Le 26 novembre 2016, à l’âge de 90 ans, s’est éteint Fidel Castro, le leader charismatique de la révolution cubaine. En 1986, Thomas Sankara, l’homme du 4-Août, avait envoyé 600 jeunes Burkinabè sur l’Île de la Jeunesse pour étudier. Plus de 20 ans après leur retour, la majeure partie de «ces enfants de Castro» n’ont pu s’intégrer dans le milieu professionnel burkinabè. Un des rares qui a su tirer son épingle du jeu est Christophe Ilboudo, le promoteur de l’espace culturel Camping Les Cocotiers Plus. Expert en production, transport et distribution d’énergie électrique, il est rentré de Cuba avec dans son cerveau la maîtrise de pas moins de 10 métiers. Portrait.
Rentré de l’Île de la Jeunesse en 1993, après y avoir séjourné pendant sept ans, Christophe est aujourd’hui un homme d’affaires prospère, l’un des rares de ce contingent de gamins partis sept ans plus tôt sur l’Île de Cuba à avoir pu tirer son épingle du jeu après son retour dans son Faso natal. Six cents au départ, il raconte qu’une quarantaine de ses camarades ont fini par se donner la mort une fois rentrés au bercail. Emile Durkheim, sociologue français, n’écrivait-il pas que «le suicide égoïste intervient lors d'un défaut d'intégration» ? De retour du pays de Fidel Castro en effet, il n’y avait pas de place dans la fonction publique burkinabè pour eux qui sont allés apprendre des métiers à Cuba. Surtout après l’assassinat de Thomas Sankara qui les avait envoyés étudier sur cette l’Île des Caraïbes. La société tenant les individus en vie en les intégrant, comme l’écrivait toujours Durkheim, il fallait être bien armé mentalement pour s’en sortir. Et Christophe Ilboudo l’a été.
L’amour comme carburant
L’idée de Thom Sank était de permettre à ces jeunes Burkinabè d’aller profiter de la qualité de l’enseignement au pays du Lider Maximo dont le système éducatif, il est vrai, n’a jamais rien eu à envier à ceux des pays développés. Après l’assassinat de l’homme du 4-Août, seulement un an après l’envoi de ses jeunes compatriotes à l’autre bout du monde, le sort des enfants venus du Faso y a pris une autre tournure : les voilà contraints d’opter pour des cycles courts d’enseignements techniques pour pouvoir se servir au moins de leurs dix doigts. Comme beaucoup de ses camarades, le jeune Ilboudo était orphelin de père. Orienté en Système électrique et industriel, il nourrissait pourtant le rêve de fabriquer un jour des wagons et des bateaux. Mais à l’image des autres, c’est autre chose qui lui a été imposé.
«Quand nous sommes arrivés sur l’Île de la Jeunesse, c’était pour faire des études normales. Nous, les plus vieux, avions 14 ans. Quand j’ai appris que je devais étudier le Système électrique industriel, c’est-à-dire la production, le transport et la distribution de l’énergie, j’ai voulu en plus comprendre et savoir comment on fabrique les machines qui produisent l’électricité. Et c’est cette curiosité qui me donne mon pain aujourd’hui», raconte fièrement Christophe.
Selon le sympathique «jeune révolutionnaire», qui est aujourd’hui un capitaliste accompli et décomplexé, c’est en fait l’amour qui l’a poussé à réussir. En effet, raconte ce natif de Doulougou dans le Bazèga, dans un premier temps, parce qu’il n’est pas rentré pour les vacances après la première année, les gens ont fait croire à sa mère qu’en fait son rejeton était mort dans les Caraïbes. Une «affreuse nouvelle» qui a fait perdre la tête à sa génitrice. «En réalité, nous étions deux, issus de la province du Bazèga. J’ai proposé à ma camarade de rentrer en prenant le soin de lui remettre des commissions pour ma mère. Mais les gens ont dit à ma mère que si je n’étais pas rentré, c’est parce que j’étais mort et on ne voulait pas le lui dire. Le choc a rendu la vieille folle», explique-t-il le regard hagard, traversé par une ombre de tristesse.
