La rentrée des classes constitue un moment d’ « angoisses » pour les acteurs de l’éducation. Elle l’est également pour certains chefs d’établissement et les élèves qui ont du mal à se trouver des enseignants dans les matières scientifiques. Constat !
Le lycée Philipe-Zinda-Kaboré est le plus grand établissement public secondaire du Burkina Faso. Il compte environ 74 classes fonctionnelles avec plus de 4500 élèves. Sur les 219 enseignants dont il dispose, il y a seulement 30 professeurs pour dispenser les cours dans les matières scientifiques, à savoir 16 professeurs certifiés de mathématiques et 14 autres qui assurent à la fois les cours de maths, Physique-Chimie (PC) et Sciences de la vie et de la terre (SVT), selon Félix Marie Ouédraogo, conseiller principal dudit établissement. Compte tenu du nombre peu élevé d’enseignants des matières scientifiques affectés par l’Etat, plus d’une dizaine de classes du « grand Zinda », surtout celles du second cycle, ont manqué de professeurs de mathématiques pour l’année 2015-2016. Pour pallier ce déficit, les premiers responsables ont dû faire appel à des vacataires pour assurer les cours dans cette matière. Malgré tout, chaque professeur certifié de maths, de PC ou de SVT a tenu au moins 4 classes.
Le déficit d’enseignants dans les matières scientifiques n’est pas spécifique au Zinda. En effet, le lycée Bogodogo, situé dans la capitale burkinabè, a vécu le même calvaire. Le proviseur de cet établissement public, Jean–Paul Boumboundi dénonce l’insuffisance d’enseignants formés dans les matières scientifiques, affectés de l’Etat. « Ce qui nous oblige à faire recours aux vacataires pour combler le vide », confie-t-il. Le problème se ressent plus au second cycle dans son établissement. Le lycée ayant essentiellement des classes de ce niveau, le déficit de professeurs impacte négativement son fonctionnement. Car, à ses dires, il est obligé de puiser dans le budget de l’école pour prendre en charge ces enseignants vacataires. « L’Etat ne nous affecte pas assez d’enseignants des matières scientifiques.
Nous ne pouvons pas également laisser une classe sans professeurs. Nous sommes obligés d’en recruter quel qu’en soit le prix », explique le proviseur du lycée Bogodogo. Un professeur vacataire dans ces disciplines est payé, en général 2 500 F CFA l’heure. Pourtant, tout professeur de maths, qu’il soit titulaire ou vacataire, a au moins 18 heures de cours par semaine. Donc le lycée débourse 45 000 F CFA par vacataire, chaque semaine. Le proviseur du lycée Bogodogo ajoute que la situation est plus complexe, au regard du budget que l’Etat octroie aux établissements publics. « C’est vraiment un parcours du combattant, mais nous arrivons toujours à nous en sortir », rassure-t-il. A entendre Jean-Paul Boumboundi, grâce à cette « gymnastique », aucune classe n’est déjà restée sans professeur de maths, de PC ou de SVT dans son lycée.
Les établissements privés sont plus autonomes dans leur gestion, mais ceux-ci rencontrent également d’énormes difficultés à trouver des professeurs dans ces matières. Le directeur des études du complexe scolaire Bangré Yiguia, Emmanuel Sawadogo déclare que le lycée privé Yiguia, l’un des établissements du complexe n’a que 17 professeurs de mathématiques et 14 de physique-chimie pour assurer les cours dans une quarantaine de classes. « C’est vraiment difficile, mais nous jonglons avec ceux que nous avons, puisque nous ne pouvons même pas en trouver. Souvent nous avons les moyens pour recruter, mais il n’y a pas d’enseignants disponibles », regrette-t-il. A l’écouter, les établissements situés dans les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso sont encore plus « nantis » par rapport à ceux des provinces qui n’ont pratiquement pas d’enseignants, dans les disciplines scientifiques. « Si les villes ne peuvent pas en trouver, ce ne sont pas les provinces qui seront épargnées », soutient M. Sawadogo. Cette situation n’est pas sans conséquences pour les élèves.
