La nouvelle Constitution ivoirienne vient d’être votée par référendum, le 30 octobre 2016. Dans celle-ci, l’article 12 sur le foncier rural fait désormais de la terre une propriété de l’Etat et des Ivoiriens. Depuis lors, les planteurs burkinabè travaillent la peur au ventre. Ils risquent d’être expropriés de leurs terres acquises depuis des décennies en territoire éburnéen. Tour d’horizon à Bonoua, Aboisso et Ayamé.
Mercredi 26 octobre 2016. Il est 10h à la gare routière de Grand-Bassam, localité située à une trentaine de kilomètres d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Cette gare, située en plein cœur de la station balnéaire, grouille de monde. Les cris assourdissants des apprentis « gbaka » (ndlr : nom donné aux minibus assurant le trafic dans les villes et quartiers) pour attirer d’éventuels clients sont infernaux. C’est dans ce tohu-bohu que nous arrivons à nous faire de la place dans l’un deux. Direction Bonoua, ville située à une cinquantaine de kilomètres à l’Est d’Abidjan, dans la région du Sud-Comoé. « Vieux père, vous payez 800 F CFA », lance l’apprenti-chauffeur avec un brin d’humour. Je m’exécute. Dans ce tas de ferrailles qui circule à vive allure, la ville est bruyante. Perché sur une portière de l’automobile, l’apprenti, à la recherche de potentiels clients, crie à tue-tête : « Bonoua-Aboisso, Bonoua-Aboisso…». Très maigre, il est vêtu d’un tee-shirt bleu, d’un pantalon jean délabré et de chaussures appelées couramment, Sebago.
Une trentaine de minutes de route s’égrainent. Nous sommes à Bonoua. Dans cette ville, résident des milliers de ressortissants burkinabè. Des affiches et des posters géants de la campagne pour le ‘’oui’’ au référendum du 30 octobre 2016 sont toujours visibles sur des boutiques, des voitures, des concessions…Plongé dans l’« admiration » de ces affiches qui hantent le sommeil des planteurs burkinabè, Ibrahim Diallo, un jeune avec qui nous décidons de comprendre l’amertume des Burkinabè, nous ramène sur terre. Ensemble, nous nous dirigeons dans la plantation du vieux Rasmané Ouédraogo. Monsieur Ouédraogo a quitté son Burkina natal pour s’installer en terre ivoirienne depuis 1970. Agé de 65 ans et père de 7 enfants, il est propriétaire de près de 40 hectares d’hévéa et d’ananas. « Lorsque je me suis installé ici, je travaillais d’abord pour un autochtone de la famille Ehivè. Après plusieurs années, il m’a légué une portion de la forêt. J’ai commencé petit à petit avant de m’installer à mon compte. J’ai pu acheter d’autres lopins de terre. J’ai dépensé des millions de F CFA dans ces plantations », se souvient-il. Mais, depuis la promulgation de la nouvelle Constitution ivoirienne, le 8 novembre 2016, Rasmané Ouédraogo n’a plus le sommeil facile. L’adage du père- fondateur de la nation ivoirienne, Félix Houphouët Boigny qui disait : « La terre appartient à celui qui la met en valeur » n’est plus d’actualité. En effet, selon l’article 12 de ladite Constitution : « Seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale. Les droits acquis sont garantis. La loi détermine la composition du domaine foncier rural ainsi que les règles relatives à la propriété, à la concession et à la transmission des terres du domaine foncier rural ». Dans la peur de perdre son exploitation agricole, M. Ouédraogo soutient que ce sont les Burkinabè qui ont fait de cette ville, une zone de grandes productions agricoles. « Nous avons travaillé ici comme des ânes », regrette le vieux. « Si l’Etat parle aujourd’hui de terres qui appartiennent à l’Etat et aux Ivoiriens, c’est parce qu’il y a eu des gens qui ont fait de ces forêts, des terres productives», insiste-t-il. Il garde toujours en mémoire, le conflit foncier qui l’oppose aux Ehivè depuis 2010. Donc, pour lui, cette loi vient sceller définitivement son sort. « La famille, qui réclame aujourd’hui mes terres, a d’office raison avec l’article 12. Puisqu’elle est une famille ivoirienne », dit-il tout déçu.
