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Juste Hermann Nansi, Directeur d’IRC Burkina: «L’eau et l’assainissement ne sont pas des privilèges»
Publié le dimanche 27 novembre 2016  |  FasoZine
Juste
© Autre presse par DR
Juste Hermann Nansi, Directeur d’IRC Burkina.




En dépit des efforts considérables engagés par l’Etat, on note toujours des disparités importantes dans l’accomplissement des droits humains à l’eau et à l’assainissement au Burkina Faso. Lancée en mai dernier à Ouagadougou et regroupant plusieurs organisations de la société civile du secteur de l’eau, de défense des droits humains et des médias, l’Alliance Fas’Eau prend le leadership de ce combat. Juste Hermann Nansi, Directeur d’IRC Burkina, et chef de file de cette Alliance, évoque ici les tenants et les aboutissants de la mise en œuvre des droits humains à l’eau et à l’assainissement au Burkina Faso.

Fasozine: Quelles sont les motivations de l’Alliance Fas’Eau, portée sur les fonts baptismaux il y a quelques mois sous la houlette d’IRC?

Juste Hermann Nansi: L’Alliance Fas’Eau est la réponse que nous apportons à la faible mise en œuvre des droits humains à l’eau et à l’assainissement au Burkina Faso. Du fait de ses engagements nationaux et internationaux, l’Etat burkinabè, qui s’est du reste toujours montré respectueux des traités qu’il a signés, doit pouvoir respecter, protéger et mettre en œuvre les droits humains.

Pour ce faire, il doit s’abstenir d’entraver la mise en œuvre du droit, faire en sorte que nul n’entrave l’exercice du droit et adopter les mesures appropriées pour garantir le plein exercice et la pleine jouissance du droit.

Que signifient justement les droits à l’eau et à l’assainissement?

Je rappelle que le droit à l’eau potable est un droit fondamental. Il doit permettre à chacun d’avoir accès, sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, à un approvisionnement suffisant d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques. Le droit de l’Homme à l’assainissement doit permettre à chacun, sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, d’avoir accès à des équipements sanitaires, dans tous les domaines de la vie, qui soient sans risque, hygiéniques, sûrs, socialement et culturellement acceptables, qui préservent l’intimité et garantissent la dignité.

Je réaffirme que ces deux droits sont des éléments du droit à un niveau de vie suffisant. Et il incombe au premier chef aux États d’assurer la pleine réalisation de l’ensemble des droits humains à l’eau et à l’assainissement.

Ces droits sont-ils menacés au Burkina?

Au sein de l’Alliance Fas’Eau, nous ne nions pas les efforts consentis par les autorités publiques pour améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement depuis plusieurs décennies. Toutefois, nous déplorons l’insuffisance des allocations budgétaires pour les investissements, la dégradation progressive de la qualité des ouvrages et de la qualité des services fournis, l’inexistence des sanctions contre les fautifs de violations des droits humains, que ce soit au niveau de l’administration publique ou des fournisseurs de services et plusieurs autres problèmes de gouvernance qui minent l’efficacité de l’action publique. Tous ces problèmes s’expliquent en partie par la faible exigence et vigilance des citoyens et des usagers des services d’eau potable et d’assainissement. Généralement, ils ne sont pas conscients de leurs droits, ils ne savent pas comment les revendiquer et quels sont les recours, et ils ne sont pas non plus conscients de leurs obligations et responsabilités pour que l’Etat puisse assurer efficacement les services d’eau potable et d’assainissement. Pour notre part, il ne peut y avoir de réalisation des droits humains en l’absence d’une dynamique permanente d’exigence et de responsabilité entre les citoyens et les autorités publiques, entre les usagers et les fournisseurs de services.

Peut-on alors dire que l’Alliance Fas’Eau est un «syndicat» dont la vocation est de défendre le droit des populations à l’eau et à l’assainissement?

Dans un sens oui, ce terme permet certainement de vite appréhender les ambitions de l’Alliance. Nous assurons la veille, la protection et la défense des droits humains à l’eau et à l’assainissement. Nous stimulons et alimentons des échanges et interactions critiques et constructives entre les citoyens, les autorités publiques et les fournisseurs de services pour accélérer l’accès pour tous et en permanence à des services appropriés d’eau potable et d’assainissement.

Autant nous attendons que les citoyens mettent les autorités et fournisseurs devant leurs responsabilités, autant nous attendons que les autorités et fournisseurs interpellent aussi les citoyens et usagers à leurs obligations dans le but ultime de la pleine jouissance des droits humains pour tous.

En deux mots, quel état des lieux peut-on faire sur la question des droits humains liés à l’eau et à l’assainissement au Burkina Faso?

Des efforts importants sont consentis quotidiennement par les autorités publiques pour la réalisation des droits humains à l’eau et à l’assainissement. Ainsi, des progrès non négligeables ont été accomplis en matière d’accès aux systèmes d’approvisionnement en eau et aux toilettes.

Cependant, lorsqu’on examine par exemple la question de l’équité et de la non-discrimination — un des principes de l’approche fondée sur les droits humains —, on observe très vite des disparités importantes entre les citadins et les populations rurales, entre les citadins du centre dans les grandes villes et les habitants des zones périphériques. Et ces disparités portent sur la fiabilité de la fourniture de l’eau potable (coupures, baisse de pression), sur le prix, etc. Combien de jours dans l’année peut-on avoir son robinet à domicile ou la borne-fontaine qui marche correctement dans nos villes secondaires? Nous avons tous vécu ces moments difficiles à Ouagadougou depuis plusieurs années, et c’est encore plus dur pour les habitants en province, à Gorgadji ou Gaoua!