Les élèves, les premières victimes
Adama Traoré est élève en classe de Terminale au Centre d’études et de formation en informatique et en génie civil (CEFIG). Au début de l’année scolaire 2015-2016, il a passé plus de deux semaines sans professeur de mathématiques. « Mes camarades qui étaient dans d’autres établissements avaient déjà commencé les cours et ils étaient bien en avance, pendant que nous, nous n’avions même pas de professeur », se souvient-il. De son avis, cette situation a influencé « négativement » le cours normal de ses études. Car, le programme n’ayant pas été achevé. « Pendant que les autres étaient en train de réviser pour l’examen, nous continuions à venir à l’école pour des rattrapages. Et le temps que nous finissions, c’était déjà le jour de l’examen», souligne-t-il. Autre établissement, même constat. Wilfried Compaoré, élève en classe de seconde AB3 au Lycée technique Amical-Cabral (LTAC) a également passé les mois d’octobre et de novembre de l’année scolaire 2015-2016, sans un « vrai » professeur de mathématiques. Au début, confie Wilfried Compaoré, c’est un « jeune » étudiant qui venait assurer les cours. « Quand nous nous sommes renseignés, l’administration nous a dit qu’elle attend toujours que l’Etat nous affecte un professeur. Mais jusque-là, rien n’est encore fait », indique-t-il. Wilfried Compaoré et ses camarades de classe ont dû prendre leur mal en patience, un mois durant avant que le « messie » ne fasse son apparition. Fulgence Zabré, est inscrit en classe de 3e au lycée Yiguia. Selon ses dires, sa classe a raté au moins cinq cours à cause du manque de professeurs de PC. Comme Adama, les élèves de la classe de Fulgence ont dû suivre des cours supplémentaires en fin d’année pour essayer de rattraper leur retard. « Les mardis soirs étaient notre seule soirée d’études à part les week-ends. Mais, nous avons dû les sacrifier pour des cours de rattrapage », fait-il savoir. « Il y a des notions que nous n’avons pas pu assimiler et qui sont venues à l’examen. Comme cette matière à un coefficient élevé, j’ai raté mon BEPC », accuse Fulgence Zabré. Les causes de cette situation se situent à plusieurs niveaux.
La phobie des matières scientifiques
Pour Rosaire Ouédraogo, professeur de mathématiques depuis plus d’une vingtaine d’années, les causes de cette situation sont très profondes. Tout d’abord, il relève, le fait que les élèves aient des préjugés sur les matières scientifiques. « On trouve que ce n’est pas fait pour tout le monde si bien que très peu de personne arrive à s’y intéresser », a-t-il déploré. Et même des parents d’élèves conseillent à leurs enfants d’aller là où c’est « facile ». Ce qui fait, selon lui, que les effectifs sont très réduits dans les classes des séries scientifiques. « Quand je prends une classe de 1ère C, elle compte en moyenne 20 élèves. Par contre, les 1ère A ou D ont des effectifs qui dépassent souvent 80 élèves », ajoute M. Ouédraogo. Sans oublier, dit-il, qu’il y a une certaine sélection qui s’installe à partir de la seconde C. « Il faut avoir une moyenne donnée en maths et en PC et une moyenne générale assez acceptable pour pouvoir être orienté en 1ère C », informe Rosaire Ouédraogo. La rigueur appliquée à ce niveau dissuade bon nombre de candidats. Et le professeur de mathématiques au lycée Philippe-Zinda-Kaboré, Patigma Zoungrana de corroborer les propos de son collègue. Il a tenu une classe de terminale C et une autre de A, l’année dernière. « En Terminale A, de nombreuses filles ont rejoint les foyers en cours d’année. Alors qu’en C, elles n’avaient même pas le temps de se tresser. La plupart ont les cheveux coupés à ras», argumente-t-il. Pour M. Zoungrana, cela démontre que les séries scientifiques demandent plus de « travail » que les autres. Le manque d’enseignants des matières scientifiques s’explique également par d’autres facteurs.
« On n’atteint jamais l’effectif recherché »
Compte tenu du nombre peu élevé de diplômés dans les matières scientifiques, les recrutements de l’Etat n’arrivent pas à satisfaire la demande.
Les concours de l’Institut des Sciences (IDS) ont du mal à combler le gap. « Lorsque nous lançons le concours pour le recrutement des CAPE/CEG, nous arrivons rarement à obtenir le nombre voulu », laisse entendre le directeur de l’IDS, Pr Adjima Thiombiano. Pour l’année académique en cours, 439 candidats ont été admis à l’IDS pour 600 postes à pourvoir. A l’Ecole normale supérieure de Koudougou (ENSK), le constat est le même. Pour Rosaire Ouédraogo, sur une vingtaine de postes, on se retrouve généralement avec 8 à 12 admis. Et celui-ci de confirmer : « Quand je passais le concours de l’ENSK en 1995, nous étions au total 32 candidats à faire le test pour 22 places, c’est seulement 14 qui ont été retenus ». Et ce, malgré que des étudiants d’autres filières (économie) prennent part au concours. Pour lui, cela est dû essentiellement aux notes éliminatoires qui empêchent certains d’obtenir la moyenne. Les notes éliminatoires, les élèves de l’IDS en sont également « victimes ». Là-bas, des candidats ne parviennent même pas à avoir 7 de moyenne dans ces matières. « Comment peut-on vouloir enseigner les maths à des élèves, lorsqu’on n’a même pas le niveau minimum ? », s’interroge M. Thiombiano. A ces causes s’ajoute un autre facteur.