« Si l’on me retire mes plantations, je fais comment ? »
Autre localité, même inquiétude. Alassane Naba cultive l’hévéa dans le village d’Assouba, à quelques 5 km d’Aboisso (à 116 km à l’Est d’Abidjan, dans la région du Sud-Comoé). Agé de près de 40 ans, il a consacré la moitié de sa vie aux plantations d’hévéa. Propriétaire d’une quinzaine d’hectares de forêt, sous une fine pluie, au bureau du délégué consulaire des Burkinabè d’Aboisso, il relate son désespoir. Vigoureux, de teint noir, il ne s’empêche pas de hocher sa tête, lorsque nous évoquons la question qui fâche. « Je ne savais pas qu’une telle loi allait être votée et j’ai acheté mon terrain. Maintenant, comme il est clairement dit qu’un étranger ne peut plus être propriétaire terrien, je suis dans le désarroi », lance-t-il, l’air désemparé. Celui qui a acquis son lopin de terre, à plus de 6 millions de F CFA, est tourmenté. Sur son visage se lit aisément son embarras. « Je n’ai pas encore recouvré l’argent que j’ai investi dans les plantations. Si l’on me retire mes plantations, je fais comment ? Puisque je ne peux plus retourner au village. J’ai tout investi ici », regrette-il. Alassane Naba craint d’être exproprié de sa terre.
L’adjoint au délégué consulaire des Burkinabè d’Aboisso, Guézouma Sanou estime que certains autochtones, propriétaires terriens sont de mauvaise foi. « Un Burkinabè peut exploiter une plantation pendant dix ans, vingt ans ou plus. Un beau matin, les enfants du chef coutumier ou de la personne qui a légué ou vendu la terre se pointent pour réclamer la terre. Juste parce qu’elle produit bien et le vieux qui l’a vendu ou légué est décédé. Avec cette nouvelle disposition de la Constitution, ces personnes vont jubiler », dénonce M. Sanou. Pour le délégué consulaire d’Aboisso, Issaka Sawadogo, ses compatriotes ont déjà traversé des périodes sombres en territoire ivoirien. C’est pourquoi, il ne souhaite plus des mésententes que pourraient engendrer cette nouvelle loi. « J’enregistre en moyenne cinq conflits par mois. Est-ce que cette loi permettra de résoudre ces problèmes ? Je ne crois pas », argue M. Sawadogo. Pour cela, il appelle les autorités ivoiriennes à clarifier rapidement les contours du nouveau texte afin d’assurer une quiétude dans les plantations détenues par ses compatriotes.
La ruée vers la naturalisation
Ce 28 octobre, des centaines de planteurs burkinabè d’Ayamé, une ville située à une vingtaine de kilomètres d’Aboisso, effectuent en masse, le déplacement du département de la justice. Chacun veut se faire naturaliser. Le processus est lent. Sédi Traoré confie que son père, Souleymane Traoré a acquis son terrain le 6 mai 1985 à 2 025 000 F CFA avec le vieux Joseph Tan, un autochtone. Il brandit un document qui fait office d’attestation de vente. Sur celui-ci, l’on aperçoit une empreinte digitale du vendeur. Qu’à cela ne tienne, depuis 2009, les enfants du vieux Tan, après la mort de leur père et de celui de Sédi Traoré, réclament les terres vendues. « Maintenant, comment je peux me prévaloir de la propriété de mon terrain, si la loi dit que je ne suis pas Ivoirien ? », s’interroge-t-il. A l’entendre, il n’y a qu’une solution : se naturaliser pour espérer conserver ses biens. Le délégué consulaire, Issiaka Bouda est dans le même cas. Il confie qu’ils sont plus d’une centaine à avoir des dossiers de naturalisation à la justice. Et jusque-là, c’est le silence radio. « Je réside à Ayamé depuis près de 40 ans. J’avoue que ce sera très dur pour nous avec cette nouvelle loi. J’ai 15 hectares d’hévéa. Je suis Burkinabè de père et de mère. Je deviens quoi dans tout cela ? Ceux mêmes qui ont déposé leurs dossiers de naturalisation n’ont pas trouvé de réponse favorable. On ignore les raisons de ce refus », lâche-t-il. A Ayamé, la communauté étrangère est