Les Mayas à une certaine époque avaient prédit la fin du monde et certains, comme les Incas si nos sources sont bonnes, celle de l’orthographe. Si pour les premiers l’an 2000 s’est passé sans que rien de leur prévision se produise, pour les seconds l’oracle est en train de se réaliser progressivement sous nos yeux. Qui peut douter un instant qu’un peu partout, à commencer par le berceau de la langue de Molière comme la France, l’orthographe, la grammaire et la syntaxe sont malmenées et surmenées. Pour ce qui est du Burkina Faso nous n’avons pas eu besoin d’aller fouiller dans les cahiers d’écoliers, d’étudiants ou de lycéens. Nous n’en avons ni les compétences, ni le pouvoir. Nous nous sommes contentés de nous promener dans les différentes artères de la capitale et de jeter un regard furtif aux nombreux écriteaux qui parsèment la ville. Le constat est éloquent : affiches mal orthographiées par-ci, faute de grammaire ou de syntaxe par-là. A qui la fote, pardon, la faute ? Serait-ce la conséquence de la baisse tendancielle du niveau général que tout le monde déplore ? En attendant de pouvoir y répondre un jour, une équipe de L’Observateur Paalga a parcouru la ville de Ouagadougou à la recherche de quelques perles.
Commençons par un florilège : ‘’ici on va de burque et panlanches’’ (Vente de briques et de planches); ‘’bon chirage’’ (bon cirage); ‘’interdit d’uruner’’ (interdit d’uriner); ‘’toilettes public’’ (toilettes publiques); ‘’presing’’ (pressing) ; ‘’fripperie’’ (friperie) ; ‘’commerces générales’’ (commerces généraux) ; ‘’seules les inconscients brûlent le feu’’ (seuls les inconscients brûlent le feu).
Arrêtons-nous là, car la moisson est déjà abondante. Entre faute d’orthographe, mauvais accords, erreurs de grammaire ou de conjugaison, sans compter les barbarismes, nombreuses sont les pancartes publicitaires ou autres qui s’empêtrent dans le maniement de la langue française. Dans les rues de Ouagadougou, pas besoin d’être un « Senghor » (NDLR : réputé en Afrique pour sa parfaite maîtrise de la langue française) pour que les fautes sur les panneaux vous sautent à l’œil.
Pour des raisons évidentes les opérateurs du secteur informel ravissent la palme en la matière. Pour la plupart, ils ne savent même pas où se trouvent les bourdes. Un d’entre eux nous a fait comprendre que l’essentiel est que les clients sachent qu’ils peuvent se procurer tel ou tel produit en lisant son enseigne. « On s’en fout du reste », ajoute-t-il.
« Ça décrédibilise la structure »
Yves Arthur Zongo, étudiant, confie lui aussi avoir relevé des fautes tant sur les supports publicitaires que les pancartes lors des manifestations. C’est contreproductif, selon lui, de voir une pancarte qui incite beaucoup plus à rire alors qu’elle est censée informer ou sensibiliser. L’étudiant en anglais pense que cela décrédibilise les commerces. Il n’exclut pas non plus le fait que ces fautes soient imputables à l’agence de communication conceptrice de la publicité, pour ce qui est des grandes maisons. Dans tous les cas, ajoute-t-il avec un air plus sérieux, les agences de communication et leurs clients se doivent de veiller à réaliser des supports sans faute. Il y va, prévient-il, de leur crédibilité.
Karim Tapsoba, étudiant en droit, avoue lui aussi relever très souvent des tournures fautives. S’il excuse les commerçants du secteur informel, il n’arrive pas à comprendre les grandes maisons qui sont censées être professionnelles. D’où sa question fort légitime : « Ces dernières n’ont-elles pas les moyens pour s’attacher les services de spécialistes en la matière ? » Bertrand Bouyain, autre juriste, pense que c’est tout simplement un problème de rigueur. Il estime que le propriétaire de la pancarte peut avoir vu la faute, mais il n’est plus prêt à une dépense supplémentaire pour rectifier le tir.