Le refus d’enseigner
Les étudiants qui décrochent une licence ou une maîtrise en mathématiques préfèrent s’orienter vers d’autres domaines que de « manger la craie ». Pour eux, être titulaire d’un diplôme dans ces disciplines ouvre beaucoup de portes plus « avantageuses » que l’enseignement.
Plusieurs « matheux » sont embauchés dans des sociétés de téléphonies, de banques, d’assurances, etc. « J’avais un camarade avec qui j’ai fait la licence et qui ne passait même pas en classe supérieure. Mais, il a décroché un travail dans une banque en France et il n’a rien à m’envier », déplore, Patigma Zoungrana, professeur de mathématiques au lycée Philippe-Zinda-Kaboré. De son avis, être enseignant équivaut à faire vœu de pauvreté. « Nos salaires sont médiocres, alors que nous sommes surexploités. S’il faut fournir beaucoup d’efforts et à la fin ne rien avoir, ce n’est pas la peine », se plaint-il. A croire M. Zoungrana, le nombre peu élevé de professeurs fait qu’ils sont obligés de tenir beaucoup de classes. Il est rare de voir un enseignant de mathématiques qui a moins de 18 heures de cours par semaine.
Pourtant, dans les autres matières comme le français ou l’anglais, les professeurs sont plus relaxes puisqu’ils sont plus nombreux. Sans compter, dit-il, que les professeurs de maths, PC ou SVT sont toujours obligés d’avoir des heures de rattrapage puisque, le volume horaire qu’on leur assigne ne leur permet pas de finir le programme. De son avis, les professeurs des matières scientifiques ne sont pas rémunérés à la hauteur de leur travail. « On nous traite de la même manière que les autres sur le plan salarial, alors que nous fournissons plus d’efforts », déclare-t-il. Selon Patigma Zoungrana, c’est la « misère » des enseignants qui fait que les jeunes ne veulent pas emboîter leur pas. Ce qui rend, selon lui, le manque plus criant. Alors que faire ?
L’IDS, un plan B ?
Conscient de cette situation, le gouvernement burkinabè a mis en place l’IDS. Ainsi, cette école recrute sur concours, des élèves titulaires d’un bac C, D et E pour trois années de formation. A l’issue de leur formation, les stagiaires sont nantis du Certificat d’aptitude au professorat des collèges d’enseignement général (CAP-CEG) dans une matière donnée, soit les mathématiques, soit la physique-chimie ou encore les SVT. Plus de 600 professeurs sont formés, chaque année dans cet institut, afin de faire face à la demande. Mais, selon les explications du Pr Adjima Thiombiano, son institut atteint rarement l’effectif souhaité, chaque année. « L’année passée nous avions besoin de 600, mais nous avons eu 439 » regrette-t-il. Aussi, explique-t-il, l’IDS forme majoritairement des professeurs du 1er cycle. Après cinq années de service, les titulaires du CAP-CEG peuvent revenir se former pour obtenir le Certificat d’aptitude professionnelle à l’enseignement secondaire. Ainsi donc, ils pourront désormais enseigner au second cycle. L’IDS manque également d’espaces pour recruter beaucoup plus d’enseignants, selon son directeur. « Nous avons atteint notre capacité de masse. Donc, nous ne pouvons plus augmenter notre effectif », signifie-t-il. Pour lui, il serait opportun de créer des instituts semblables à l’IDS dans les régions et même à Ouagadougou afin d’augmenter le nombre de stagiaires que l’Etat recrute chaque année. En outre, Mohamed Boré, professeur de mathématiques depuis 1989 a soulevé le fait que ses collègues CAP-CEG qui veulent devenir des CAPES sont en butte à certaines conditions. Il a expliqué qu’il faut au minimum cinq années de service à ceux qui veulent passer le concours professionnel pour le faire. Pour lui, cette condition ne permet pas de combler le déficit.
Il a donc proposé que comme le manque est plus criant au second cycle que l’on permette à tous les niveaux CAP-CEG de venir suivre la formation pour devenir des CAPES afin de pouvoir enseigner au second cycle. Il s’est dit convaincu qu’au regard de son expérience, un CAP-CEG peut enseigner au second cycle même sans repartir à l’école. Car, justifie-t-il, l’enseignant se forme en classe. Mais avec la formation, il pourra se bonifier davantage et devenir meilleur.
Nadège YAMEOGO