Sauf retournement de situation, le chef de l’ex-junte militaire malienne, le général Amadou Sanogo, tombeur du président Amadou Toumani Touré (ATT), sera face aux juges à partir du 30 novembre prochain. Les plus sceptiques, qui ne croyaient plus à un procès contre ce haut gradé, dont la promotion a fait jaser dans le temps, peuvent raviver leurs ardeurs. A en croire le parquet, il comparaîtra bel et bien aux assises, avec d’autres accusés pour «assassinat et complicité d’assassinat» d’une vingtaine de militaires, dont les corps ont été découverts dans un charnier en décembre 2013. Les cadavres des victimes, pour la plupart des bérets rouges de la garde rapprochée d’ATT, avaient été retrouvés à Diago, près de Kati. Cette localité, située à 15 kilomètres de Bamako, était le quartier général d’Amadou Sanogo et de ses hommes. Le grand péché, qui a coûté la vie à ces soldats, c’est d’avoir tenté de renverser Amadou Sanogo, pour restaurer le pouvoir d’ATT, exilé au Sénégal depuis sa chute. Le patron de l’ancienne junte, dont l’arrestation n’a pas été une mince affaire, devra donc s’expliquer sur ce massacre. Si sa culpabilité est établie, il risque la peine de mort. Mais pour les familles des soldats disparus, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le général Sanogo est au cœur de cette tuerie. C’est la raison pour laquelle elles se réjouissent de l’annonce de la tenue du procès, pour la manifestation de la vérité. «On attend le jugement pour pouvoir récupérer les corps et faire des funérailles», a indiqué le porte-parole des ayants droit des victimes, Ismaïla Fané. Il reste à savoir si l’enthousiasme des proches des défunts est partagé par les autorités maliennes. On le sait, l’inculpation formelle de l’ex-putschiste, tout comme son interpellation, avaient suscité quelques sueurs froides à Bamako. Certains observateurs redoutaient à raison que le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), n’ait pas suffisamment de couilles pour mettre aux arrêts le général Sanogo, après la découverte du charnier. Ce fut fait, contre toute attente, puisque la justice a pris ses responsabilités. Pour autant, le caractère juridico-politique de l’affaire n’a pas tardé à se révéler au grand jour, avec la détention quasi extrajudiciaire du général Sanogo. L’exécutif a décidé de retenir l’ex-homme fort de Bamako à Sélingué, à une centaine de kilomètres de la capitale, alors que le code de procédure pénale malien stipule que l’inculpé doit être placé en détention par le juge dans le siège de la juridiction d’instruction. Cette réalité a fait dire à d’aucuns que le camp présidentiel voulait absolument garder l’œil sur cet accusé pas comme les autres. Il se raconte même, au bord du fleuve Djoliba, qu’IBK n’était pas pressé de voir la tenue du procès Sanogo. Vrai ou faux ? Toujours est-il que le jugement en vue embarrasse au plus haut sommet de l’Etat, où des bonzes redoutent que le prévenu ne transforme le prétoire en une tribune de grand déballage. A ce qui se dit, le général Sanogo aurait travaillé à favoriser l’arrivée au pouvoir d’IBK. Il pourrait alors faire des révélations à faire tomber des masques ou des personnalités. L’autre inquiétude des dirigeants, à en croire les indiscrétions, est que le procès réveille les rivalités internes dans l’armée, dans un contexte de guerre contre les djihadistes au Nord du pays. Ce n’est un secret que la «grande muette» malienne n’a pas encore fini de panser les plaies occasionnées par les tensions entre les bérets rouges, pro-ATT, et les bérets verts, auteurs du coup d’Etat qui l’a chassé du pouvoir. Toutes ces hypothèses font du procès Sanogo un tsunami avant l’heure, dont on pourraît mesurer les conséquences les semaines à venir. A bien des égards, cette affaire apparaît comme un défi pour les autorités appelées à allier l’exigence de justice des familles des victimes du charnier de Diago et l’obligation de préserver la cohésion dans l’armée en reconstruction.
Kader Patrick KARANTAO