Nous avons célébré le 19 novembre dernier la journée mondiale des toilettes. Cela fait ironiser beaucoup de monde, car on se demande bien d’où peut être venue cette idée de célébrer les toilettes. Evidemment, quand on a des toilettes propres utilisables à tout moment à la maison ou sur nos lieux de travail, on se demande bien quel est l’intérêt d’une mobilisation internationale pour des toilettes.
Mais déjà quand on écoute le grand – au propre comme au figuré – Sana Bob dans son célèbre titre « Mon Pays » se préoccuper du sort de celui qui est pris d’une envie soudaine, urgente et violente en plein milieu de Ouagadougou, loin de sa maison et loin de son bureau (et je suis sûr que vous avez tous vécu cela au moins une fois), on commence à comprendre que parler toilettes n’est pas si stupide que cela, même pour les plus nantis.
Quand on connait l’état d’insalubrité notoire et chronique des toilettes dans nos services, et qu’on n’a pas le privilège d’être un haut responsable dont le bureau a ses toilettes privées, là on se sent nettement concerné.
Enfin, quand on apprend que chaque jour, environ 10 millions de personnes au Burkina Faso défèquent dans la nature, soit chaque jour 1400 tonnes d’excréments humains largués dans la nature à l’air libre et que ces déchets rejoignent librement nos assiettes, on regarde différemment toutes les mouches qui volent…
Oui, les toilettes, c’est intime, c’est privé mais c’est un problème sérieux. C’est notre santé, c’est notre dignité et donc nous devons en parler publiquement. Finalement, tout le monde conviendra que le 19 Novembre, ce n’est pas du tout stupide, loin de là, et vu l’enjeu, on ne devrait pas attendre ce jour pour en parler car c’est bien tous les jours que nous vivons ces problèmes.
L’assainissement est un droit humain
L’assainissement est un droit humain, inscrit dans la Constitution du Burkina Faso. Si pour les spécialistes de la question, l’enjeu de cette inscription est assez clair, on observe plusieurs interrogations de l’opinion publique sur le sens de ce droit. Bien évidemment, le droit à l’assainissement ne signifie pas que le citoyen croise les bras et attende que l’Etat lui fasse des toilettes. Si mon voisin de quartier va régulièrement chier (je m’autorise cette vulgarité avec votre indulgence par pur souci de clarté) sur la parcelle vide en face de ma maison, il compromet mon droit et ce que j’attends de l’Etat c’est de le sanctionner pour défendre mon droit.
Pour ce cas concret, le code de l’hygiène adopté depuis 2002 exige que chaque propriétaire d’habitation installe des toilettes et veille à ce qu’elles soient fonctionnelles et hygiéniquement entretenues. Des sanctions sont prévues pour punir les contrevenants. Mais comme beaucoup de nos précieux textes, indispensables dans notre Etat de droits, l’application reste décevante. Peu d’efforts ont été faits depuis l’adoption de ce code pour contrôler son application et sanctionner les contrevenants.
Certes, beaucoup peuvent soulever le problème récurrent de la pauvreté prétextant les moyens limités des ménages pour faire face à la construction d’une latrine. Mais de quelle pauvreté parlons-nous vraiment ? A part à Ouagadougou ou dans quelques autres villes, personne ne dort dehors. Tout le monde vit sous un toit, aussi précaire soit-il. Le téléphone portable a trouvé sa place dans le budget de la majorité des ménages en dépit de son caractère moins essentiel.
Et enfin, comprendrait-on la non application des sanctions prévues pour les violations du code de la route sous le prétexte que les populations n’ont pas les moyens d’apprendre le code ? Parmi les 10 millions de défécateurs quotidiens à l’air libre, une très grande partie roule une moto chinoise ou un vélo. Et mieux, il y a la solidarité familiale qui permet de protéger les plus vulnérables, pour l’éducation, la santé et bien d’autres besoins sociaux. Il n’est pas nécessaire de sortir des statistiques pour reconnaître que l’extrême pauvreté qui justifierait l’attentisme des citoyens ou autorités vis-à-vis de subventions publiques nationales ou internationales pour avoir des toilettes à domicile, cette extrême pauvreté est marginale.
On peut aussi s’intéresser à la situation des personnes vivant avec des handicaps et donc qui nécessiteraient des solutions spécifiques. C’est extrêmement important en termes de droits humains mais néanmoins marginal en termes de nombre de cas irréguliers. On peut revenir sur le cri de cœur de Sana Bob au sujet des toilettes publiques qui interpellent évidemment en premier lieu la responsabilité des autorités publiques. Et enfin, l’assainissement, ce n’est pas seulement des toilettes, mais aussi tout le reste de la chaîne jusqu’à ce que les déchets ne présentent plus de risque ni pour la santé, ni pour l’environnement. Et sur ce qu’il advient de nos excréments après nos toilettes, les responsabilités de l’Etat sont aussi très importantes.
