Le mot d’ordre de grève de 72 heures sans service minimum du syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) a été bien suivi au premier jour dans les centres sanitaires, sur toute l’étendue du territoire national. C’est le constat que nous avons pu faire hier 22 novembre 2016, date de début de la grève, en sillonnant quelques formations sanitaires à Ouagadougou.
Il était 9h quand nous arrivions au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, hier 22 novembre 2016. Le constat qui sautait à l’œil, est que les choses ne bougeaient pas comme d’habitude. « Le syndicat a vraiment tenu parole ; cette fois-ci ils ont tapé fort, pas de service minimum comme ils l’avaient annoncé », s’exclama l’accompagnant d’un malade qui cherchait le personnel soignant. L’engouement comme on a l’habitude de le voir à Yalgado, n’était pas au rendez-vous hier. Infirmiers, médecins, docteurs et professeurs ont tous déserté leurs bureaux en abandonnant blouses, seringues, bulletins d’examens et autres sous le regard impuissant des patients qui ne savaient plus à quel saint se vouer. Aux urgences médicales, le constat était amer ; pas de service minimum comme l’avait souligné le SYNTSHA dans son mot d’ordre de grève. Là-bas, des malades étaient couchés à même le sol. D’autres, leur poche de perfusion terminée, attendaient d’être contrôlés, mais pas de médecin ni d’infirmier pour s’en occuper. « Si le gouvernement ne prend pas ses responsabilités, nous allons tous mourir dans ce pays. C’est quel pays où tous les jours il y a des problèmes ? Même avec nos propres sous ; on ne peut pas se soigner dans un CHU ou au CMA. Vous remarquez avec moi que tout est fermé (ndlr, il a montré du doigt un bureau fermé). Même une simple consultation, on ne peut pas l’avoir ; n’en parlons pas des examens et radiographies », lança un patient désemparé que nous avons croisé aux urgences médicales. Un agent qui était de passage à ce même service avec son matériel de travail, nous a fait comprendre qu’il n’y avait pas de service minimum, mais qu’eux sont des stagiaires qui étaient juste présents pour faire ce qu’ils peuvent. Après les urgences médicales, nous voilà à la maternité. En ces lieux également, des femmes couchées à même le sol avec leurs nouveau-nés qui attendaient la visite des médecins. Mais rien du tout ! Voulant arracher quelques mots au premier médecin que nous avons croisé, celui-ci nous a confié que tout le personnel de la santé est en grève, mais que lui étant un médecin militaire, il n’est pas concerné par la grève. D’où sa présence pour assurer les accouchements. Maïmouna Ouédraogo qui a accompagné sa belle-sœur enceinte venue de Sapouy et souffrant de maux de ventre avec des saignements, nous a laissé entendre qu’elles sont arrivées à Yalgado le 21 novembre et ont pu bénéficier de soins. «Mais avec la grève, depuis ce matin 22 novembre jusqu’à l’heure où je vous parle, ma belle-sœurs est couchée sans soins, alors qu’elle sent des douleurs. Nous demandons au syndicat et au gouvernement de faire pardon pour que les services de santé reprennent afin que les malades puissent bénéficier des soins. Sinon qu’est-ce qu’on peut faire sans la santé ?», ont-elles ajouté. Au service des maladies infectieuses où sont hospitalisés les malades atteints de la dengue, le constat est aussi désolant. Romuald Gnamkoudougou, un patient que nous avons trouvé sur son lit d’hôpital, l’air triste, nous fait comprendre que compte tenu de la grève, des médecins sont venus les libérer sans aucun soin ni contrôle préalable. Or, la veille, c’est-à-dire le 21 novembre, ses résultats avaient montré qu’il souffrait toujours de la dengue. « Ce comportement est peut-être dû au fait que les médecins ne veulent pas qu’on meurt par leur faute à l’hôpital. Donc, ils se sont tout simplement débarrassés de nous», s’est-il indigné avant de les mettre en garde. « Si jamais je perds quelqu’un de ma famille suite à cette grève, je ne sais pas de quoi je serai capable. Nous sommes d’accord avec les revendications du syndicat, mais nous demandons à ce que des méthodes autres que celles que nous vivons soient trouvées pour obtenir gain de cause. Parce que dans cette situation, ce sont nous les pauvres qui en pâtissons. Nos autorités n’amènent jamais leurs malades dans les hôpitaux publics, donc c’est nous les pauvres qui payons le prix de la grève, chose qui est injuste», a-t-il indiqué. Contrairement à d’autres services où c’est le silence total, celui des dialyses et insuffisances rénales a jugé nécessaire d’assurer le service minimum en réduisant la dialyse à 3 heures au lieu de 4. «C’est pour