Le 29 novembre dernier marquait l’an I de l’élection de Roch Marc Christian Kaboré. Ce premier anniversaire a été diversement apprécié par les acteurs politiques et de la société civile. Ablassé Ouédraogo, président du parti Le Faso Autrement, fait partie de ceux que nous avons interviewés à cette occasion. Dans cet entretien, le chantre de la diplomatie du développement décline les objectifs de la Coalition pour la démocratie et la réconciliation (CODER) et donne sa lecture de la situation nationale. Il ne manque pas de s’exprimer sur ses relations avec le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, qui travaille, selon lui, à renforcer le pourvoir de Roch Marc Christian Kaboré.
Rappelez-nous les objectifs de la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation (CODER) que vous avez mise en place le 16 octobre 2016.
Le Burkina Faso du Président Roch Marc Christian Kaboré va très mal, l’insurrection a été confisquée, et les aspirations des populations insurgées des 30 et 31 octobre 2014 n’ont pas encore reçu de réponses satisfaisantes. Nous vivons la « rochosité » et le Burkina Faso est « mouta-mouta ». La crise multidimensionnelle que nous vivons est sans précédent. L’économie est plombée, le front social gronde, l’insécurité physique et juridique des Burkinabè est grandissante, la désillusion et les frustrations des populations, notamment des jeunes et des femmes, devant les promesses non tenues des gouvernants posent problème, l’incivisme, l’indiscipline, le manque d’autorité de l’Etat et le désordre ambiant deviennent la règle de conduite des citoyens. Cette situation rend le pays ingouvernable, et la seule réponse possible pour relancer le Burkina Faso aux plans politique, économique et social est la réalisation de la réconciliation nationale. Celle-ci doit être sincère, inclusive, et concerner aussi tous ceux qui vivent actuellement en exil.
La CODER a été effectivement mise en place le 16 octobre 2016 à la suite d’un processus de réflexion d’hommes et de femmes patriotes et soucieux de l’avenir de leur pays. C’est une coalition des huit formations politiques d’obédiences différentes ayant pour socle commun leur attachement à la République, au Burkina Faso et aux principes démocratiques. Les membres fondateurs de la CODER sont : l’ADF/RDA, le CDP, L’Autre Burkina/PSR, Le Faso Autrement, les Républicains, la NAFA, Le RSR et l’UNDD et son offre politique est de garantir la paix, la justice et la réconciliation nationale, de remettre la nation burkinabè au travail, de relancer l’économie nationale et de sauvegarder la démocratie.
Aujourd’hui plus que jamais les Burkinabè ont besoin de paix, de sécurité, de démocratie et de réconciliation pour envisager un nouveau départ et assurer une justice équitable pour tous. La CODER veut que les enfants du Burkina Faso ne se regardent plus en chiens de faïence, mais plutôt en frères et sœurs liés par le même destin : le destin du Burkina Faso, et le Burkina Faso nous appartient tous. La réconciliation nationale doit être notre leitmotiv à nous tous, si nous voulons éviter à notre peuple le calvaire vécu sous d’autres cieux où la réconciliation n’a pas été possible après des périodes de crise comme celle que le Burkina Faso traverse actuellement.
Quelle place la CODER donne-t-elle à la justice dans le processus de la réconciliation nationale ?
Au regard des conséquences dramatiques multiformes de la situation nationale que nous vivons, nous devons tous prendre conscience de la nécessité de changer notre manière de faire la politique et de nous abstenir de faire des discours et de poser des actes qui peuvent diviser les communautés et les populations. Nous devons apprendre à vivre ensemble avec nos différences géographiques, raciales, ethniques, politiques ou religieuses et mettre ensemble nos intelligences et nos énergies au service de la construction et du développement national.
Nous avons tous le devoir et l’obligation de consolider les acquis de notre marche vers la paix et la réconciliation nationale et de poser autrement le fondement d’un Burkina Faso nouveau : un Burkina Faso de paix, de stabilité, de justice, de fraternité et d’espérance, pour tout dire un Burkina Faso de partage et de solidarité. Pour ce faire, la justice a toute sa place et se trouve au cœur même du processus de la réconciliation nationale, et personne n’a le droit d’enjamber des cadavres pour faire la réconciliation.