Le contrôle et la sanction
Pour le moment, restons sur les toilettes. Une interprétation simple que tout le monde devrait adopter du droit à l’assainissement, c’est l’obligation induite pour chaque citoyen de respecter le code de l’hygiène. L’inscription du droit à l’assainissement dans la Constitution consacre au plus haut niveau cette responsabilité du citoyen et relance l’Etat sur sa responsabilité à mettre rigoureusement en œuvre les mesures coercitives et répressives définies en plus des mesures incitatives prescrites.
Les résultats peu satisfaisants depuis 2002, alors que les efforts de l’action publique ont été essentiellement focalisés sur la sensibilisation et la motivation des citoyens, nous rappellent la place importante que devraient occuper le contrôle et la sanction dans la promotion du droit à l’assainissement : deux tiers de la population qui défèquent toujours dans la nature !
Parlant de droit, en simple citoyen préoccupé et pas en juriste, la lecture attentive du code de l’hygiène m’inspire quelques interrogations : la défécation à l’air libre est-elle vraiment interdite au Burkina Faso ? Parce que si éventuellement, elle ne l’était pas, sur quoi puis-je fonder le fait que le vilain geste de mon voisin est une violation de mon droit à l’assainissement ? Le code exige des toilettes dans les habitations et sur les places publiques. Le code « interdit de déposer, de jeter ou d’enfouir les déchets de toute nature sur les voies et places publiques, sur les rives ou dans les mares, les rivières, les fleuves, les lacs, les étangs, les canaux d’évacuation des eaux pluviales et les canaux d’irrigation ou à proximité d’un point d’eau ».
Mais les parcelles privées vides et donc inhabitées de mon quartier sont-elles des places publiques ? Il ne s’agit pas seulement de celles qui sont clôturées et que certains indélicats n’hésitent pas à escalader pour se soulager, mais aussi les non-clôturées. Comment le code s’applique-t-il dans les quartiers non lotis, dans les communes rurales, dans les villages ? Tous ces endroits où logent la grande majorité de ceux qui défèquent chaque jour à l’air libre au mépris de la loi ? Certes, une disposition générale du code stipule qu’il est « interdit de poser des actes susceptibles de porter atteinte à l’hygiène publique ».
Le citoyen lambda désirant exercer son droit s’oblige alors à poser un écriteau ou une mention sur son mur « interdit d’uriner ou de chier ici… », confirmant ainsi ses doutes sur la précision et la complétude de la loi. La loi laisse l’initiative aux autorités communales pour concevoir et appliquer toute règlementation pertinente pour renforcer l’impact des dispositions du code de l’hygiène. Mais dans laquelle de nos communes urbaines ou rurales, la défécation à l’air libre est-elle explicitement interdite ? Les autorités communales ont une grande part de responsabilité dans la lutte contre la défécation à l’air libre.
Déjà, cela les obligerait à réfléchir et réagir bien plus rapidement à la forte demande en toilettes publiques dans nos villes. Une fois qu’il serait clair dans chaque commune que cette pratique, indigne des hommes intègres, est interdite en application de la Constitution et subséquemment du code de l’hygiène, les maris dans nos villages et quartiers non lotis sauraient qu’ils ont le devoir constitutionnel de prévoir des toilettes pour leur famille, pour préserver la santé et la dignité de leurs femmes et leurs enfants.
Les jeunes filles et les femmes n’exigeraient plus seulement un toit pour rejoindre un homme, mais aussi des toilettes pour leur dignité. Les ressortissants de villages installés dans les villes sauraient qu’ils ont un devoir constitutionnel de solidarité et d’influence vis-à-vis de leurs parents au village pour qu’ils surmontent tous les blocages possibles et arrêtent la défécation à l’air libre. Et si malgré tout ça, des voisins indélicats continuent de se soulager sur les terrains vides du quartier, ils sauront qu’ils peuvent à tout moment être pris par la police, la gendarmerie, les koglwéogos ou tous autres gardiens légaux et légitimes du respect de notre Constitution et de nos lois.
Juste Hermann NANSI
Directeur IRC Burkina
Coordinateur de l’Alliance FASEAU : OSC et Medias militants des droits humains à l’eau et à l’assainissement au Burkina Faso