Au regard de ce qui précède, le diagnostic est clair : l’orthographe se meurt dans nos rues. Qu’en pensent ceux-là dont la profession est de confectionner matériellement des panneaux publicitaires? Nous faisons le tour de la ville à la recherche d’une agence de sérigraphie pour mieux comprendre. Cap donc à Del’f Design. Le responsable étant visiblement très occupé, nous patientons au secrétariat. Lorsqu’il se dégage un peu, la secrétaire lui explique qui nous sommes, et la raison de notre visite. Il ne trouve pas d’inconvénient à nous recevoir. Une joie intérieure nous anime (un soulagement).
Soudain, le téléphone du « boss », comme l’appellent ses employés, sonne. « Messieurs les journalistes, je vais devoir vous quitter. On m’appelle pour une faute commise sur une banderole », lance-t-il. « Mais cela tombe bien, allons ensemble » rétorquons-nous, encore plus heureux. Après un temps d’hésitation, il finit par nous dire de rester. Il nous confie à son « petit », Moubarak Nébié. Lui aussi nous demande de patienter, le temps qu’il prenne son café matinal. Après une bonne demi-heure qui nous a paru un siècle, il nous revient. Les « hostilités » peuvent commencer.
Avant toute chose, il a tenu à nous montrer la différence qu’il y a entre la sérigraphie et la calligraphie. La première est relative à toute impression sur le textile ; la seconde, par contre s’effectue sur des supports plus solubles tels le bois, le fer, etc. Le jeune sérigraphe a dit voir les fautes comme tout le monde. Il assure qu’il est même souvent interpellé à ce sujet, et que, quand c’est possible, il essaie d’en rattraper certaines. Mais il attire notre attention sur le fait qu’il y a des fautes parfois intentionnelles. Cela est souvent demandé par les artistes pour donner du style à ce qu’ils font.
Difficile pour celui qui a été formé sur le tas d’admettre que certaines fautes sont peut-être imputables au niveau d’instruction de la personne qui confectionne le panneau. Il s’en défend en soutenant qu’il arrive parfois que lui, qui n’a que le Certificat d’études primaires (CEP), voie des fautes que des gens plus diplômés ne détectent pas. « Lorsqu’un client vient, il remet son œuvre à la secrétaire qui la transmet ensuite à l’infographe pour la maquette ; s’il y a une correction que le client veut apporter, il la fait sur place. Dans le cas contraire, le texte entre à l’atelier, chez les techniciens.» C’est ainsi que Moubarak Nébié a défini la chaîne de travail à Del’f Design.
« L’erreur est humaine »
A l’en croire, il arrive qu’ils soumettent leurs œuvres à une personne qui a un regard plus averti en matière de langue française. Cela aussi, précise-t-il, est difficile à réaliser à tout moment parce que, ajoute-il, les clients donnent peu de temps au technicien. « Quand c’est ainsi, nous essayons comme nous pouvons d’éviter les fautes, mais comme l’erreur est humaine, on n’y parvient pas toujours. » Les responsabilités sont alors partagées.
Pour avoir un regard de spécialiste sur la question, nous avons rencontré un professeur d’université, Sidiki Traoré, grammairien. Selon lui, il faut faire la part des choses, car le langage publicitaire est un domaine assez spécifique. Il est différent du langage ordinaire par son intention. Ce langage, dit-il, est essentiellement persuasif, car il pousse le consommateur à l’acte d’achat. C’est un type de langage dont l’objectif premier est l’efficacité. Le langage publicitaire, précise-t-il, est le type de discours qui met en avant la fonction conative, ce qui vise à produire un effet sur le consommateur.
