Contre toute attente, en tout cas par rapport à la majorité des sondages, l’atypique Républicain, Donald Trump, est sorti vainqueur de la présidentielle de la plus grande démocratie du monde. Quelques personnalités burkinabè se prononcent sur le sens du choix des Américains, les futurs rapports du nouvel homme le plus puissant de la terre avec l’Afrique et la reconfiguration possible de la géopolitique internationale du fait d’une prétendue proximité entre Trump et le Russe Poutine. Au téléphone, elles se sont prêtées à nos questions. Lisez plutôt.
Alpha Barry, ministre des Affaires étrangères
« A Ouaga, les demandes de visa américain sont passés de 8000 à 20 000 »
Comment vous voyez la victoire de Donald Trump ?
C’est le choix du peuple américain, même si beaucoup d’Africains étaient pour Hillary Clinton. Mais c’est juste ce qu’on percevait ; ce sont les Américains qui votent, ils ont choisi Donald Trump et cela a déjoué toutes les analyses, c’est un constat qu’on fait. Il y a quelques années, on a vu en France avec Lionel Jospin comment les pronostics avaient été déjoués au profit de Jean-Marie Le Pen qui s’est retrouvé au second tour de la présidentielle en 2002. On se retrouve dans la même situation aujourd’hui.
Qu’est-ce que l’Afrique a à attendre où à craindre de cette nouvelle donne américaine ?
Il n’y a rien à craindre particulièrement. Je me dis que la réalité du pouvoir est toute autre. Il y a des défis sécuritaires, de développement que nous partageons avec les pays développés. On a la présence des forces américaines en Afrique, notamment dans le Sahel et même chez nous, nous pensons que la sécurité du Burkina, du Mali est aussi celle des USA parce que le terrorisme est un phénomène planétaire.
Concernant le défi du développement, nous espérons que la coopération va se renforcer parce que nous avons besoin d’investissements massifs dans nos pays afin de pouvoir donner de l’emploi aux jeunes qui, s’ils n’ont pas d’emploi, ont deux choix : soit se faire recruter par les groupes djihadistes, soit prendre la route de l’immigration qui ne se limite pas à la traversée de la Méditerranée mais concerne aussi les USA.
L’ambassadeur américain à Ouaga me disait qu’en 3-4 ans, les demandes de visas à l’ambassade américaine sont passées de 8000 à 20 000. La preuve que les gens veulent aller en Amérique, et je ne pense pas que ce soit les murs qui peuvent les empêcher d’y arriver.
La proximité du nouvel élu avec Vladimir Poutine va-t-elle contribuer à une reconfiguration géopolitique internationale ?
Je ne sais pas trop parce que ce sont des relations entre grands. Mais on est tous d’accord pour un monde en paix parce que quand les grands s’entendent, on a la chance que le monde soit beaucoup plus en paix. Et par bonheur, s’il y a une proximité entre les deux présidents, c’est tant mieux.
Zéphirin Diabré, président de l’UPC
« On ne voit le vrai maçon qu’au pied du mur »
Nous, en tant que Burkinabè, ce que nous pouvons faire c’est de prendre acte de la volonté exprimée par le peuple américain. C’est ça le principe de la démocratie, il leur appartient de choisir la personne qu’ils jugent la plus apte à régler leurs problèmes. Ce n’est pas un choix qui incombe ni au Burkina ni à l’Afrique puisque ce président est d’abord pour les USA.
Du point de vue politique, on peut estimer sans aucun doute qu’il a répondu à une demande de changement qui était très forte après deux mandats des démocrates parce qu’aux USA, il est très difficile qu’un parti qui a déjà fait deux mandats en ait un troisième.
Le seul exemple qu’on a, c’est qu’en 19888, me semble-t-il, Bush-père a succédé à Reagan qui avait déjà fait deux mandats, car en général, au bout de deux mandats, il y a une sorte d’alternance.
Rien d’étonnant donc ?
Vous dites qu’on l’a diabolisé, mais en politique, chacun a ses opinions. Ce que vous entendez dans la presse n’est pas forcément ce qu’on entend au niveau du bas peuple, et avec le score qu’il a eu, on voit que le bas peuple ne pensait pas comme les médias et les analystes politiques.
Il n’a pas été tendre avec les immigrants pendant la campagne ; qu’est-ce que l’Afrique a à craindre de lui ?
En la matière, il faut attendre de voir. Ce que l’on dit pendant une campagne est toujours différent de ce que l’on va faire quand on arrive au pouvoir. C’est par rapport aux actes qu’il va poser qu’on va pouvoir le juger. On ne voit le vrai maçon qu’au pied du mur.
Basile Guissou, politologue, membre du MPP
« Nous n’avons rien à attendre de personne »
Qu’est-ce que vous pensez d’une manière générale de l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis d’Amérique ?
Si vous avez bonne souvenance, il y a 8 ans, avant l’élection d’Obama, j’ai publié un article dans L’Observateur Paagla qui était intitulé : « Etats-Unis d’Amérique, le pays où tout est possible ». Donc je réitère la même chose, je pense qu’après deux mandats démocrates, la perspective du changement était de mon point de vue à prendre sérieusement en compte…
Même au profit de quelqu’un d’aussi imprévisible que Donald Trump ?
Absolument, parce que l’Amérique est suffisante, c’est la partie intéressante du film. Les Etats-Unis, c’est un pays des exploits où tout est possible, c’est en même temps une volonté de changement démocrate-républicain. Deuxièmement, la réticence par rapport au changement dans la continuité, concernant surtout le fait que c’est une femme qui est pour la première fois candidate démocrate, a donné lieu à une situation particulière des Etats-Unis qui s’explique malgré le fait qu’on a essayé de diaboliser Donald Trump. En fait, on lui a rendu service, c’est-à-dire que la machine est suffisamment bien huilée pour qu’on n’ait pas de craintes de dérapage. Le discours en tant que tel ne pouvait pas être le critère unique pour apprécier la possibilité ou pas pour Trump de remporter l’élection. Il fallait vraiment relativiser.
