Depuis la surprenante défaite annoncée de Yahya Jammeh à la présidentielle gambienne du 1er décembre dernier, beaucoup de ses compatriotes ne cachent pas leur impatience de le voir hic et nunc rendre des comptes de ses longues années de gestion du pouvoir d’Etat. Ce, au moment même où il n’a pas encore passé la main à son successeur, Adama Barrow, qui a déjoué tous les pronostics en battant son rival dans les urnes, à la régulière.
Si l’on peut comprendre le bien-fondé de la requête des Gambiens et leur soif de justice après la période tyranique de leur fantasque président, l’on peut cependant émettre des réserves sur le timing de demande de reddition de comptes, ce d’autant que leur empressement à obtenir justice pourrait braquer le tyran et l’amener à raidir sa position. Il faudrait donc éviter de mettre la charrue avant les bœufs. Etant entendu que l’homme, visiblement atteint dans son amour-propre et son orgueil face à la défaite vexante à laquelle il ne s’attendait pas, est capable du meilleur comme du pire. Attention donc au fauve blessé !
Il ne faudrait pas en rajouter à l’incertitude, en poussant Yahya Jammeh dans ses derniers retranchements
Car, Yahya Jammeh semble avoir accusé le coup. Il a certes eu l’élégance de reconnaître sa défaite, mais le silence dans lequel il s’est ensuite claquemuré a de quoi inquiéter. D’autant plus qu’il se dit qu’il évite les sorties, depuis sa cuisante défaite, et se cache avec sa garde prétorienne. Mijote-t-il quelque chose? Bien malin qui pourra répondre à cette question. Aussi ne faudrait-il pas en rajouter à l’incertitude, en poussant dès à présent dans ses derniers retranchements, un Yahya Jammeh qui est encore loin d’avoir digéré sa déconfiture historique. Il faudrait plutôt y aller avec tact. Autrement, le risque est grand que par instinct de survie, l’homme ne joue le tout pour le tout pour essayer de sauver sa peau.
C’est ce qui justifie sans doute la fébrilité d’une communauté internationale particulièrement préoccupée par la question de la sécurité du président nouvellement élu, Adama Barrow, en attendant que ce dernier ait la réalité du pouvoir entre ses mains. Tant et si bien que certaines chancelleries se disent prêtes à s’y impliquer. Et le voisin sénégalais ne semble pas en reste ; lui qui, selon certaines indiscrétions, aurait décidé de garder l’arme au pied, au cas où. Le tout étant de travailler à ce que force reste à la légalité dans ce pays qui revient de loin, et qui voit son destin changer du jour au lendemain.
En tout état de cause, le constat que l’on peut faire, est que l’on ne change pas facilement un système vieux de deux décennies. D’autant que malgré sa défaite, Yahya Jammeh garde encore une grande influence et de nombreux soutiens au sein de la Grande muette qui a encore le pouvoir de changer le cours de l’Histoire. Et c’est ce qui justifie toutes ces craintes face au silence et à l’attitude de repli sur soi du président gambien, qui a encore deux mois devant lui, avant de passer la main. Pour sûr, si les Gambiens continuent à montrer leur impatience en réclamant le scalp de Yayha Jammeh, cette période de transition risque d’être des plus incertaines. Car, il serait étonnant que l’homme accepte de se livrer pieds et poings liés à un peuple qui ne rêve sans doute pas d’autre chose que de le voir pendu, sans autre forme de procès, au bout d’une corde, pour toutes les souffrances qu’il lui aura fait endurer. Et ce n’est pas l’opposant Ousseynou Darboe, condamné à trois ans de prison ferme avec dix-huit personnes pour manifestation illégale, qui dira le contraire ; lui qui, membre de la coalition qui a porté Adama Barrow au pouvoir, vient de bénéficier d’une liberté provisoire. Son procès en appel, il faut le dire, a pris une dimension particulière, Yahya Jammeh n’étant plus au pouvoir. Les juges eux-mêmes se sentent désormais libres dans l’exercice de leurs fonctions.
Il faut amadouer la bête pour se donner des chances de la terrasser
Cela dit, seules des institutions fortes peuvent sauver la Gambie d’un éventuel retour en arrière. C’est pourquoi il faut laisser le temps au temps et le temps au président Adama Barrow, d’installer ses pénates au palais présidentiel, avant d’engager quoi que ce soit contre Yahya Jammeh. Autrement, il n’est pas exclu que la joie des Gambiens soit de courte durée si ce dernier s’avisait de confisquer le pouvoir d’une manière ou d’une autre. Et c’est ce qui pourrait bien arriver, si Yahya Jammeh qui détient encore les rênes du pouvoir, réalisait que son fair-play risque de lui faire voir des vertes et des pas mûres. Il ne faudrait donc pas prêter le flanc en offrant un quelconque alibi à l’homme fort de Banjul. Bien au contraire, il faut amadouer la bête pour se donner des chances de la terrasser. Chaque chose donc en son temps ! Cela ne pourrait que mieux servir la cause des Gambiens. Autrement, une situation de désordre pourrait remettre en cause cette victoire historique obtenue de haute lutte.
« Le Pays »