Dès qu’il a appris la mauvaise nouvelle, le jeune adolescent n’avait plus d’autre vie que le travail : «Je passais d’une usine à l’autre, avec un seul objectif qui est d’avoir le maximum de connaissances afin de ne pas chômer une fois au Burkina, et de gagner ma vie pour pouvoir m’occuper de ma mère ; puisque celle-ci est devenue folle par ma faute». Fini donc les vacances à la plage, les week-ends entre amis… Christophe était devenu un maniaque de l’apprentissage. C’est ainsi qu’il est rentré en 1993 avec, selon ses dires, la maîtrise de pas moins de 10 métiers : le rembobinage, la menuiserie, la soudure, l’électricité, la mécanique, la maçonnerie, la céramique, la maroquinerie…Autant dire un touche-à-tout, et avec un tel bagage pratique, il pouvait ne pas devenir riche, mais jamais il ne pourrait mourir de faim.
L’autre motivation d’Ilboudo, c’était Ana Dalgis Despaigne Duarte, sa petite amie. Il fallait bien qu’il y ait une affaire de cœur pour que l’histoire soit complète. «Un jour, un ami m’a dit que je ferais mieux de prendre mes dispositions afin de pouvoir faire venir ma copine au Faso dès les premières années qui allaient suivre mon retour, tellement il a remarqué que nous nous aimions et étions inséparables», explique-t-il. C’est ainsi que le jeune a débarqué à Ouagadougou ce soir de 1993 avec pour tout bagage 46 appareils photo qu’il a acquis à Cuba avec ses économies et qui valaient leur pesant de clichés. «Ce sont ces appareils que j’ai vendus pour pouvoir m’installer petit à petit à mon propre compte et bénéficier de mon premier marché avec la centrale Ouaga 2 de la SONABEL».
Numéro Uno
Aujourd’hui, Christophe Ilboudo est le boss de la Société de technique générale (STG SARL), une entité employant une quinzaine de techniciens dont trois Cubains qu’il a fait venir de La Havane. Leader dans l’entretien et la réparation de gros engins industriels tels que les générateurs, les transformateurs, les pompes, STG est la référence auprès des sociétés minières, de la SONABEL, de la BRAKINA, et de toutes les grandes industries de la place qui nécessitent souvent son intervention.
Mais si aujourd’hui l’entreprise de celui dont la prière se résume à «Dieu, Sankara et Castro» fait le bonheur des unités industrielles, c’est, confie-t-il, grâce au conseil d’un ami qui était à l’époque cadre à la Nationale de l’électricité. En effet, contrairement à la plupart de ses camarades, notre ami, expert en production, transport et distribution de l’électricité, l’est aussi en fabrication-réparation des engins produisant l’énergie. Juste avant de parapher son premier contrat de travail avec la SONABEL, l’ami en question lui fit une remarque : «Tu seras payé à 180 000 F CFA par mois, mais sache que tu es le seul au Burkina à posséder le savoir que tu as». «J’ai tout de suite compris que ce serait moi qui réparerai, gratuitement si on ose dire, toute machine qui se gripperait à la Sonabel.
Mais si je m’installais à mon propre compte, je serais très bien payé et je réussirais à vite faire venir ma fiancée ; car avec 180 000, je ne pourrais pas construire une maison et faire venir ma dulcinée», se souvient l’homme dont le chapeau de feutre est toujours vissé sur la tête. Et pendant qu’il faisait le tour du propriétaire avec nous, ses téléphones n’arrêtaient pas de sonner, sollicité qu’il est de toutes parts.