Puis, souligne-t-il, s’ajoute la fonction poétique, qui se caractérise par une élaboration, au plan formel, de la recherche de l’esthétique. Mais dans tout langage, il y a des normes. Comment peut-on concilier la norme grammaticale, qui est parfois froide, et la recherche du style de l’originalité ? « Aujourd’hui, il se trouve que quand vous entrez dans un secteur, il y a des gens qui vous y ont devancé, alors il faut être imaginatif.
Et cette innovation peut se caractériser, dans le langage, par la mise en parallèle de la norme et du style. Vous allez retrouver dans le langage publicitaire des fautes que l’on ne doit pas caractériser de fautes au sens grammatical du terme, parce que ce sont des fautes que l’on va qualifier d’écart stylistique : ce sont des fautes intentionnelles qui recherchent l’originalité », répond-il, avant d’énumérer des exemples : « Quand on dit Coris Bank International et le logo est à l’image d’un cauri, on se demande si c’est de cette manière que l’on écrit le mot ‘’cauris’’. Mais ici c’est la recherche de l’originalité, la volonté de sortir des sentiers battus. Prenons aussi le cas du groupe français AccorHotel. L’écriture n’est pas juste, mais ce n’est pas une faute d’orthographe.
On a également le nom d’avion de chasse français Le Rafale, ou encore Le Concorde. On ne considérera pas ces éléments comme des fautes. On a d’autres types de situation où on va créer des fautes de type néologisme juste pour divertir. Exemple : Qui vivra flaguera. Le but est de divertir et ça se comprend. Par ailleurs, on glisse tout doucement vers les fautes en abusant des majuscules. Exemple : Ecobank, la Banque Panafricaine. Dans les écrits administratifs et surtout dans les demandes, les gens utilisent un ‘’d’’ majuscule pour le mot directeur parce que l’on pense que l’intéressé se sentira moins considéré s’il était écrit en minuscule. Les rédacteurs de ces types d’écrit le font pour valoriser la personne. Beaucoup de cas sont liés non seulement au niveau d’instruction du public, mais aussi à l’ignorance.»
Pour lui, en ce qui concerne le secteur informel, c’est plus grave. Il préfère qu’on s’en tienne aux entreprises officiellement reconnues, d’où les exemples ciblés. En dehors des fautes intentionnelles dont l’objectif conatif est rappelé plus haut, il pense que les autres fautes donnent l’impression que l’entreprise émettrice du message manque de rigueur, de soin et de considération pour le client. « La faute sur un écrit publicitaire devient à un certain moment comme une sorte de tache sur un joli vêtement. Les gens vont se cristalliser sur la tache»
La simplification de la dictée en cause ?
Dans un contexte général profondément marqué par le recul, sinon la disparition de la culture de la lecture, la civilisation du son et de l’image est en train de prendre le pas au point que se cultiver par le livre comme cela se faisait de par le passé n’est plus d’actualité. Les jeunes, la plupart du temps, se cultivent à travers la télévision et Internet. Finalement, l’écrit n’est plus le canal de transmission du savoir parce qu’avec le son ou l’image, vous avez le message.
« Avec le niveau des élèves et étudiants, c’est facile de constater que les jeunes lisent moins. Mais il ne faut pas croire que le problème ne se pose qu’au Burkina. Je ne suis pas allé partout, mais je sais qu’ailleurs il y a des gens qui ont peur d’écrire parce qu’ils craignent de faire des fautes. » Peut-on encore corriger la situation en contraignant les gens à lire ? « Cela n’est pas possible. On va seulement admettre que l’écrit classique a un code à part et les TIC (Technologies de l’information et de la communication) le leur à part. Si je vous envoie un sms (Short message service), tout grammairien que je suis, il y a des mots que je vais écrire avec des fautes parce que les contraintes techniques ne me permettent pas de le faire sans faute. Si je m’attelle à l’écrire correctement, cela va me prendre du temps. Egalement, il y a le fait que le téléphone portable ne comporte pas tous les accents.»
