L’ex-député burkinabè, Hervé Ouattara, président du mouvement "Citoyen africain pour la renaissance" (CAR), soutient que "nous n’allons jamais regretter Blaise Compaoré", ex-chef d’Etat chassé du pouvoir par la rue fin octobre 2014, dans une interview à ALERTE INFO.
Dites-nous comment se porte aujourd’hui votre organisation le CAR ?
Le CAR va bien. Comme vous le savez, nous avons, depuis un certain moment, d’énormes difficultés. Des difficultés liées aux démissions orchestrées en notre sein et aux différentes peaux de bananes jetées sur notre route.
Le mouvement a contribué en grande partie à l’instauration de cette démocratie que nous connaissons aujourd’hui au Burkina. C’est donc claire qu’on n’a pas fait que des amis, on a également eu pas mal d’ennemis qui ont travaillé à nous salir, à nous discréditer. Mais tout compte fait le mouvement se porte très bien aujourd’hui.
Comment vous travaillez à minimiser ces difficultés que vous rencontrez ?
Dans la vie des grands mouvements c’est des choses qu’on ne peut pas travailler à occulter. Ça fait partie et quand ça arrive il faut seulement vous fier à votre organisation interne et à vos statuts et règlements intérieurs. Je crois que c’est en faisant cela qu’on peut garder les pieds sur terre et avancer. C’est évident que ce n’est pas du tout facile mais, quand on sait où on a quitté et on sait également là où on va, nous arrivons forcement à trouver le juste milieu et faire avancer les choses.
Deux ans après l’insurrection, quel souvenir gardez-vous de ces moments de lutte contre la modification de l’article 37 de la Constitution, une lutte qui s’est soldée par une trentaine de morts l’éviction de Blaise Compaoré au pouvoir ?
Ce que je garde aujourd’hui c’est la détermination, la fougue de cette jeunesse, son engagement et le sacrifice consenti par cette jeunesse.
Au moment de la lutte, il y a eu une collaboration avec les autres mouvements. Comment s’est manifestée cette lutte d’ensemble ?
Quand le CAR a été créé, nous avons vite fait de rejoindre le CFOP (Chef de file de l’opposition, regroupement de partis d’opposition) afin de mener la lutte commune car nous avons estimé que nous avions les mêmes intérêts à défendre. Beaucoup d’autres Organisations de la société civile étaient déjà affiliées au CFOP. Il était vraiment nécessaire que nous allons en synergie pour que les résultats soient plus probants.
C’est dans ce sens que nous avons créé avec d’autres organisations de la société civile affiliées au CFOP, le Bloc 21. C’était aussi une façon pour nous de donner un élan dans la lutte citoyenne que nous voulons mener et également voir dans quelle mesure nous pouvons être plus actifs sur le terrain.
Un nouveau pouvoir a été mis en place. Dix mois après son installation, pensez-vous que les aspirations des insurgés sont prises en compte dans ses actions ?
Beaucoup de choses se sont passées et qui sont biens, tout comme il y a des imperfections dans ce qui se passe actuellement. Le peuple attend beaucoup du nouveau régime. C’est vrai qu’après 27 ans de gouvernance les choses ne sont pas très évidentes parce qu’il y a tellement de problèmes à résoudre et du coup tout est prioritaire. Les gens attendaient mieux parce qu’on s’est dit que ceux qu’on a mis à la tête du pays ce sont des personnes averties qui ont l’expérience de la chose, par conséquent il y a des difficultés qui pouvaient être minimisées.
Ce que nous constatons également c’est que la période des hommes forts existe toujours au Burkina Faso. Nous avons travaillé à chasser Blaise Compaoré du pouvoir parce que nous avons estimé qu’il n’était plus question de parler d’homme fort dans ce pays mais plutôt des institutions fortes et cela en adéquation avec nos réalités et aspirations. Malheureusement, après le départ de Blaise Compaoré, le nouveau contrat social qui devrait être signé entre le peuple burkinabè et le président Roch Kaboré, se voit aujourd’hui biaisé parce que nous voyons toujours un président de l’Assemblée nationale (Salif Diallo), homme tout puissant qui, selon certain a même une influence sur le gouvernement, qui met à mal le régime actuel quand bien même on sait qu’il est lui-même membre de ce régime. Toujours selon ce qu’on entend de gauche à droite, il prend des décisions en lieu et place du président.
Quand dans un pays, après la traversé du désert nous devons toujours être confrontés à ces genres de personnes, nous pensons qu’il est plus que nécessaire que nous attirons l’attention du peuple burkinabè et même la communauté internationale sur les dérives qui pourraient engendrer ces genres de comportements.