Cristobal, comme l’appellent certains de ses amis, est parvenu ad augusta per angusta, entendez au sommet par des chemins étroits. C’est pourquoi il n’oublie pas les moments durs des premiers mois qui ont suivi son retour au bercail. Et parle même avec fierté de cette période où ils dormaient à quatre dans une « méchante » case chez son grand-frère et où il fallait bouillir le mil pour manger.
L’expert en électricité, pour qui le soleil brille aujourd’hui, est aussi entrepreneur dans l’industrie de la distraction. En effet, c’est le propriétaire du Camping Les Cocotiers Plus situé à Tengandogo dans la commune de Komsilga à moins de 10 kilomètres de Ouagadougou. Là le promoteur a représenté ses souvenirs de Cuba. Des cocotiers, une piscine, une boîte de nuit, un bassin piscicole matérialisant la carte de l’Ile, des maisons de plain-pied. La preuve, selon lui, que dans le pays le plus communiste au monde, il fait bon vivre.
Mohamed Arnaud Ouédraogo
Encadré 1
Le dieu Fidel
Lorsqu’on demande à Bassiri ce qu’il retient du Lider Maximo, il répond tout de suite qu’il garde de lui l’image d’un dieu, de quelqu’un qui a toujours assumé la responsabilité de ses actes : « Une année, les Américains ont balancé des tracts sur la Havane. Des tracts qui diabolisaient Fidel et faisaient l’apologie du capitalisme. Cela a suscité une révolte spontanée des gens, qui sont descendus dans la rue et ont commencé à casser. Castro est alors apparu au milieu de la foule et sans garde, il s’est adressé à la foule en lui disant que c’est à lui qu’elle devait s’en prendre et non aux immeubles et autres feux tricolores. Car c’est moi qui ai fait la Révolution, a-t-il lancé. Et du coup, les gens ont arrêté la casse et ont commencé à scander son nom en marchant jusqu’à la télévision où il a prononcé un discours ».
M.A.O.
Encadré 2
« Quelqu’un qui vous apprend à vous prendre en charge n’est pas un dictateur »
Homme accompli et père de deux grands garçons (18 et 14 ans) qui étudient à Cuba où ils étaient avec leur mère lors de notre passage, Cristobal ne jure que par Dieu, Sankara et Castro, ses seuls repères. «Un dictateur oblige les gens à faire ce qu’ils n’aiment pas. Mais quelqu’un qui vous permet de manger à votre faim, qui vous sanctionne lorsque vous refusez de scolariser vos enfants, qui vous apprend à vous prendre en charge, ce n’est pas un dictateur, c’est un bienfaiteur. Car les Cubains n’ont jamais été contre ce que leur proposait Castro». C’est ainsi qu’il répond aux détracteurs du Lider Maximo qui traitent l’illustre disparu d’autocrate. Selon lui, s’il est à ce niveau aujourd’hui, c’est grâce bien sûr à Dieu, mais aussi à Thomas Sankara et à Fidel Castro qui ont donné un jour la chance à 600 orphelins d’avoir une vie meilleure. « Pas touche » donc à mon despote.
M.A.O.
Encadré 3
Un grand cœur
Membre fondateur de l’Association des anciens élèves de Cuba, M. Ilboudo se souvient de ce que lui et ses camarades ont subi de la part de l’Etat burkinabè à leur retour. Sans diplôme, ou du moins sans l’équivalent de leurs diplômes au Faso, ils étaient des laissés-pour-compte. «Imaginez des orphelins qui quittent leur pays entre 9 et 14 ans pour aller étudier à l’étranger. Sept ans plus tard, ils retournent, jeunes adultes pour la plupart, dans un pays qui dit ne rien à voir avec eux. C’était cruel. Il y a eu des suicides en cascades», raconte Christophe, le cœur serré. Ayant réussi, lui n’a pas tourné le dos à ses camarades et, à travers l’association, soutient autant que faire se peut ceux qui sont dans le besoin.
M.A.O.