ne pas laisser les patients souffrir plus de 72 heures avant la dialyse», a indiqué Dramane Paré, président de l’Association burkinabè des dialysés et insuffisants rénaux. Toutefois, M. Paré regrette cette grève qui, pour lui, met la vie des Burkinabè en danger. Un particulier nous a confié que le constat est désolant et que si le gouvernement ne réagit pas à temps, les conséquences en vies humaines seront énormes. Parce que certains services ne disposent pas du nécessaire et d’autres sont hermétiquement fermés. Et les patients qui disposent de moyens sont transférés vers des cliniques. Mais ceux qui n’en ont pas, pleurent leur sort en priant le bon Dieu pour ne pas mourir avant la fin de la grève. Au CSPS de Wemtenga, le constat était tout autre, car le service était totalement assuré comme les autres jours. Le major de ce centre de santé, Abdoulaye Tarnagda, nous a signifié qu’ils sont de tout cœur avec le syndicat, mais qu’il y a au moins certaines urgences qu’ils doivent gérer. Donc, la hiérarchie leur a demandé de mettre en place un service minimum pour faire face aux éventuels cas. Et d’autres agents ont même été réquisitionnés et orientés vers d’autres centres et formations sanitaires pour servir d’appui. Nous souhaitons, a-t-il révélé, que les malades comprennent que parfois, les agents de santé ne font pas la grève contre eux, mais au contraire pour eux, car, quelle que soit la détermination d’un agent de santé, il lui faut un minimum pour travailler afin de les satisfaire et si ce minimum fait défaut, on ne peut que baisser les bras. Au district sanitaire de Bogodogo où nous nous sommes rendu,
nous n’avons pas pu faire de constat. Le médecin-chef du district étant absent, ses subordonnés nous ont fait comprendre qu’ils n’étaient pas autorisés à nous laisser faire quoi que ce soit. Notons que le ministre de la Santé, Smaïla Ouédraogo, sillonnait aussi quelques centres sanitaires au même moment, pour s’imprégner des réalités de cette grève.
Valérie TIANHOUN
L’ambiance de la grève
Selon des sources dignes de foi, le gouvernement aurait réquisitionné un certain nombre d’agents de santé pour assurer le service dans les hôpitaux. Et ce sont les forces de l’ordre qui étaient chargées de remettre ces ordres de réquisition auxdits agents.
Le SG du SYNTSHA, Pissyamba Ouédraogo, à propos du suivi du mot d’ordre de grève
« Que le gouvernement arrête de pleurnicher et satisfasse nos revendications »
Il faut que les gens comprennent que même quand nous travaillions, des gens mouraient par manque de soins parce qu’ils n’avaient pas les moyens et la grève vise justement à ce que l’Etat puisse prendre ses responsabilités pour que ces cas soient réduits voire supprimés. C’est cela notre objectif. Nous sommes conscients que cet arrêt de travail occasionne des désagréments, mais la plateforme est déposée au niveau du gouvernement depuis le 18 avril. Il a fallu le 12 octobre dernier pour qu’on dépose un préavis pour la première grève avant que des négociations ne soient entamées. Donc, les responsables de la situation, c’est bien le gouvernement, et c’est à notre corps défendant que nous sommes dans l’obligation d’aller en grève. On a donné tout le temps au gouvernement de répondre à notre revendication, mais il n’a pas voulu. Les cris du gouvernement qu’on entend sur les médias sont pour nous des larmes de crocodile, mais ce que nous attendons, c’est qu’il réagisse tout de suite pour résoudre notre problème. Même si tout de suite on est satisfait, on laisse tomber la grève. Nous avons fait preuve d’esprit de dialogue. Concernant la revendication portant sur les conditions de travail, le gouvernement a pris un certain nombre d’engagements qui ne satisfont malheureusement pas nos revendications. Ce sont justes des propositions que nous estimons qu’elles peuvent améliorer la situation et nous en avons pris acte, mais il n’a pas satisfait à nos revendications comme nous le souhaitons. Sur les conditions de vie, le gouvernement est resté indifférent. Sur les questions de santé, vous avez entendu le ministre de la Santé. En tant qu’agent de la santé, on a des difficultés quand il s’agit de se soigner. Si le ministre ou le gouvernement de façon générale était bien inspiré, c’était de nous sortir des propositions concrètes plutôt que de pleurnicher sur le manque de service minimum. Cela est décevant, car le gouvernement n’est pas là pour être prévenu sur des grèves avec ou sans service minimum, mais doit même éviter les grèves et c’est pour cela d’ailleurs que le législateur a prévu des préavis pour éviter les grèves, car il y a toujours des conséquences.