En tant qu’organisation de la société civile, nous estimons que la lutte n’est pas terminée, bien au contraire nous devons encore serrer les coudes pour faire avancer les choses.
Aujourd’hui quelle appréciation faites-vous de l’avancée du dossier de l’insurrection ?
Nous constatons avec amertume que ça fait bientôt un an que rien avance. Bien au contraire, ceux qui sont aujourd’hui à l’origine de ce massacre sont libérés et il n’y a pas de lueur d’espoir quant au jugement. J’avoue que c’est écœurant, c’est même insulté la mémoire des martyrs. Et c’est une façon de rappeler au peuple burkinabè que l’insurrection était non seulement un accident de l’histoire et que le coup d’Etat de Diendéré également devait être salutaire pour certain.
Aujourd’hui nous sommes un peu perdus parce que ce que nous voyons ce n’est pas véritablement la voie à suivre. On a l’impression qu’il se peut que le pire ne soit pas loin si nous ne prenons pas nos responsabilités et mettre certaines personnes face à la justice et même à l’histoire.
Tout dernièrement vous avez été entendu par la Haute Cour de Justice, quel a été le contenu de vos échanges ?
Effectivement j’ai été entendu par la Haute Cour de Justice. C’est vrai que dans les premiers moments j’ai estimé que je n’ai pas été ministre donc je ne voyais pas la raison de la convocation. C’est quand j’y ai été que j’ai compris que c’est lié à Luc Tiao (ex-Premier ministre) et à ses ministres (qui ont pris le 21 octobre 2014 en Conseil des ministres le projet de modification de la Constitution). Je me suis prêté aux questions qui m’ont été posées. C’est évident que ces questions concernaient aussi ceux qui ont tiré sur la population (les 30 et 31 octobre 2014). Est-ce que réellement on peut dire avec certitude que c’est X ou Y qui a tiré ? Quand on est leader on est devant, on n’est pas sensé savoir tous ce qui se passe derrière, qui a tiré qui ne l’a pas fait. De ce point de vue, aujourd’hui je pense que nous avons apporté, en tout cas, notre contribution comme on peut afin que cette justice puisse nous éclairer (sur ce dossier).
Après le départ de Compaoré un gouvernement de transition a été mis en place. Aujourd’hui ses acteurs n’étant plus aux affaires, ils font l’objet de multiples accusations. Quelle est votre lecture sur ce point ?
C’est grâce à cette transition qu’aujourd’hui nous avons enfin un pays démocratique. C’est vrai que tout n’a pas été rose dans la transition, mais ce qui est important est qu’elle a fait ce qu’elle pouvait. La première mission de cette transition c’était d’organiser des élections libres, transparentes et démocratiques. Ce pari a été réussi. C’est vrai qu’il y a eu quand même des écarts, des imperfections, mais il ne faut pas pour cela jeter le bébé avec l’eau de bain. Nous devons faire la part des choses. S’il y a des personnes qui ont fauté dans la transition, qu’ils répondent parce que nous nous sommes battus également pour qu’il y ait une justice sociale pour tous.
Une chose est de demander à ce qu’on applique les textes, mais souvent on a l’impression que c’est une cabale contre des individus. C’est en cela nous donnons souvent de la voix pour interpeller les uns et les autres sur le fait qu’il y a un objectif à atteindre, la mise de notre pays sur une voie afin qu’il soit cité dans le concert des nations démocratiques. Nous interpellons aussi nos dirigeants pour qu’on ne perd pas de vue ces aspects et qu’on ne se laisse pas divertir par des questions d’individus et qu’à terme on se rend compte qu’on a plus perdu que gagner.
Aujourd’hui quelle appréciation faites-vous de la situation socio-politique et économique du pays ?
Il faut reconnaitre qu’il y a une avancée notable. Quoiqu’on dise, du point de vue politique, aujourd’hui c’est clair qu’un président ne peut pas imaginer, même dans son rêve, de s’éterniser au pouvoir. Et ça c’est déjà une avancée notable. Aussi il faut savoir que la redevabilité est devenue la chose la mieux partagée au Burkina. Cela voudrait dire que nos dirigeants doivent rendre compte à tout moment de leur gestion et cela est également important dans le processus de démocratisation de notre pays.
Aujourd’hui on ne peut plus tuer quelqu’un comme avant sans rendre compte. On ne peut plus se permettre de brader l’économie du pays comme ça. Tout gouvernement qui vient, il commence à parler de la réduction du train de vie de l’Etat parce que quelque part il y a eu des avancées considérables dans le domaine.
