Le Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) a mis à exécution sa menace d’aller en grève, sans observer de service minimum. Le mouvement a été effectif dès le 22 novembre 2016 à minuit et est prévu pour durer jusqu’au au 24 novembre 2016. Constat de Sidwaya au premier jour du mouvement.
Au matin du mardi 22 novembre 2016, au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), les personnes en blouse blanche sont les grands absents du jour. A l’inquiétude se mêle le désespoir sur les visages des personnes venues assister leurs malades. Parmi elles, Salif Somtoré. Son père, hospitalisé aux urgences est programmé pour une intervention chirurgicale, le mercredi 23 novembre 2016. Pourtant les agents de santé observent une grève du mardi 22 au jeudi 24 novembre 2016. Pire, et, sans service minimum. Le jeune homme ne cache pas son désarroi. Qu’en sera-t-il de son père ?C’est sa préoccupation essentielle.« Il souffre d’une hernie et ses poumons sont perforés ! », se lamente-t-il. Salif est surtout inquiet parce que depuis minuit, le personnel de santé ne s’occupe plus des malades.
«Ce matin, papa avait froid et tremblait beaucoup. Je l’ai massé avec un baume et lui ai donné du café chaud. Mais, ai-je bien fait ?Je ne sais pas», explique Salif, en colère. Une dame à côté ne peut s’empêcher de donner son point de vue : «Le problème, c’est qu’ils ne prennent même pas la peine d’expliquer aux malades ce qui se passe. C’est dans la presse, que nous avons appris ce qui se passe», se plaint-elle. Les deux accompagnants n’ont rien contre les revendications du personnel soignant. Mais à les entendre, c’est l’absence de service minimum qui est déplorable. La première personne en blouse blanche, que nous croisons, déclare être en train de remplir les procédures pour constater un décès. Du côté de la direction générale, l’administration du CHU-YO donne l’air d’être impuissante face au mouvement du SYNTSHA. « Le mouvement est largement suivi et ça nous crée des soucis. Par exemple, en maternité, nous n’avons que 3 DES (NDLR : étudiants stagiaires), ce qui est largement insuffisant. En pédiatrie, nous sommes submergés. Il manque beaucoup d’infirmiers, d’anesthésistes… », déplore le directeur général du CHU-YO, Robert Sangaré. Toutefois, quelques médecins assistés de stagiaires s’affairent dans les services pour « faire ce qu’ils peuvent ».
C’est le cas dans le service de maternité où les geignements de femmes et des pleurs de bébés permettent de penser que des accouchements se déroulent malgré le mot d’ordre du syndicat. Ce que nous confirme le stagiaire externe, Jean-Didier Sib, en 5e année de médecine. «Ça va dans l’ensemble », nous répond-il, alors qu’il s’affaire dans un couloir bondé de femmes enceintes et de nouveau-nés. Aux urgences traumatologiques, ce sont encore des étudiants stagiaires qui assurent le boulot, sans l’assistance d’un titulaire. Le laboratoire de biochimie est quant à lui, quasi-désert au moment où nous y arrivions aux alentours de 11h.
Réquisitions et jeu de «cache-cache»
Et du côté des urgences médicales, le chef du service des soins, Moustapha Konaté, déclare la quasi absence de son personnel. «Le major était là ce matin, mais je ne le vois plus. Je n’ai pas de médecin non plus. J’attends de voir la programmation de la journée pour savoir qui a effectivement observé la grève», constate-t-il. La même situation est dépeinte au Centre hospitalier avec antenne chirurgicale (CMA) de Kossodo. Selon le Dr Anata Soré, médecin-chef du district sanitaire de Nongr-Massom, «la grève est totale ici ». Le premier constat est l’absence totale de malades venus se faire consulter. Et seulement, deux hommes sont couchés dans la salle d’hospitalisation. Mme Soré explique qu’ils ont dû libérer certains malades « qui semblaient aller mieux » et proposer à d’autres de les référer vers des formations sanitaires. Au Centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles-de-Gaulle, à première vue, le service semble fonctionner « normalement ». Mais le pédiatre, Dr Kam, fait une autre lecture de la situation. «Ces personnes que vous voyez en blouse sont en fait des stagiaires. Et notre présence ne veut pas dire que nous nous désolidarisons du mouvement.
