Le Pari mutuel urbain burkinabè (PMU’B) fait régulièrement des millionnaires, aux fortunes bien diverses. Sidwaya est parti sur les traces de quelques gagnants. La réussite n’a pas toujours été au rendez-vous au royaume de l’argent-roi !
Madi Semdé, 27 ans, habitant au secteur n°6 de Koudougou, n’oubliera jamais la date du 21 août 2015. C’est ce jour que la chance lui a souri au Pari mutuel urbain burkinabè (PMU’B), au point de lui ouvrir les portes du cercle restreint des millionnaires. Sa mise de 900 francs CFA au quinté (4+1) lui a rapporté la somme de 84 millions de francs CFA, au moment même où il venait de perdre son emploi de soudeur. Coup du destin ? L’heureux gagnant évoque tout simplement la chance. «C’est la chance, qui m’a habité ce jour-là. C’était la première fois que je gagnais une telle somme, depuis 2012 que je joue au PMUB. Auparavant, je ne gagnais que des petites sommes de l’ordre de 15 000 ou 20 000 francs CFA», raconte Madi Semdé, le triomphe modeste. Ce veinard dit tenir la passion du PMU’B de son désormais ex-patron dans la soudure, un habitué des paris. «Le patron nous envoyait régulièrement chercher le programme hippique ou faire des mises. C’est ainsi que je me suis mis dans la danse», se souvient-il, tout sourire. L’élève a donc dépassé le maître, en réussissant à faire fortune, grâce à la divine providence. Au point de faire rêver follement tous ces parieurs qui squattent, jour et nuit, les kiosques PMU’B et autres Espaces courses en direct (ECD), à la recherche de la fortune. Malgré sa richesse pour le moins subite, Madi Semdé dit n’avoir pas changé de comportement. «Je suis resté égal à moi-même, dans ma modestie. Quand j’ai gagné, je n’ai pas volé aux anges», confie-t-il, le regard perdu dans le vide. Il faut rencontrer ce jeune parieur pour se convaincre de ses dires. Quand nous allions à son contact, pour la première fois, le 12 août 2016, il avait plutôt l’air d’un clochard que l’apparence d’un jeune premier au compte en banque bourré. Tapettes, pantalon bleu défraichi aux bas défaufilés et sales, chemise carrelée au col mal dressé, Madi Semdé ne donnait pas du tout l’impression d’être un millionnaire. Mais, ainsi est la philosophie de ce célibataire sans enfant qui s’emploie à investir qu’à faire la belle vie comme certains jeunes de son âge. «J’ai acheté un terrain, au secteur n°6 de Koudougou, non loin de la concession familiale, sur lequel j’ai construit ma propre maison. J’ai également acquis deux parcelles jumelées à 11, 5 millions au secteur n°8 de Koudougou. Sans oublier la moto que je me suis offerte», dévoile-t-il. La sécurisation de sa fortune lui tient tellement à cœur que Madi a fait un compte bloqué de 40 millions de francs CFA pour une période de cinq ans (2015-2020) dans une banque de la place. Le taux d’intérêt annuel de cette opération est de 3, 75%, comme l’attestent le document bancaire présenté à Sidwaya. En attendant de récolter les dividendes de ce placement, Madi Semdé suit une formation en confection de portes vitrées. «En tant que soudeur, j’aimerais maîtriser la fabrication des portes vitrées qui rapportent plus d’argent. J’ai versé la somme de 25 000 francs CFA à un atelier de soudure au secteur n°8 de Koudougou pour suivre cette formation. A terme, je vais ouvrir mon propre atelier de soudure», soutient le millionnaire. S’il tient à exceller dans son métier, ce parieur espère gagner d’autres millions au PMU’B. «Je continue de jouer, car la chance peut encore me sourire», avance-t-il, l’air enjoué. Son père, le centenaire Lallé Semdé, ne cache pas sa fierté d’avoir Madi comme fils. «Je suis très content pour Madi, à qui je fais confiance pour gérer sa fortune. Il n’est pas du genre à dilapider des sous dans l’alcool ou dans les femmes», révèle cet ancien marchand de cola, au sujet de son rejeton.