C’est pour cela qu’il faut commencer avec la mise en place d’un dialogue inclusif entre tous les Burkinabè concernés. En se parlant, en dialoguant et en se concertant, il y aura un apaisement des cœurs des Burkinabè et à partir de cet instant tout devient possible. Et comme le dit si bien l’adage suivant : « quand deux sourd muets se regardent à distance, ils ont tendance à se lapider. Assis ensemble, ils se découvrent et finissent par fraterniser ». Ils se retrouvent sur plusieurs points qu’ils partagent et qui les aideront à se rapprocher et à se réconcilier. De ce dialogue inclusif sortiront toutes les vérités des uns et des autres. En continuant de se parler, le pardon prendra en charge un certain nombre de vérités quand d’autres trouveront leur solutionnement par la voie judiciaire. Il s’agira d’une justice équitable et différente de celle à double vitesse que nous vivons aujourd’hui. Cette étape conduira à une situation où le peuple burkinabè se réconciliera avec lui-même.
Le schéma que propose la CODER pour réaliser la véritable réconciliation nationale est comme suit : Dialogue inclusif - Vérités - Pardon/Justice - Réconciliation. L’avantage de ce schéma, c’est que sa mise en œuvre peut être immédiate tout en permettant la restauration du socle de confiance nécessaire et incontournable pour la relance du pays aux plans politique, économique et social. Et notre pays a besoin, aujourd’hui plus que jamais, de paix, de stabilité, de justice, de fraternisation et d’une véritable réconciliation, qui doit être sincère et inclusive.
A y voir de près, la CODER est un regroupement des grands brûlés de l’insurrection (CDP, ADF/RDA, NAFA) et des déçus de l’Opposition comme vous.
Absolument pas, votre vision est erronée. Tout simplement parce que la CODER veut rassembler tous les Burkinabè dont la préoccupation profonde est le destin commun du Burkina Faso. Notre pays a son histoire, et comme nous le savons tous, l’histoire ne s’efface pas et ne s’oublie pas. En outre, ce n’est pas parce que l’on a eu un mauvais comportement ou un égarement à un moment donné de sa vie que l’on doit vous stigmatiser ou vous bannir à jamais. Non ! Dans la vie il faut toujours donner la chance à ceux qui ont commis des fautes de se rattraper. L’expérience démontre à suffisance qu’ils peuvent devenir meilleurs que ceux qui n’ont jamais fauté.
Le pays nous appartient tous et ce n’est qu’ensemble que tous les fils et toutes les filles pourront le construire et en faire un havre de paix et de stabilité où il fait bon vivre. L’insurrection fait partie de l’histoire de notre pays, mais ce qui est important aujourd’hui, c’est de projeter l’avenir et de déterminer quel destin donner à notre beau pays pour les générations futures qui vont nous succéder. Nous devons toujours garder à l’esprit que demain est plus important qu’hier ;
d’où l’importance et l’urgence de réaliser la réconciliation nationale et celle-ci, répétons-le avec insistance, doit être sincère et inclusive. Elle doit concerner tous les citoyens de notre pays en commençant par ceux qui vivent actuellement exilés hors du pays comme le Président Blaise Compaoré et les autres. Il n’y a pas de bons Burkinabè et de mauvais Burkinabè. Nous sommes tous fils et filles du même pays, notre destin est commun et nous avons tous intérêt à travailler ensemble pour construire notre maison commune.
Me concernant tout particulièrement tout comme le Parti Le Faso Autrement, notre appartenance à la CODER démontre à suffisance que notre combat politique n’est pas une lutte de personnes mais plutôt une lutte pour le mieux-être des Burkinabè et l’avènement d’une Nation burkinabè solidaire et prospère. Nous sommes constants dans notre vision et notre démarche. Et à la différence de certains leaders politiques habités par la rancœur, j’ai l’intelligence de reconnaître que mes anciens adversaires d’hier sont des Burkinabè comme moi-même et donc des frères et des sœurs. Il n’y a donc pas de raison que je ne travaille pas avec eux pour appeler la Nation entière à la paix, à la tolérance, au pardon et surtout à la réconciliation nationale. Comment pouvons-nous prétendre bâtir une Nation unie et prospère si nous gardons nos yeux rivés sur le rétroviseur ?
J’ai des frères et des sœurs qui ont souffert de l’insurrection tout comme j’ai des frères et des sœurs avec qui nous avons fait l’insurrection. Cette position privilégiée me permet d’être le trait d’union entre ces Burkinabè pour aller à la réconciliation nationale, et je veux être le ciment de l’unité nationale du Burkina Faso. C’est un tournant décisif, et je veux que l’histoire retienne de moi cet engagement-là. La CODER n’est que l’instrument mis en place pour cela. Elle est tout simplement composée de patriotes burkinabè réunis au sein de différentes formations politiques qui, aujourd’hui, se regroupent pour défendre le destin commun de leur pays. Elle reste ouverte à toutes les formations politiques et organisations sociales partageant la même vision et les mêmes objectifs. Pas plus.