Et c’est un problème que de nombreuses personnes vivent au quotidien sans même savoir que leurs droits y sont attachés…

Exactement! Combien de personnes sont privées des services d’eau ou d’assainissement du fait de leur faible capacité financière, de leur lieu d’habitation ou de leur handicap physique? Combien d’écoles ou d’hôpitaux disposent de toilettes adaptées pour les personnes handicapées ou de cabines distinctes pour les femmes? Combien de femmes et de filles sont encore astreintes à la corvée d’eau quotidienne compromettant leur scolarité ou leur épanouissement?

Comme vous le voyez, on ne peut plus se limiter aux taux d’accès qui semblent élevés. La réalité est beaucoup moins acceptable. Chacun de nous peut dresser un tableau sincère de l’état des droits humains à l’eau et à l’assainissement dans son voisinage ou dans son village d’origine. La règle simple, c’est de reconnaître que ce qui est essentiel pour nous l’est aussi pour tout le monde. L’eau et l’assainissement ne sont pas des privilèges, mais des droits universels.

Quels sont les moyens d’action de l’Alliance Fas’Eau pour infléchir un tant soit peu la disparité criarde entre les populations en matière d’accès à l’eau?

L’Alliance mise sur la formation, l’information, le débat, la veille, le contrôle et tous moyens constructifs d’interpellation et de pression. L’Alliance réunit d’importantes organisations de la société civile (IRC, AFJ/BF, Eau Vive, LCB, LVIA, MBDHP, Spong, Musée de l’eau) et certains des plus importants organes de presse au Burkina (Fasozine, Lefaso.net, Radio Oméga, la RTB, Savane FM). Nous disposons d’expertises avérées et complémentaires pour la promotion des droits humains.

L’Alliance constitue donc notre cadre pour réfléchir, discuter et partager les idées pour que chacun des membres assure la promotion des droits humains à l’eau et à l’assainissement à travers ses activités courantes. Nous avons élaboré un plan d’action quinquennal pour mobiliser les soutiens des partenaires. Ces moyens externes doivent permettre à chaque membre de l’Alliance de mieux structurer et renforcer son action en faveur des droits humains à l’eau et à l’assainissement.

L’un des leitmotivs de l’Alliance est la résorption de la corvée d’eau dans nos villes et campagnes. Comment entendez-vous impliquer les politiques dans cette dynamique?

La corvée de l’eau est l’une des meilleures illustrations des violations des droits humains à l’eau. De façon générale, le terme désigne le fait de parcourir régulièrement une distance relativement importante et/ou de consacrer un temps relativement important pour approvisionner le ménage en eau pour les besoins domestiques. La corvée d’eau présente trois caractéristiques spécifiques interdépendantes: la pénibilité, la distance et le temps. Nous nous réjouissons de l’engagement des nouvelles autorités burkinabè à éradiquer la corvée de l’eau. Les femmes et tous les citoyens devraient veiller à la concrétisation de cet engagement en s’appuyant sur une mesure objective de la pratique de la corvée d’eau.

Parlant de mesure, selon un rapport de l’INSD (Institut national de la statistique et du développement, Ndlr) publié en février 2015, seulement 15% de la population burkinabè s’approvisionne en eau potable à partir d’un robinet à domicile. Cela veut dire que 85% de la population s’approvisionne à des sources distantes et sont ainsi victimes de la corvée d’eau (pénibilité, distance et temps). C’est par là que nous commençons la discussion avec les politiques. Tandis que le même rapport de l’INSD conclut que 76,3% ont physiquement et économiquement accès à l’eau potable — donc qu’il n’y a que 23,7 points pour atteindre les 100% —, nous rappelons qu’il faut progresser de 85 points pour éradiquer la corvée d’eau au Burkina Faso.

Il y a quand même régulièrement des forages qui sont construits dans les villages…

Bien sûr, mais se limiter à réaliser de nouveaux points d’eau distants des ménages ne contribue pas à éradiquer la corvée d’eau. Ni vous ni moi ne supporterions de passer une heure ou deux chaque jour pour avoir de l’eau pour nos besoins domestiques. Si l’Etat installe le point d’eau à un ou deux kilomètres de notre maison, que nos épouses aient à marcher, faire le rang et transporter des bidons remplis, nous estimons que le travail de l’autorité publique n’est pas terminé.

Nous reconnaissons que ce n’est pas simple, mais c’est cela le défi de l’éradication de la corvée d’eau. L’Alliance met l’expertise de ses membres à la disposition des autorités gouvernementales pour mieux cerner le problème de la corvée d’eau et développer les solutions pertinentes. L’Alliance tient son expertise à la disposition des parlementaires, afin qu’ils puissent apprécier objectivement les orientations et actions gouvernementales en lien avec l’éradication de la corvée d’eau au Burkina Faso. Nous critiquons, nous interpelons… Mais, j’insiste, nous proposons également des solutions car notre but ultime, c’est de résorber les violations des droits humains comme la corvée d’eau.

Quels sont les objectifs prioritaires de l’Alliance Fas’Eau pour 2017?

En 2017, l’Alliance espère bénéficier des soutiens extérieurs nécessaires pour le démarrage de l’ensemble des activités de son plan quinquennal. A défaut de ces ressources, l’Alliance s’appuiera sur des moyens propres et la mobilisation de ses membres pour renforcer la présence des droits humains à l’eau et à l’assainissement dans le débat public au niveau national. Nous saisirons les opportunités pour interpeler et proposer des solutions.



Propos recueillis par Serge Mathias Tomondji
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