C’est juste parce que nous ne pouvons pas abandonner les enfants qui sont là. Peut-être, faudra-t-il penser à d’autres formes de lutte », explique-t-il. Le DG du CHU Charles-de-Gaulle, lui dénombre juste « quelques absences, notamment des anesthésistes». Aux urgences, «nous travaillons à faire venir quelques-uns», ajoute-t-il, faisant référence à l’option des réquisitions. C’est cette mesure qui a maintenu l’infirmière diplômée d’Etat, Assanatou Alira, au service des urgences du CMA du 30. « J’ai été réquisitionnée dans la nuit autour de 23 heures, alors que j’étais de garde, pour assurer le service minimum. Je me retrouve ce matin pratiquement seule, avec des stagiaires. C’est pourquoi, je ne prends pas en charge que les cas d’urgences.
Les autres patients sont programmés pour l’après-grève », détaille-t-elle. Si la stratégie de réquisition a marché avec Mme Alira, les forces de l’ordre peinent à remettre les actes à beaucoup d’agents de santé. C’est du moins ce que relate le DG du CHU-YO. Et entre« réquisition et cache-cache », les patients du côté du CMA de Pissy sont remontés.
«On n’est pas du tout content. Nous sommes là, avec nos grossesses et il n’y a personne pour s’occuper de nous. Franchement, nous sommes très déçus », clame amèrement Denise Poda, une femme en grossesse.
Fabé Mamadou OUATTARA fabeouattara@yahoo.fr
Des acteurs s’expriment
Le ministre de la Santé, Smaïla Ouédraogo :«Qu’ils mettent de l’eau dans leur vin et revenir soigner les patients » : « Il y a une réduction assez significative du fonctionnement des services de santé que nous avons visités. Une fois de plus, je mets chacun devant sa responsabilité. Le gouvernement assume la sienne. Je rappelle que sur 63 points de revendications, 59 ont fait l’objet d’accord. Ce que j’ai pu voir ce matin, c’est qu’il y a un risque que des patients manquent de soins, qu’ils en pâtissent, voire que cela entraîne leur décès. J’interpelle donc, les uns et les autres à tenir compte du caractère particulier de notre secteur. Qu’ils mettent de l’eau dans leur vin et reviennent soigner les patients à partir du moment où la discussion n’est pas épuisée avec les autorités. Il faut que le syndicat prenne ses dispositions pour que ses agents réquisitionnés qui se cachent arrêtent ce comportement qui n’est pas républicain».
Le SG du SYNTSHA, Pissyamba Ouédraogo : «Les grèves ne sont pas dirigées contre les populations» : «Les grèves que nous menons ne sont pas dirigées contre les populations. C’est à notre corps défendant ; nous sommes dans l’obligation d’observer cette grève. Mais jusque-là, il n’y a toujours pas de réponses concrètes. La réponse que nous attendons, c’est que le gouvernement réagisse et règle nos problèmes. Même sur les points prétendument d’accords, il n’en est rien. En tant qu’agent de santé, nous avons des difficultés pour nous soigner et nous avons exigé que le gouvernement prenne des mesures. Par ailleurs, les questions indemnitaires datent de longtemps. L’indemnité de risque dans le secteur de la santé ne peut être confondue à aucune autre indemnité. On ne l’a pas encore obtenue. Nous demandons aussi que la relecture de la loi 033 prenne effet à partir du 1er janvier 2016. Mais, le gouvernement n’est pas d’accord. C’est une question de justice qui se pose. On ne peut pas accepter que des agents de la Fonction publique soient traités différemment. Si à l’issue de ce mouvement, il n’y a toujours pas satisfaction, nous allons nous retrouver, tirer des leçons et prendre la décision qui s’impose».
Propos recueillis par
Djakaridia SIRIBIE et FMO