Soit ! Mais la création de la CODER n’est-elle pas une porte ouverte à la cacophonie au sein de l’Opposition et n’est-ce pas une réponse à la création de la Coalition des Forces Démocratiques pour un vrai Changement (CFDC) de M. Zéphirin Diabré ?
La création de la CODER ne répond à aucune logique d’antagonisme ou de rivalité et encore moins de concurrence avec un autre regroupement politique de quelque nature qu’il soit. C’est l’aboutissement d’un processus de réflexion de Burkinabè ayant en commun le souci de préserver le destin du Burkina Faso.
La CODER est ancrée dans l’Opposition politique, et elle enrichit et renforce le CFOP. En tant que telle, elle ne saurait être concurrente de la Coalition montée par M. Zéphirin Diabré avec ses soutiens à l’élection du Président du Faso du 29 novembre 2015. Le combat au sein de l’Opposition reste unique : obtenir du gouvernement en place de meilleures conditions de vie pour les populations burkinabè et travailler à l’avènement de l’alternance politique.
Rappelons que la Loi n°046-2013/AN du 14 avril 2013 portant Statut de l’Opposition réglemente l’appartenance des partis politiques à l’opposition. De cette loi, il ressort que le Chef de file de l’Opposition (CFOP) n’a aucune responsabilité ni aucune autorité et surtout pas une quelconque prérogative pour décider de l’appartenance d’un parti à l’opposition ou à la majorité.
L’Article 4 est clair sur ce point en indiquant que : «Tout parti doit faire une déclaration écrite publique de son appartenance à l’Opposition ou à la majorité avec copie au ministre en charge des libertés publiques pour enregistrement».
Si le CFOP du moment, M. Zéphirin Diabré, en a une autre interprétation, le Conseil d’Etat pourra être saisi pour des clarifications. Le CFOP est le porte-parole de l’opposition, et le budget mis à sa disposition doit être utilisé pour le fonctionnement de l’institution et les activités de toute l’opposition. La gestion de l’institution CFOP est trop opaque pour être rassurante. C’est pour cela que nous demandons qu’un audit du CFOP soit réalisé comme pour les autres structures qui bénéficient du financement de l’Etat, donc de l’argent du contribuable. Le CFOP doit donner l’exemple de la bonne gouvernance pour assurer le peuple de ses capacités de gérer les affaires de l’Etat dans le respect des normes.
A peine créée, la CODER connaît déjà une défection. Que se passe-t-il ?
Nous avons reçu, le 4 décembre 2016, une lettre du Président de l’Autre Burkina/PSR (NDLR : d’Alain Zoubga) datée du 29 novembre 2016 nous informant de sa décision de suspendre la participation de son parti aux activités de la CODER. Nous attendons de le rencontrer pour en savoir davantage. Mais je puis vous assurer que ce développement n’entame en rien le déroulement du programme de la CODER.
Quel est l’état réel de vos rapports avec Zéphirin Diabré dont vous semblez parfois être le rival, voire l’opposant ?
Zéphirin et moi, nous avons toujours entretenu des rapports intelligents et cordiaux. Nous avons travaillé ensemble au gouvernement sous le Président Compaoré et le Premier ministre Roch Marc Christisan Kaboré et, bien sûr, dans le combat héroïque contre la modification de l’Article 37 de la Constitution et pour l’avènement de la nouvelle ère que nous vivons actuellement. Nous nous connaissons suffisamment bien.
En regardant le déroulement de la vie politique du Burkina Faso de nos jours, je pense sans grand risque de me tromper que l’action du CFOP, Zéphirin Diabré, consiste essentiellement à œuvrer à contenir l’opposition afin d’asseoir et de consolider le pouvoir du Président Roch Marc Christian Kaboré. C’est une mission périlleuse et suicidaire.
Toute l’année 2016, bien que tout le budget de 100 millions de Fcfa alloué au CFOP ait été déjà décaissé par l’Assemblée nationale, il n’y a pas eu d’activités menées par le CFOP en dehors de la célébration du deuxième anniversaire de l’insurrection, et pourtant le Burkina Faso va très mal ; pire, le CFOP n’a même plus de siège officiel. L’opposition est fragilisée de par la faute de M. Diabré, et en créant sa Coalition des Forces Démocratiques pour un vrai changement, fait de ses anciens soutiens, il s’est tiré une balle dans le pied.
La Conférence des partenaires du Burkina Faso pour le financement du Plan National de Développement Economique et Social (PNDES) se déroule en ce moment à Paris. Etes-vous optimiste ?
