C’est sans doute une première dans l’histoire du parlement burkinabè, qu’un élu national, en moins d’un an de siège à l’hémicycle, voit son immunité levée pour des faits de poursuites judiciaires. La nouvelle est tombée avant-hier, annonçant que le député de l’ex-parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Salifou Sawadogo, ne jouit plus de cette "carapace” qui le mettait à l’abri de toute audition judicaire. Et la décision a été prise par les députés eux-mêmes après examen de la demande de levée émise par la justice militaire, suivi de vote. Après quoi, 86 parlementaires se sont déclarés favorables à la levée de l’immunité de leur collègue afin de lui permettre de faire face à son passé et d’expliquer à la justice les faits qui lui sont reprochés dans le dossier du putsch manqué. En effet, Salifou Sawadogo, ancien ministre de l’Environnement sous le régime de Blaise Compaoré, est cité et mis en cause dans le dossier du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. De ce fait, il fallait que le pouvoir législatif accepte de "l’isoler” afin que la justice militaire en charge du dossier puisse passer à l’action. Chose faite, le juge d’instruction, François Yaméogo, a maintenant les mains libres pour recueillir la déposition du mis-en-cause. Par cet acte, le parlement augmente sa crédibilité et le peuple entier pourra compter désormais sur lui en ce qui concerne la conduite de certains dossiers judiciaires. Le Burkina post-insurrectionnel se veut un modèle de justice et d’équité. Les hommes forts ont cédé leur place aux institutions fortes. Mais pour parvenir à une réconciliation digne de ce nom, les erreurs du passé se doivent d’être rationnellement tranchées au nom de la loi. Pour que la décision parlementaire ne s’apparente pas à un règlement de compte où on pourra dire que la majorité à l’Assemblée nationale a jeté en pâture un député de l’opposition minoritaire. En réalité, bien de dossiers enregistrés dans les tribunaux remplissent les tiroirs de la justice et attendent d’être évacués. Les dossiers couramment cités pourraient être ceux se rapportant aux affaires Thomas Sankara, Dabo Boukary, Nobert Zongo, Salifou Nébié (…). Et ce sont ces dossiers que le jugement pourrait nécessiter beaucoup d’auditions, dont des élus nationaux. En plus de ces dossiers très bien connus des Burkinabè, il y a ceux relatifs au foncier, à la gestion des collectivités, aux mines, à la passation des marchés publics et à la gestion de certains projets (le programme américain MCA par exemple). Sous l’ère Compaoré, des responsables d’aujourd’hui ont eu à occuper de hautes fonctions en rapport avec divers secteurs. Avec l’éclatement des poursuites à presque tous les niveaux, il est normal que dans le labyrinthe des enquêtes, les juges aient souvent besoin d’appeler X ou Y à la barre. Le signal que l’hémicycle vient de donner laisse croire que du jour au lendemain, si un autre député de n’importe quel venait à être cité dans un dossier de litige, il sera remis à la justice pour être entendu comme tout citoyen. Du même coup, le gouvernement doit également prendre des dispositions pour répondre favorablement à la justice si à l’avenir un membre de l’exécutif venait à être indexé dans une procédure. Car force doit rester à la loi.
Wanlé Gérard COULIBALY