d’office. La position, a-t-il répondu, concerne tous les avocats. Me Christophe Birba veut ajouter quelque chose, mais il n’a plus la parole selon le président du tribunal puisqu’ils se sont déportés. Il a invité dans la foulée les avocats qui se sont déportés à quitter la salle. Il était 13h27 mn.
Le parquet, après en avoir pris acte, a affirmé que dans ces conditions, la loi permet au tribunal de commettre les avocats choisis à la défense des accusés après qu’il a reçu leur assentiment. Me Michel Traoré et Abdoulaye Zagré ont estimé qu’au regard des intérêts contradictoires des accusés, lui et son collègue ne pouvaient pas se constituer pour la défense des autres accusés.
C’est sur ces entrefaits que le président du tribunal a renvoyé le dossier au 5 janvier 2017 afin de permettre au parquet d’entrer en contact avec le bâtonnier pour la commission d’office d’autres avocats. Il était 13h 35 mn lorsque le tribunal s’est retiré.
Le 5 janvier, reverra-t-on les mêmes avocats ou le bâtonnier en commettra-t-il de nouveaux ? On ne le sait pas encore. Mais il ne serait pas étonnant qu’on retrouve les mêmes au prétoire en début janvier, sauf si c’est à leur demande, car leur retirer le dossier reviendrait à dire qu’ils auraient fauté.
Aboubacar Dermé
Dieudonné Ouédraogo
A deux ans, il reconnaît son père assis dans le box
Dans cet univers juridictionnel où chacun y va de ses arguments, arguments qu’il n’hésite pas un seul instant à appuyer par tel ou tel article, on en vient parfois à oublier les principaux acteurs que sont les prévenus. Au-delà des faits qui leur sont reprochés, on ne cherche pas vraiment à savoir qui ils sont. Qui sont les membres de leur famille ? Comment vivent-ils une telle situation ? Autant de questions qui nous sont venues à l’idée lorsque nous avons assisté à la deuxième journée du procès du caporal Madi Ouédraogo et de 28 autres inculpés pour association de malfaiteurs et détentions illégales d’armes à feux et de munitions de guerre.
En réalité, tout est parti d’un fait banal. Pendant que nous sommes occupés à suivre le déroulement dudit procès, une dame d’un certain âge vient s’installer à notre gauche, dégageant un parfum extrêmement fort. Avec elle, une jeune femme de taille moyenne, un peu claire, qui porte un enfant de deux ans à peu près, un garçonnet assez difficile à maîtriser d’ailleurs. Sur le coup, nous ne leur prêtons pas vraiment attention. Mais lorsque le tribunal décide d’une suspension pour délibérer sur une requête des avocats de la défense, nous entendons la jeune maman dire : «Mon mari est parmi les accusés », tout en tentant de se frayer un passage pour aller au premier rang de la mezzanine, d’où on peut apercevoir les prévenus. Son objectif ? Saluer son conjoint et permettre à son fils de voir son papa. Curieux, nous nous mettons debout pour suivre la suite de l’histoire. C’est alors qu’on remarque des accusés sereins, décontractés qui n’hésitent pas à lever la main pour saluer leurs proches ou même à donner une poignée de main à leur frère d’armes. Spectacle tout à fait émouvant même si le pire est à venir.
Quelques minutes après, la dame revient avec son petit, affichant un air assez satisfait jusqu’au moment où son garçon essaie à plusieurs reprises d’aller retrouver son géniteur. Elle tente de l’en empêcher et, à notre grande surprise, n’en pouvant plus, elle laisse couler des larmes le long de ses joues avant de cacher son visage dans le pagne qu’elle tient. Comprenant son désarroi, la vieille qui l’accompagne récupère le petit pendant que la pauvre essaie tant bien que mal de se calmer. Cette scène dramatique retient l’attention des hommes de médias qui se précipitent, qui pour filmer, qui pour faire des photos, tous voulant avoir une image à faire voir. Nous faisons de même, surtout que nous sommes à proximité des concernés. Et dans notre esprit, nous planifions une entrevue avec cette famille pour connaître les détails de son histoire. Mais entre-temps nos plans vont tomber à l’eau. En effet, une tierce personne (une fille) vient échanger quelques mots avec la femme au bébé, lui faisant bien comprendre qu’elle a intérêt à nous dire d’effacer les images. Après un moment d’hésitation, cette dernière, prenant un ton menaçant, nous somme de nous exécuter. Nous l’ignorons et, par la même occasion, comprenons que nous n’avons plus aucune chance d’avoir une interview.
Lorsque le tribunal décide de renvoyer le dossier au 5 janvier 2017, nous nous retrouvons tous dans la cour de la justice militaire. Là, nous apercevons une dernière fois la jeune femme qui marche, son bébé dans les bras et portant le sac à dos militaire de son époux.
Et pendant que nous quittons les lieux, quelques personnes sont encore présentes, espérant sûrement voir, ne serait-ce que furtivement, les accusés.
Zalissa Soré
« J’étais triste, maintenant je souris »
(Me Arnaud Ouédraogo)
Après avoir quitté la salle d’audience, le contingent d’avocats qui viennent de se déporter s’est retrouvé à l’extérieur pour fulminer contre la décision du tribunal de rejeter leur demande de renvoi. Certains, apparemment plus remontés, ont même quitté le tribunal militaire sans autre forme de procès. Tout en sont débarrassés de leurs robes noires, ils se sont débarrassés de leurs dossiers. Au nom de ses pairs, c’est Me Arnaud Ouédraogo qui s’est exprimé face à la presse. Avec une voix qui tranche avec la vigueur avec laquelle il avait plaidé un peu plus tôt devant le tribunal, il a défendu leur décision. « Depuis hier (Ndlr : 20 décembre), nous avons insisté auprès du tribunal pour qu’il renvoie le dossier parce que nous sommes particulièrement attachés à la défense de nos clients. Hélas, il est passé outre nos requêtes. J’en suis personnellement surpris, car nous étions persuadés que le dossier allait être renvoyé à une meilleure date», a-t-il expliqué. Pour lui, «c’est la mort dans l’âme» que les commis d’office ont été obligés d’en arriver à cette extrémité. Pendant que l’avocat s’exprimait, l’audience, qui se poursuivait, était diffusée à l’extérieur à travers deux baffles ; ces deux enceintes acoustiques, dont nous vous disions hier qu’elles tonnaient dans le vide par manque d’auditeurs, vont finalement servir à quelque chose. Alors qu’il répétait une fois de plus être déçu, Me Arnaud Ouédraogo, les autres avocats ainsi que les journalistes qui avaient l’autre oreille sur ce qui se passait à l’intérieur, vont apprendre en direct que le président du tribunal a finalement renvoyé le procès au 5 janvier 2016. Comme si une éternité s’était écoulée, il aura fallu une seconde pour que les conseils commis d’office affichent désormais leur satisfaction. Le discours change aussi : « J’étais triste, voilà que je souris. Le plus important pour nous, c’était d’avoir du temps, maintenant on l’a et on avisera ». Pour Me Ouédraogo, il y a de fortes chances que les mêmes avocats soient commis d’office de nouveau.