« Encore du rififi dans la maison RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix)», pourrait-on s’exclamer ! En effet, après les gorges chaudes qu’avait provoquées la candidature unique d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) pour le compte des deux principaux partis politiques qui constituent ce regroupement, le Rassemblement des républicains (RDR) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), ce sont cette fois-ci les candidatures aux législatives qui constituent la pomme de discorde. L’affaire fait suite à l’adoption très controversée de la nouvelle Constitution ivoirienne. Des députés du PDCI, en l’occurrence Kouadio Konan Bertin dit KKB et Yasmine Ouégnin, après s’être désolidarisés de la coalition au pouvoir pour imposer au pays la nouvelle loi fondamentale, se sont vus refuser le parrainage de leur parti pour candidater aux législatives à venir. Ils ont de ce fait opté pour des candidatures indépendantes.
A force d’étouffer dans l’œuf les contradictions internes, la coalition au pouvoir court le risque de l’implosion
De prime abord, l’affaire aurait pu être classée dans le registre des non-évènements, tant elle ressemble à une banale procédure normale dans le cadre de la discipline du parti. N’ayant pas suivi les consignes de vote du parti pour l’adoption du projet de nouvelle Constitution par l’Assemblée nationale, en violation du principe de la discipline du parti, les fautifs s’exposaient en toute connaissance de cause
aux sanctions prévues à cet effet. Mais que l’on ne s’y trompe pas, le refus d’adouber les frondeurs, n’est ni plus ni moins qu’une mesure de rétorsion destinée à mettre sous le boisseau des camarades qui gênent aux entournures au plus haut sommet de l’Etat. Et cela signifie au moins clairement deux choses.
D’abord, cela dénote du manque de démocratie dans la case RHDP. Car il y a des vérités que les premiers responsables de cette formation politique ne veulent pas entendre. Plutôt que de mettre en valeur les principes de fonctionnement d’un parti où les membres sont liés par des idées après des débats contradictoires d’où l’on tire la synergie d’actions, le sommet du RHDP préfère la dictature d’un paternalisme gérontocratique où règne « la pensée unique du maître à penser unique », comme le dit l’artiste. Au RHDP, soit on se tient à carreau, soit on est éjecté. Quand on sait que l’apprentissage de la démocratie se fait dans les partis et que la vitalité démocratique de la nation est elle-même le reflet de la démocratie interne des partis, on ne peut que se rendre à l’évidence qu’il n’y a pas de place pour un optimisme facile pour l’avenir politique en Côte d’Ivoire. Mais à force d’étouffer dans l’œuf les contradictions internes, la coalition au pouvoir court le risque de l’implosion car peut-être que KKB et Ouégnin disent haut ce que beaucoup pensent bas au sein du parti. L’exemple de la chute du régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso nous le rappelle à souhait : si la bâtisse n’était minée de l’intérieur, les assauts répétés de l’extérieur n’auraient sans doute pas été suffisants pour l’ébranler irrémédiablement. De ce fait, au lieu d’agiter la verge de la flagellation, l’exécutif du RHDP devrait se réjouir que les frondeurs aient manifesté leur mécontentement, participant ainsi à la vitalité du débat démocratique en RCI.
Ensuite, ces sanctions qui ont des relents d’une purge à l’interne, sont symptomatiques de la mauvaise conscience que se fait le régime après le tour de force qu’il a opéré dans l’adoption de la nouvelle constitution. La nouvelle Constitution, il faut-il le rappeler, comporte plus de zones d’ombres que la précédente. Et bien souvent, c’est dans les pénombres des textes fondamentaux que se cache le diable.
Ni l’échafaudage du RHDP ni la Côte d’Ivoire ne sauraient être à l’abri de fortes secousses
Cette Constitution qui ne fait pas consensus, porte les germes de l’instabilité, lesquels sont accrus dans un pays dont les meurtrissures et les cicatrices demeurent encore profondes. Il eut fallu l’expurger de toutes les niches où peuvent couver les œufs de l’exclusion ou du favoritisme et en user pour accélérer le processus de réconciliation nationale. Faute de l’avoir fait, les Ivoiriens ont boudé la consultation référendaire ; ce qui, malgré les apparences, a dû sonner comme un désaveu pour ADO. Et l’homme, au lieu de se remettre en cause, s’en prend à ceux qui ont tout fait pour sonner l’alarme. Visiblement, il prend l’ombre pour la proie.
Mais au-delà des affaires internes de la famille houphouétiste, ADO tombe le masque, décuplant ainsi le doute sur sa personne. «Le pouvoir ne change pas l'homme, mais il le révèle ». En plaçant son pouvoir sous l’ombre de la haine et des règlements de comptes, ADO laisse libre cours au tyran qui sommeille en lui. En taillant à son image une Constitution qui lui ouvre les boulevards d’un règne à vie, en instrumentalisant à souhait des institutions nationales comme la Radiotélévision ivoirienne au profit du culte de sa propre personnalité, il établit petit à petit sur les bords de la lagune Ebrié, une dictature silencieuse. Echouant sur le chantier où il était le plus attendu, celui de la réconciliation des cœurs, en 5 ans, l’homme aura réussi le pari de faire l’unanimité contre lui en Côte d’Ivoire. Il sape ainsi la relative embellie économique dont il peut se targuer car, à quoi serviraient les efforts de construction s’ils sont voués à la destruction dans de nouvelles guerres entre populations qui refusent le vivre-ensemble ?
Mais ADO doit se le tenir pour dit. En gouvernant de la sorte, ni l’échafaudage du RHDP ni la Côte d’Ivoire elle-même ne sauraient être à l’abri de fortes secousses. L’horizon 2020 ne peut-être, de ce fait, que celui de tous les dangers, au lieu d’être celui de l’avènement d’un passage à témoin pacifique entre deux alliés réunis par un « gentleman agreement ».