Chaque 1er décembre est célébrée la journée mondiale de la lutte contre le Sida. Au Burkina Faso, le premier cas du Sida a été détecté en 1986 et cela fait donc 30 ans que les acteurs mènent le combat. Cette année, cette journée sera commémorée sous le thème «30 ans de Sida au Burkina Faso : enseignements et perspectives». Dans le cadre de cette commémoration, nous avons rencontré un acteur de longue date dans la lutte contre cette maladie: il s’agit du Président du conseil d’administration du Réseau africain jeunesse, santé et développement au Burkina Faso (RAJS/BF), Bagnomboé Bakiono, par ailleurs directeur général de la radio Ouaga FM.
Fasozine: Ce jeudi 1er décembre est la journée mondiale de la lutte contre le Sida. Au Burkina Faso, cette journée sera célébrée sous le thème « 30 ans de Sida au Burkina Faso : enseignements et perspectives». Quel bilan peut-on faire de ces 30 années de lutte contre cette pandémie ?
Bagnomboé Bakiono : En ce qui nous concerne, nous avons commencé le combat contre le VIH/Sida en 1994, quand nous étions à l’Université de Ouagadougou. Nous avons ensuite amplifié ce combat avec la création du RAJS qui était à l’époque le Réseau africain des jeunes contre le Sida où nous avons travaillé à mettre en place un plan de leadership en Afrique. Nous avons pu convaincre les jeunes, qui étaient principalement les victimes, de se mobiliser pour être les acteurs de cette lutte. Je pense qu’il y a beaucoup d’enseignements qu’on peut tirer. D’abord, la lutte contre le VIH/Sida a permis de démontrer que, là où les bénéficiaires sont transformés en acteurs potentiels, on peut avoir des résultats probants. C’est ce qui justifie les résultats engrangés. Au moment où nous commencions avec la création de RAJS, le Burkina Faso était à 7,18% de séroprévalence, dont 10% chez les filles et 8% pour les garçons. Aujourd’hui, nous tournons autour de 0,9% de séroprévalence, dont 0,4% pour les garçons et 0,5 % pour les filles. Cela veut dire qu’il y a quelque chose qui a été fait, que beaucoup de gens ont pris conscience. Ces résultats ont permis de démontrer aux Etats africains et aux partenaires au développement que la société civile, si elle est outillée et encadrée, peut permettre à contribuer de façon rationnelle à avoir des résultats.
L’autre enseignement à tirer est la faible capacité de nos Etats à prendre le relais des partenaires au développement. Quand nous mobilisions les partenaires pour parler du VIH Sida, l’information était disponible partout. Des associations menaient des activités dans les villages et les villes. D’autres occupaient les medias pour alerter les jeunes. Mais aujourd’hui, j’ai un pincement au cœur quand des jeunes me demandent si le Sida est fini. Cette faible capacité des Etats à prendre le relai institutionnel pour assurer la communication et certains services fondamentaux m’inquiète. Nous constatons que les moyens pour lutter contre la pandémie diminuent. Et beaucoup de jeunes ont les relations sexuelles avec les plus vieux. Si on considère que le Sida est de la génération des plus vieux et que ces plus vieux ont des relations avec les plus jeunes, cela veut dire qu’ils vont leur transmettre l’infection. Si on continue de garder ce mutisme et de ne pas vraiment considérer le Sida comme une priorité dans l’éducation et la sensibilisation des jeunes, je pense que nous allons passer à côté de la plaque.
L’Onusida s’est fixé comme objectif d’éradiquer la pandémie d’ici 2030, comment est-ce que cet objectif pourrait être atteint?
Depuis 2001, l’Onusida a mis en place une stratégie qui doit permettre d’éradiquer le VIH d’ici 2030 en décidant de faire en sorte que les gens aient accès à la prévention, aux tests de dépistage et, à 90%, aux Anti rétro viraux (ARV). Mais aujourd’hui, la situation économique de certains Etats fait en sorte qu’on a du mal à financer la prévention. Des gens se disent que le Sida est fini alors que le Sida est toujours une réalité. Si on prend le taux de prévalence national qui est de 0,9% et qu’on le rapporte aux 18 millions de Burkinabè, on se rend compte que c’est un nombre considérable de gens qui sont encore concernés encore par le VIH.