La dictée, qui était l’exercice phare pendant longtemps pour juger du niveau des élèves en français, a connu entre-temps une simplification. Et on ne sait même pas jusqu’où peut aller ce phénomène. Puisqu’il y a des gens qui pensent qu’il faut écrire ce qu’on entend. Ce que l’on appelle : une écriture orthophonique. Exemple : ‘’ortografe’’ en lieu et place de ‘’orthographe’’. Le docteur en lettres modernes pense qu’il y a une conséquence à cela, car l’orthographe du mot est un indicateur de son sens.
En sa qualité de grammairien M. Traoré a-t-il été contacté pour son expertise? « A l’étape actuelle des mentalités et le système de la concurrence qui n’est pas encore parfaite, les gens ne se donnent pas la peine de s’offrir les services d’un grammairien. Si nous allons vers une économie loyale, ce sont ces domaines qui vont donner. » Ce sont là des propos qui expliquent la négligence, par les commerçants, des règles minimales de la langue dans la rédaction de leurs écriteaux.
En somme, il faut considérer que chaque domaine a en quelque sorte son code d’écriture, et dès qu’on sort d’un domaine précis, se dire que les autres secteurs ont leurs exigences. C’est erroné de croire que l’usage de la langue est uniforme dans tous les domaines où on la pratique : le langage de la messagerie a un code relâché, qui est différent du code d’une dissertation. Donc, il faut s’imposer la rigueur quand il s’agit d’écrits officiels.
Akodia Ezékiel Ada
Encadré :
Quelques astuces pour s’améliorer
"a" ou "à" ?
Confondre le "a" verbe et le "à" préposition est l'une des erreurs les plus courantes. Pour savoir si vous avez affaire au verbe passez à l’imparfait lors de la relecture. La différence entre verbe et préposition deviendra évidente.
Exemple : "Il a parlé à tort et à travers". En utilisant l’imparfait : "il avait parlé, avait tort, et avait travers", on se rend bien compte où il faut placer les accents.
"é" ou "er" ?
Pour savoir si le verbe doit être conjugué ou écrit à l’infinitif, il faut le remplacer par un autre verbe, comme faire ou vendre.
Exemple : "j'ai jeté l'éponge" est remplacé par "j’ai vendu l’éponge" (et non par "j’ai vendre l’éponge", donc "é").
"ai" ou "ais" ?
Parfois, il est difficile de distinguer le futur "ai" du conditionnel "ais". Pour reconnaître le temps, remplacez par la première personne du pluriel (ou la troisième du singulier), la différence sera alors bien plus évidente.
Exemple : "je devrais ou je devrai (aller chez ma mère) ? A la première personne du pluriel cela donnerait : "nous devrions (aller chez ma mère) donc on écrira je devrais (et non pas : nous devrons – futur –, je devrai).
Les noms à double consonne
Une petite astuce mnémotechnique existe : apercevoir (je n’aperçois qu’un "p" à apercevoir) ; chuter (on ne chute qu’une fois, un "t") ; nourrir (on se nourrit plusieurs fois par jour, deux "r") ; mourir (on ne meurt qu’une fois, un "r"), etc.
Les adverbes en "-ment" prennent un ou deux "m" ?
Fréquemment, remarquablement, abondamment... Vous ne savez jamais avec certitude dans quel cas la consonne redouble? Une règle simple existe pourtant : si la syllabe "-ment" est précédée du son "a" écrit avec un "e" ou un "a", l’adverbe prend deux "m", comme par exemple "évidemment" ou "élégamment". Si la syllabe ‘-ment’ est précédée d’un son ‘e’, comme dans ‘notablement’, il ne faut qu’un seul ‘m’.
Différence entre "convainquant" et "convaincant"
La règle orthographique est la suivante : "convainquant" est le participe présent du verbe convaincre - dès lors il est invariable - alors que "convaincant" est un adjectif.