Des investissements à la pelle
Tout comme Madi Semdé, Edmond Sawadogo, 35 ans, père de trois enfants, habitant de Nioko n°1 à la périphérie Est de Ouagadougou, a aussi eu la «baraka» en mai 2014. Sa mise de 3 600 francs CFA à un quinté lui a permis de gagner 65,7 millions de francs CFA. A l’époque, il travaillait comme boucher avec son frère, pour une paie mensuelle de 15 000 francs CFA. «Quand les résultats sont tombés, j’avais la bonne combinaison dans l’ordre, et je ne me l’imaginais pas. J’étais content, mais quelque part la peur m’habitait. La gestion d’une telle somme, pour ne pas retomber dans la misère me taraudait l’esprit», se remémore Edmond Sawadogo. Pour autant, il s’est vite ressaisi et a investi son gain dans l’immobilier, pour s’assurer des lendemains meilleurs. Il dit avoir acheté, en premier lieu, un terrain non loti pour construire sa maison de deux chambres- salon. Edmond Sawadogo a aussi acquis un célibaterium à Nioko n°1, composé de trois chambres-salon et d’une maison, à plus de 20 millions de francs CFA, qu’il a mis en location. Il affirme avoir érigé deux-mini villas à Nagrin, un autre quartier périphérique de la capitale, à une vingtaine de millions de francs CFA. Ces maisons, souligne-t-il, sont également en location. Ce fan de paris hippiques, inspiré par un voisin en 2006, a aussi investi pour ses proches, notamment pour sa concubine, Alimata Zida et son petit-frère. Il a financé la réalisation d’un café-restaurant pour sa dulcinée et d’une quincaillerie pour son frère cadet à Pouytenga. «Je suis très content de ce que mon mari a réalisé. J’ai bénéficié d’un kiosque et je m’en sors un peu», confie Alimata Zida. Edmond Sawadogo, lui, ne vit plus l’euphorie des premiers moments : «Je n’ai plus grand-chose après ces investissements. Je vis maintenant des revenus de mes maisons en location». N’empêche, certains parieurs, qui le connaissent bien, ne lui prêtent aucun bien de nos jours, estimant qu’il a dilapidé sa fortune. «Les ragots à mon sujet ne me font ni chaud ni froid. C’est de la pure jalousie», réagi-t-il. Il admet tout de même que les rumeurs proviennent peut-être du fait qu’il a mis le célibatérium de Nioko n°1 en vente, pour rembourser un prêt de 4 millions de francs CFA contracté auprès d’une connaissance.
M.T., transporteur international de carburant basé à Ouagadougou, semble avoir plus de chance que Madi et Edmond. Il a remporté la somme de 130 millions de francs CFA à un quinté en 2015, après une mise de 151 000 francs CFA. Mais il se refuse à tout contact avec la presse. C’est son mandant et jeune frère, également discret, I.T., qui se livre aux confidences. «Nous étions tous contents en son temps pour notre frère qui a eu une forte somme. Le PMU’B, c’est une question d’intuition et de chance», se souvient I.T. qui a aussi gagné 34 millions de francs CFA en 2004. A l’entendre, la centaine de «briques» a servi à l’achat d’une maison de 35 millions de francs CFA et au renforcement de l’activité de son frère qui a acheté une citerne de 30 millions de francs CFA et autres équipements.
Le revers de la fortune
Ce n’est pas tout ! I.T., également transporteur de carburant, dit avoir profité du gain, puisque son aîné lui a offert une carrosserie de remorque d’une valeur de 10 millions de francs CFA. Les autres membres de la famille, estimés à une vingtaine, à l’en croire, en ont aussi joui. «Dans notre famille, nous avons la chance avec les jeux de hasard. C’est l’impression que j’ai», a soutenu I.T., très peu bavard.