Par ailleurs, les campagnes de dépistage deviennent sporadiques aujourd’hui. Elles sont financées dans le cadre du Fonds mondial. Mais si le Fonds mondial aussi s’arrête, nous aurons des difficultés pour pouvoir le faire. S’agissant des ARV, nous avons jusque-là mené un combat pour dire que ces médicaments doivent être de la souveraineté de l’Etat parce que ce sont des traitements qu’on prend à vie et qu’on ne doit pas dépendre du Fonds mondial pour leurs achats. Dans le contexte du Burkina Faso, l’Etat doit évaluer le financement réel que les partenaires au développement et les amis du Burkina Faso assumaient. Il doit essayer ensuite de combler d’au moins 50% ce GAP financier pour nous permettre de consolider les acquis. Si cela n’est pas fait, nous ne pourrons pas atteindre les objectifs fixés par l’Onusida. Surtout avec la nouvelle génération qui entre en activité sexuelle sans informations sur le VIH.
Le taux de prévalence national est estimé à 0,9%. Mais dans certaines villes comme Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Gaoua, Koudougou et Ouahigouya, le constat est que le taux de prévalence est très élevé par rapport à la norme. Qu’est ce qui explique cela ?
Ce sont des villes qui sont des carrefours commerciaux où il y a beaucoup de gens qui se déplacent. Parmi ces gens, il y a des célibataires momentanés qui cherchent des occasions pour avoir une activité sexuelle. Ce qui explique également le taux très élevé à ces niveaux, ce sont des villes où le travail du sexe est développé. Il y a également la consommation d’un certain nombre de stupéfiants. Les hommes ont des rapports sexuels avec les femmes qui sont reparties dans ces grandes métropoles du Burkina Faso. Ce sont des villes qui abritent des universités. Et quand on dit universités, il y a des gens sexuellement actifs. Si on ne traite pas les infections sexuellement transmissibles, c’est une porte ouverte pour le VIH/Sida. Dans ces villes, les gens ont l’habitude de faire les tests médicaux. C’est la raison pour laquelle on a des données. Mais ailleurs si le test n’est pas disponible et que les gens n’ont pas une conscience pour le faire régulièrement, on ne peut pas avoir des données et les sites sentinelles qui nous donnent ces informations s’appuient sur les femmes enceintes. Dans les autres villes celles qui ne font pas le test c’est difficile de le savoir et de donner un taux.
Quels conseils avez-vous à donner à la population en général, et à la jeunesse en particulier ?
Je m’adresse d’abords aux adolescents et aux jeunes : le VIH n’est pas terminé au Burkina Faso. De nos jours, les IST concernent encore les jeunes parce que ce sont eux qui sont sexuellement actifs. Ils entrent en activité sexuelle de façon précoce sans avoir les informations nécessaires sur les moyens de se protéger. Ils doivent donc faire attention. Ou alors s’abstenir jusqu’au mariage, faire les différents tests pour connaitre le statut sérologique de leur partenaire avant de laisser tomber le préservatif. S’ils ne peuvent pas s’abstenir d’avoir une activité sexuelle, qu’ils essaient systématiquement d’adopter une méthode de prévention. Et accentuer la communication avec leurs parents pour qu’ils puissent être cette génération sans le VIH. Sinon, s’ils continuent de baisser la garde, on va toujours parler de VIH, même au-delà de 2030. S’agissant des parents, qu’ils intègrent cette éducation de la prévention du Sida, de sa prise en charge pour faire en sorte que chaque enfant, dans son éducation à la sexualité, puisse savoir comment vivre dans un environnement avec le VIH et adopter les attitudes nécessaires qui le protègent.
Un appel à l’endroit des autorités ?
Au gouvernement, je demande de faire en sorte que l’éducation sur le VIH et les autres questions liées à la sexualité des adolescents et des jeunes soit intégrée dans les curricula de l’enseignement. Donner le soin à l’enseignant d’en parler n’est pas la bonne solution. Il faut en faire une matière obligatoire et qui est même évalué. Ce qui est enseigné de façon académique peut permettre la mobilisation des associations des parents d’élèves, de faire des activités communautaires avec l’appui des associations pour faire comprendre aux jeunes que la réalité du Sida est toujours là. Et si nous voulons que notre jeunesse soit le pilier de l’avenir, il faut faire en sorte qu’elle soit en bonne santé. Elle doit donc être épargnée de l’infection à VIH.
Propos recueillis par Ylkohanno Somé