Qu’est-ce que l’Afrique a à attendre ou à craindre de cette grosse surprise ?
Je le disais il y a huit ans, je le répète aujourd’hui, je pense que nous n’avons rien à attendre de personne, il faut qu’on se convainque de cela. L’Afrique n’a rien à attendre de personne, comme le disait Joseph Ki-Zerbo, l’Afrique doit commencer maintenant à se prendre comme son propre centre pour se développer. Et si des gens ont intérêt à venir s’associer à nous, à profiter de nos richesses et à baser notre développement sur les investissements, la coopération bilatérale ou multilatérale, je pense que ce sont des rêves. Depuis 1960 on a eu suffisamment d’expériences pour apprendre à nous en passer.
Quand on connaît la proximité de Donald Trump avec Vladimir Poutine, le Russe, est-ce qu’on peut s’attendre à des changements géopolitiques majeurs au niveau international ?
Je n’y crois pas, je ne pense pas de cette façon, c’est-à-dire à une alliance Russie / Etats-Unis pour s’opposer à la Chine et à l’Europe. Je crois que les grands équilibres vont rester les mêmes, fondamentalement avec la perspective d’avoir un rapport de deux blocs Chine-Asie et Europe-Amérique. Le troisième bloc, c’est l’Afrique et je pense que l’avenir du monde se joue en Afrique.
Louis Armand Ouali, homme politique et diplomate à la retraite
« Les Américains n’élisent pas un président pour le monde »
D’une manière générale comment vous appréciez l’arrivée de Donald Trump, qui a été «diabolisé» pendant longtemps, à la tête des Etats-Unis ; quelle explication peut-on donner à cela ?
De mon point de vue, la perspective dans laquelle il faut se situer chaque fois qu’on parle des Etats-Unis d’Amérique, c’est que les Américains n’élisent pas un président pour le monde même si c’est le président de l’Etat le plus puissant au monde ; ce qui fait que, dans les élections américaines, le plus important, c’est la considération nationale, c’est-à-dire les priorités nationales, c’est ce qui apparaît comme important aux yeux de l’électorat. Le candidat qui représente le mieux les intérêts des Américains sur le territoire américain, c’est ce candidat qui est élu. Il est vrai que Clinton a été fonctionnaire des Affaires étrangères pendant une trentaine d’années, mais l’erreur, c’était de penser que comme Donald Trump a été « diabolisé », du coup les Américains allaient lui tourner le dos. Mais de l’autre côté, vous n’avez pas une candidate au-dessus de tout soupçon. Il a fallu pour les Américains choisir le moindre mal. Sur les questions domestiques, il faut reconnaître que la personne qui représentait le mieux les intérêts des Américains, c’est Donald Trump. Quand vous excitez le nationalisme des Américains, vous avez leurs faveurs. De manière générale, les Américains ne s’intéressent pas au reste du monde, ce ne sont pas les questions de l’Afrique qui vont être déterminantes dans une élection aux Etats-Unis. De toutes les façons, ceux qui avaient cette vision ont compris qu’elle était erronée puisque le président sortant, le 44e, a un père kenyan, mais il n’a pas changé totalement la politique des Etats-Unis vis-à-vis de l’Afrique. La probabilité qu’il soit élu n’était pas nulle comme ont voulu le faire croire certains sondages. Les Américains votent toujours par rapport aux considérations d’ordre national. Que vous perdiez la guerre, que vous la gagneiz, ce n’est pas si important. Mais ce que vous allez faire pour eux, c’est ça qui compte.
Qu’est-ce que l’Afrique a à attendre ou à craindre de cet homme qui, lors de sa campagne, était assez hostile aux immigrés ?
Par rapport à l’Afrique, il n’y a pas d’illusion à se faire. Aux Etats-Unis, on n’élit pas l’homme le plus intelligent, ce n’est pas l’homme le plus brillant au plan intellectuel, pas l’homme le plus sage mais celui qui, à un moment donné, correspond aux intérêts des Américains. Sinon avec tout le respect que j’ai pour le président Reagan, ce monsieur a été un acteur de cinéma médiocre, mais il a été, selon les historiens, un grand président des Etats-Unis, cela veut dire simplement que l’individu en lui-même se fait élire mais il y a un système de gouvernance qu’il ne va pas changer.
On dit de Donald Trump qu’il est proche de Vladimir Poutine, est-ce que vous pensez qu’il peut y avoir une reconfiguration de la géopolitique internationale ?
Quand vous êtes en compétition pour être le premier de la planète, les concessions face aux adversaires ne comptent pas. On a dit qu’il a dit ceci ou cela, mais c’était avant. Depuis quelques heures, il est président des Etats-Unis d’Amérique élu. Le 20 janvier 2017, il sera investi et tout ce qu’il a dit pendant la campagne, il n’en fera même pas la moitié. Je ne crois pas que les Américains puissent accepter de faire des concessions au point de ne pas être la première puissance économique mondiale, encore que d’aucuns disent que c’est la Chine aujourd’hui. Ils feront toujours des concessions qui respecteront leur idéologie. Leur équipe de basket-ball, c’est la Dream team, ils considèrent leur championnat national comme le meilleur championnat du monde, ils ont cette vision.
Propos transcrits par
Ebou Mireille Bayala
&
Aboubacar Dermé