Si certains millionnaires du PMU’B ont su saisir cette chance pour ne plus retomber dans la misère, ce n’est pas le cas chez d’autres, qui ont tout perdu ou presque. Seulement, il est difficile d’arracher une confidence aux gagnants qui n’ont pas su sécuriser leur argent. La plupart de ces infortunés font profil bas et préfèrent se tenir à l’abri des regards indiscrets et des sollicitations des journalistes. Seul l’un d’entre eux a accepté s’ouvrir laconiquement, sous le couvert strict de l’anonymat. «J’avais eu des millions qui m’ont servi à acheter des maisons. Mais j’ai fini par tout revendre, je n’ai plus rien. Je ne sais pas ce qui m’arrive. C’est étrange», a confié ce gagnant noyé à présent dans le chagrin. Il dit s’interroger inlassablement sur son sort. L’expérience amère de ce parieur, tout comme d’autres d’ailleurs, n’étonne guère l’enseignant-chercheur au département de sociologie de l’Université Ouaga I Pr Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou, Boniface Désiré Somé. «Le gain arrive très souvent dans des conditions de troubles psychologiques, car, on ne s’y est pas préparé. Quand on aspire à avoir gros, on n’est pas forcément un bon gestionnaire. D’où le constat que des gros millionnaires deviennent des indigents, puisque ne s’étant pas préparés à gérer une fortune», argue-t-il. Que l’on réussisse ou pas après avoir gagné des millions, le PMU’B apparaît, à ses yeux, comme une sorte d’exutoire pour les populations confrontées aux difficultés quotidiennes. «C’est une forme moderne du pari mutuel, qui a toujours existé dans les sociétés traditionnelles, avec un esprit d’amitié et de solidarité», relève-t-il. Toutefois, il attire l’attention des parieurs sur les risques de dépendance et d’endettement liés au PMU’B. «Le pari mutuel est un phénomène qui devait être suffisamment encadré par des psychologues au Burkina, à cause de la dépendance qu’elle peut générer ou des risques d’endettement. Les biens et le salaire du parieur peuvent y passer, et conduire à des situations éprouvantes», fait-il remarquer.
Le Directeur général (DG) de la Loterie nationale burkinabè (LONAB), Lucien Carama, se réjouit a priori que sa société fasse des millionnaires. «J’ai de réels motifs de satisfaction, car si on arrive à transformer des rêves en réalité, c’est qu’il y a une forte adhésion des clients aux produits de la LONAB. Et plus les produits se vendent bien, plus les rêves des clients deviennent réalités, et nous ne pouvons que nous en réjouir», avance-t-il. Si le patron de la Nationale des jeux de hasard se félicite des échos favorables concernant certains gagnants, qui ont su bien investir dans divers domaines (foncier, élevage, restauration, commerce etc.), il a aussi conscience que d’autres ont échoué. «Le constat est que certains gagnants n’arrivent pas à bien utiliser leur argent. C’est pour cela que la LONAB a signé un protocole d’accord avec la Maison de l’Entreprise du Burkina Faso pour conseiller et orienter les gagnants dans leurs projets d’investissement», affirme M. Carama. Pour lui, il n’est pas question d’abandonner les gagnants, après la remise de leurs gros chèques. «La LONAB est soucieuse du bon usage des fortunes qu’empochent les gagnants. Ce souci se matérialise non seulement par les conseils précieux qu’elle donne aux gagnants à la remise des chèques, mais également par l’orientation vers la structure habilitée à leur donner des conseils pour une bonne utilisation», souligne le DG. Le partenariat entre la Maison de l’Entreprise et la LONAB, scellé depuis 2013, constitue donc une lueur d’espoir pour les gagnants, même s’il a besoin d’être dynamisé davantage comme le confient des sources introduites.
Kader Patrick KARANTAO