Le jeu du chat et de la souris ! C’est en ces termes que l’on peut qualifier les relations exécrables qui existent entre Paris et Kigali, depuis l’avènement du génocide rwandais d’avril 1994 qui aura coûté la vie à plus de 800 000 personnes, des Tutsis essentiellement. En effet, depuis que la Justice française a annoncé la réouverture du dossier sur la mort de l’ex-président Juvénal Habyarimana, la tension est montée de plusieurs crans entre les deux capitales. Cela fait suite à la sortie fracassante du sieur Kayumba Nyamwasa, du nom de cet officier supérieur rwandais en exil, qui disait disposer de « preuves » de l’implication du président Paul Kagamé dans l’attentat du 6 avril 1994. Il n’en fallait pas plus pour hérisser le poil des autorités rwandaises qui ont multiplié les sorties, les unes aussi primesautières et impulsives que les autres. Car, tel un berger qui répond à une bergère, Kigali a aussitôt décidé d’ouvrir une enquête judiciaire sur le rôle d’une vingtaine de personnalités françaises dans le génocide rwandais. L’annonce a été faite le 29 novembre dernier, par le procureur général du Rwanda, Richard Muhumuza. « Au fil des enquêtes, d’autres agents et/ou fonctionnaires français pourraient être appelés à la barre », a-t-il précisé. Dans son communiqué, le procureur général s’est gardé, pour l’instant, de citer nommément des noms, même si l’on sait que le 1er novembre dernier, une commission rwandaise avait déjà publié la liste de 22 officiers supérieurs français qu’elle accuse d’être impliqués dans le génocide « en tant qu’auteurs et complices ». Parmi eux, figurent les noms de l’ancien chef d’état-major Jacques Lanxade et le Général Lafourcade, du nom de l’ex-commandant de l’opération turquoise. En tout cas, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision de la Justice rwandaise risque à nouveau d’affecter les relations diplomatiques entre la France et le Pays des mille collines.
Il faudra bien qu’un jour, Paris et Kigali acceptent de crever l’abcès
Les autorités hexagonales vont-elles accéder à la requête des juges rwandais ? Pas si sûr, même si Kigali se vante d’avoir, de par le passé, autorisé des enquêtes françaises sur son sol. En fait, on ne le sait que trop bien, autant la France n’est pas exempte de tout reproche dans le drame de 1994, autant le président Kagamé n’est pas non plus blanc comme neige dans l’attentat contre l’ex-président Habyarimana. N’était-ce pas déjà assez de rappeler que le pouvoir pour le moins dictatorial du président Habyarimana était soutenu à bout de bras par la France et que le président Paul Kagamé, alors chef rebelle, n’avait jamais fait mystère de sa volonté de venir à bout de ce régime qu’il traitait de tous les péchés d’Israël ? Alors, en un mot comme en mille, les autorités françaises et les dirigeants rwandais se tiennent par la barbichette. Car, Kigali sait que Paris sait, et vice-versa ; d’où cette guerre froide permanente entre les deux capitales. On croyait pourtant que les choses iraient mieux avec le procès de certains génocidaires rwandais qui avaient trouvé refuge en France. On peut citer le cas de Pascal Simbikangwa condamné à 25 ans de prison ferme et de deux anciens bourgmestres, Tito Barahira et Octavien Ngenzi, condamnés à perpétuité par la Justice française. En tout état de cause, il faudra bien qu’un jour, Paris et Kigali acceptent de crever l’abcès et que les responsabilités soient situées. Cela permettrait de savoir le rôle que les uns et les autres ont joué dans ce triste épisode de l’histoire rwandaise. Car, si pour les autorités françaises, l’attentat contre Juvénal Habyarimana a été l’élément déclencheur du génocide, il en va autrement pour Kigali pour qui les colons, à travers leur valet de président, ont travaillé à diviser Tutsis et Hutus qui, pourtant, vivaient en parfaite harmonie.
Boundi OUOBA