détentrice de la quasi-totalité des plantations, argumente-t-il. « Vous vous imaginez ce que cela peut occasionner si l’on doit leur retirer leurs terres? Pour le moment, nous vivons en paix avec les Ivoiriens et nous ne voulons que vivre dans la paix. Parce que nous avons déjà trop souffert des conflits fonciers», martèle M. Bouda. Selon un conseiller municipal à la mairie d’Aboisso qui a requis l’anonymat, avec cette loi, ce sont les planteurs burkinabè qui sont les plus grands perdants. Il estime que c’est un secret de polichinelle de dire que c’est la main-d’œuvre « voltaïque » qui a permis à la Côte d’Ivoire de se hisser dans le trio mondial des pays producteurs de café et de cacao. De son avis, la loi 12 devrait être plus précise. « Il eut fallu préciser dans la loi que ceux qui ont acquis leurs plantations avant l’adoption de la loi ne sont pas concernés. Ainsi, elle concernera ceux qui viendraient après pour acquérir une plantation. Ces derniers pourront alors signer des engagements et exploiteront la terre en tant que locataires », propose-t-il. Cependant, le président du Syndicat national des producteurs individuels de café-cacao de Côte d’Ivoire (SNAPRICCCI), Christophe Auguste Douka, dans une déclaration publiée, le 6 octobre 2016, sur le site agrici.net, fait des propositions qui sont loin d’être du goût des producteurs allogènes.
« Nous souhaitons que soit précisé à l’article 12 ceci : seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes, de père ou de mère, eux-mêmes ivoiriens de naissance, d’origine et nés en Côte d’Ivoire, peuvent accéder à la propriété foncière rurale. Les droits acquis sont garantis. La loi détermine la composition du domaine foncier rural ainsi que les règles relatives à la propriété, à la concession et à la transmission des terres du domaine foncier rural », lit-on dans sa déclaration.
De son avis, avant de voter cette loi, le gouvernement devrait procéder au recensement de tous les étrangers qui travaillent dans les plantations, évaluer leurs productions et les dédommager.
Gaspard BAYALA
gaspardbayala87@gmail.com
« Des ‘’soldats’’ burkinabè ont rempli la brousse »
A la fin de notre périple dans le Sud-Comoé, nous empruntons un « gbaka » pour Grand-Bassam. Installé auprès d’un quinquagénaire, nous lâchons cette question : « Que pensez-vous de la nouvelle disposition de la Constitution sur le foncier rural? ». Il nous lorgne sans mot dire. Nous insistons. « Les planteurs semblent inquiets. Les choses ne vont pas bien», ajoute-t-on. Vous travaillez avec les planteurs ou vous leur distribuez des intrants, me demande-t-il ? Affirmatif. « Donc tu es Ivoirien ? », m’interroge-t-il. Oui. « Je suis de Gagnoa », répondis-je. Il confie qu’il est de l’ethnie guéré (ndlr : peuple de l’Ouest de la Côte d’Ivoire). Il poursuit : « Je dis, si on tente d’appliquer cette loi en retirant les plantations, ce ne sera pas bon. Parce que si vous partez dans les brousses, 80% des plantations sont détenues par des Burkinabè. Ce sont des soldats burkinabè qui ont rempli la brousse. Ils se sont regroupés pour protéger leurs biens. Ces gens sont armés, ils ont des machettes. Mais, ils sont dangereux je te dis ». Tout en acquiescant d’un signe de tête, nous demandons la conduite à tenir dans ce cas de figure. « Mon petit, le jour que tu as un travail à faire là-bas, va faire et tu reprends ta route « chouait » (tranquillement) ! Parce que cette loi, les anciens gouvernements l’ont évoquée quand ils sont arrivés au pouvoir. Mais, personne n’a pu la mettre en œuvre. ADO est venu, il l’a adoptée, on attend de voir », ajoute-t-il. Il est contre ce qu’il qualifie d’accaparement de leurs terres par les Burkinabè, mais semble impuissant. Nos échanges prennent fin brusquement, lorsque l’apprenti dit : « Qui descend à Bonoua ? ».
G.B