C’est vrai que notre économie aujourd’hui a du mal à bouger. Il y a quand même des difficultés, mais ce qu’il faut retenir, est que, rare sont les pays qui ont vécu ce que nous avons vécu et qui tiennent toujours débout. Nous pouvons quand même reconnaitre que quelque chose est bien à ce niveau et que maintenant il faut que des gens osent pour qu’on puisse aller véritablement vers cet élan économique pour que la population puisse bien se sentir.
Ce qui est regrettable c’est la fracture sociale qui devient de plus en plus grande parce que quelque part on a l’impression qu’il y a des gens qui sont venus aussi pour se venger et non peut-être pour aider le président Kaboré à avancer dans son programme de développement. Ils ne sont pas venus réellement pour réconcilier le peuple burkinabè mais ils sont venus parce qu’ils ont soif de se venger de ce qu’ils ont vécu hier et avant-hier, ainsi de suite. Et du coup au niveau social, nous avons cette question de réconciliation qui peut être un problème. Mais en dépit de tout ça nous devons avoir à l’esprit que la vérité est une impérative pour notre pays et la réconciliation une nécessité afin que nous puisons être tôt ou tard citer comme un exemple pour les autres nations.
Lors d’une de vos conférences de presse tenue à Ouagadougou, vous avez demandé la dissolution du gouvernement Kaba Thiéba, peut-on savoir d’avantage les raisons ?
Quand nous avons demandé cela les gens sont tombés sur nous de gauche à droite. D’aucun même ont dit qu’il n’appartient pas à une ONG (Organisation non-gouvernemental) de demander la dissolution d’un gouvernement. Mais nous répondons que quand ces organisations demandaient le départ de Blaise Compaoré, personne n’a dit qu’elles n’avaient pas le droit. Aujourd’hui on dit qu’on n’a pas ce droit. Nous nous disons que c’est au vue d’un certain nombre de constats, parce que le Burkina poste insurrectionnel doit être géré de façon claire, transparente avec des missions saines et transparentes.
Si vous remarquez aujourd’hui, dans bon nombre de ministères il y a des problèmes. Prenons par exemple la Santé. Voila un ministre de la Santé (Smaïla Ouédraogo) qui est venu et qui a foutu le bordel. Et de par ses actes on peut enregistrer des morts du fait des intérêts égoïstes. Au niveau de l’information et de la communication, c’est les journalistes qui sont tout temps en sit-in. Au ministère du Commerce, c’est ceux qui ont bradé l’économie du pays pendant 27 ans et plus qui cherchent des postes à la chambre de commerce avec la bénédiction du ministre de Commerce (Stéphane Sanou). Si vous remarquez de gauche à droite, c’est la même situation dans tous les ministères.
Au niveau de la sécurité regardez ce qui se passe actuellement. C’est des attentats de gauche à droite, des attaques terroristes par ci, des attaques de l’ex-RSP (ex-Régiment de sécurité présidentiel) par là. On ne sait plus ce qui se passe dans notre pays. Est-ce que c’est ce qu’on veut pour ce pays là ? Non.
Nous avons demandé un gouvernement révolutionnaire avec des missions claires et précises. Il vient c’est pour relever l’économie, assurer la sécurité du territoire burkinabè, régler la dette intérieure et faire avancer les choses. C’est pourquoi nous disons qu’il faut un gouvernement qui puisse être à la hauteur de cela mais pas un gouvernement d’hommes d’affaire.
Avec les différentes attaques par ci par là et les cris des populations qui trouvent que l’argent ne circule pas, les Burkinabè ne vont-ils pas regretter le départ de Blaise Compaoré ?
Jamais. Jamais. Il faut que nous ayons à l’idée que Blaise Compaoré de toute façon tôt ou tard mourra car il est humain. Si on doit le regretter c’est qu’il faut se dire que quand il va mourir nous devons disparaitre. Non, aujourd’hui nous ne devons rien regretter. Bien au contraire, il faut que les gens se mettent à l’esprit que personne n’avait imaginé que d’octobre 2014 à aujourd’hui le Burkina pouvait résister de cette façon. Aucun conflit interne n’a été enregistré au Burkina, après l’insurrection. Tout s’est bien passé dans notre pays jusqu’aux élections démocratiques. Donc il faut qu’on ait à l’idée qu’on doit nous féliciter parce que nous sommes un grand peuple. Ceux qui ont la nostalgie de Blaise Compaoré c’est ceux-là qui n’ont pas encore compris que nous sommes dans une dynamique d’évolution et qu’il faut laisser la place à de nouvelles initiatives, de nouvelles pensées pour faire avancer les choses. Toutes les grandes nations ont évolué de cette façon. Vous pouvez vous rassurer, nous n’allons jamais regretter le départ de Blaise Compaoré.
DZO