Le PNDES a été adopté le 18 juillet 2016 par «les acteurs du développement» du Burkina Faso et approuvé par le Conseil des Ministres en sa séance du 20 juillet 2016. En tant que patriote, je souhaite que cette conférence atteigne les résultats escomptés pour permettre à notre pays de se relancer surtout au plan économique ; malheureusement, je suis sceptique sur les résultats qui seront enregistrés par le Burkina Faso à Paris au soir du 8 décembre 2016 de cette 5e Table Ronde pour un certain nombre de raisons.
D’abord le PNDES, qui couvre 2016 à 2020, a un coût estimé à 15 400 milliards de Fcfa dont 64% seront financés par les ressources locales et 36% par les appuis extérieurs. Compte tenu de la situation actuelle de notre pays, cela est irréaliste et même impossible.
- Ensuite les dissensions criardes au sommet de l’Etat ne faciliteront pas le ralliement des partenaires techniques et financiers de notre pays pour appuyer sa réalisation. Quand le Président de l’Assemblée nationale, SEM Salifou Diallo « himself », demande au gouvernement de ne pas se tourner vers les partenaires traditionnels comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), le Premier ministre, SEM Paul Kaba Thiéba, se propose d’aller même «en enfer» pour trouver les fonds nécessaires pour financer le PNDES, comme risque de l’être cette Table Ronde des bailleurs de fonds du Burkina Faso les 7 et 8 décembre 2016 Paris. Il ressort, en outre, qu’il n’y a pas d’entente parfaite entre Mme la ministre de l’Economie, des Finances et du Développement, Rosine Coulibaly/Sory, et le chef du gouvernement. Et certainement que la faible implication personnelle du Président Roch Marc Christian Kaboré dans le processus de la Table Ronde et l’annonce à la dernière minute de sa participation à cette importante Conférence de Paris pour le Burkina Faso et les Burkinabè, voire son manque d’intérêt pour le PNDES, ne pas de nature à convaincre les donateurs de délier facilement les cordons de la bourse. Le Président Kaboré, qui effectuera ainsi sa 19e mission à l’étranger en 11 mois d’exercice du pouvoir, a l’occasion d’améliorer ses performances, restées jusque-là mitigées, dans la mobilisation des ressources financières. La présence du chef de l’Etat et de son chef de gouvernement à cette même réunion de Paris relève de l’insolite pour un pays organisé et indique clairement que nos gouvernants manquent de confiance et de sérénité. Alors que la confiance est essentielle dans un tel exercice.
A cela s’ajoute le fait que le besoin de financement que recherche le gouvernement auprès des amis et partenaires du Burkina sous forme de dons, d’appuis budgétaires, de financements concessionnels, de partenariats public/privé et de ressources à lever sur les marchés financiers régionaux et internationaux s’élève à 5 570 milliards de Fcfa. A Paris, l’exercice consistera à mobiliser des fonds additionnels du secteur privé et des bilatéraux en compléments des apports des partenaires publics traditionnels comme la Banque mondiale avec le financement IDA, la Banque africaine de développement (BAD) avec le FAD et l’Union européenne avec le FED, qui fonctionnent avec des cycles de financement triennaux. Par conséquent, la Conférence de Paris nécessitait un grand lobbying auprès de ces bailleurs de Fonds étrangers pour les convaincre de financer le PNDES. On comprend alors que les efforts du Premier ministre pour expliquer le PNDES aux Burkinabè n’apporteront aucune plus-value à Paris. De plus, vu que plus de 80% des études de faisabilité des projets ne sont pas disponibles, il est difficile pour les partenaires financiers de la SCADD qui ont refusé leurs financements tacites au PNDES de comprendre comment la budgétisation du PNDES a été faite et d’y adhérer. Les chiffres du PNDES ont été maquillés comme au Brésil de la présidente déchue, Dilma Roussef.
Enfin pour les investisseurs privés étrangers, la situation actuelle du Burkina Faso n’offre pas de garanties suffisantes de paix sociale, de stabilité politique et de sécurité pour les attirer surtout que les opérateurs économiques burkinabè délocalisent leurs activités dans les pays voisins, toute chose égale par ailleurs par indique clairement que la 5e Table Ronde du Burkina Faso de Paris 2016 ne connaîtra pas un franc-succès. Et même si l’on prenait l’hypothèse optimiste, avec un soutien enthousiaste des partenaires au PNDES, les financements arriveraient dans le meilleur des cas en mi-2018. Et la déception des populations, dopées aux vertus miraculeuses du PNDES pour apporter des solutions à leurs préoccupations de survie au quotidien, sera encore plus grande face au populisme suicidaire des gouvernants. Pour tout cela, il aurait fallu faire autrement.
Entretien réalisé par
Adama Ouédraogo Damiss