Le tribunal militaire a enfin décidé d’authentifier les présumées écoutes téléphoniques entre Djibril Bassolé et Guillaume Soro. Un expert allemand, Dr Hermann J. Künzel, a été saisi à cet effet. Les résultats de ses analyses seront connus très prochainement. En attendant, Me Paul Kéré, avocat au Barreau du Burkina et de Nancy (France), répond au juge militaire à la retraite le colonel Jean-Pierre Bayala qui a fait des déclarations sur le site « Burkina 24 » tendant à authentifier les écoutes sur Bassolé avant toute expertise.
Interrogé par téléphone par la chaîne d’information «Burkina 24» suite aux attaques récentes du pont Nazinon de Pô et de Tin-Akoff, dans la province de l’Oudalan, à la question du journaliste « vous avez parlé de menaces internes. D’aucuns n’hésitent pas à parler de prémices de rébellion. Avez-vous le même sentiment ? », le Colonel Jean-Pierre Bayala a répondu par erreur : «...vous savez qu’aux premières heures de l’insurrection, et lorsqu’on s’en tient aux écoutes (téléphoniques entre Djibril Bassolé et Guillaume Soro, ndlr), il était fortement question de faire pénétrer une rébellion armée, c’est-à-dire grossie même de mercenaires qui devaient envahir notre pays.
Et dans le scénario, si l’on s’en tient à l’authenticité des écoutes, il fallait dans une certaine stratégie mener des manœuvres de diversion, et cela consiste à attirer nos forces de l’intérieur vers le nord par des attaques sporadiques ou répétées, de façons à pouvoir par la suite nous surprendre par une occupation forte...».
Une telle déclaration gravissime d’un colonel, magistrat militaire, au demeurant fondateur de l’institution du Tribunal militaire qui a cru devoir s’affranchir de son obligation de réserve, méritait une réponse juridique et démocratique, notamment à cette atteinte incroyable à la présomption d’innocence du Général Djibril Bassolé.
Dans une précédente tribune, nous avons écrit et assumé que «le caractère exceptionnel du Tribunal militaire ne pouvait, en aucun cas, constituer un «blanc seing» pour fouler aux pieds les règles élémentaires de la procédure pénale, notamment le principe de la présomption d’innocence. Le Tribunal militaire ne doit être, ni d’aucune manière, ni d’aucune sorte, un Tribunal de «vengeance» ou de «revanche politique» sous peine de s’auto-disqualifier comme juridiction républicaine au service de l’armée puisque « rien ne doit plus être comme avant...».
Malheureusement, cette déclaration du colonel-magistrat militaire Jean-Pierre Bayala oblige à une «récidive» de cette opinion assumée parce que la répétition est simplement pédagogique et chaque Burkinabè a l’obligation patriotique de contribution à l’éclairage des autres quel que soit son niveau de
technicité et de spécialité.
Comment un magistrat-militaire, au surplus fondateur de l’institution militaire pouvait-il faire une telle affirmation au mépris de son obligation de réserve, mais surtout de la violation flagrante de la présomption d’innocence du Général Djibril Bassolé ? Comprenne qui pourra !
N’étant pas à la date de ce jour constitué dans le dossier du Général Djibril Bassolé, quelle belle liberté extraordinaire d’expression que confère une telle posture afin d’énoncer un principe élémentaire de la procédure pénale qu’est la présomption d’innocence qui exige et recommande que personne ne soit «jugé» ou considéré comme «coupable» d’une quelconque infraction par quiconque, soit-il son ennemi juré ou son adversaire politique patenté, tant qu’une décision définitive
d’un Tribunal compétent et légalement constitué n’est pas devenue définitive ou passée en force de chose jugée.
Et voilà que, tout à coup, «patatras» un juge militaire, au demeurant fondateur du Tribunal militaire, le Colonel Jean-Pierre Bayala, vient énoncer clairement et téléphoniquement sur «Burkina 24» que «...lorsqu’on s’en tient aux écoutes (téléphoniques entre Djibril Bassolé et Guillaume Soro, ndlr), il était fortement question de faire pénétrer une rébellion armée, c’est-à-dire grossie même de mercenaires qui devaient envahir notre pays... ».
Or, force est de constater que, dans une récente publication sur le «Fasonet », Monsieur Lassina Ko a précisé en son écrit qu’au «regard des contestations qui entourent ces supposées écoutes téléphoniques, et de l’exploitation médiatico-politique qui en a été faite au cours de l’enquête sur la commission rogatoire, une expertise d’authentification s’avérait nécessaire. Mais, à la grande surprise de l’opinion nationale et internationale, le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal militaire déclarait au cours d’une conférence de presse le 7 février 2016, soit 5 mois environ après l’ouverture du dossier ceci : « Jusqu’à preuve de contraire nous n’avons pas authentifié ces écoutes... ». La messe est dite et bien dite. On met donc en détention et on recherche après les preuves... Kato !
D’où vient donc la «pseudo» certitude factuelle que tient ce magistrat-militaire fondateur du Tribunal militaire, qui énonce sur «Burkina 24» que «...lorsqu’on s’en tient aux écoutes (téléphoniques entre Djibril Bassolé et Guillaume Soro, ndlr), il était fortement question de faire pénétrer une rébellion armée, c’est-à-dire grossie même de mercenaires qui devaient envahir notre pays... » ?
Il semble même, selon Monsieur Ko, que selon le Commissaire du Gouvernement du Tribunal militaire «...les sons sont toujours sous scellés» et, aux dernières nouvelles médiatiques, qu’une mesure d’instruction sur l’authentification de ces écoutes téléphoniques supposées aurait été confiée à un expert allemand au nez et à la barbe des experts burkinabè ou de nos voisins africains ! Allons seulement !
Et pourtant, alors même que « ...les sons sont toujours sous scellés...» et ne sont donc pas encore authentifiés par quiconque, le Général Djibril Bassolé a été inculpé et placé en détention provisoire depuis plus d’un an sans que cela choque le commun des Burkinabè. Quand même !
Avait-on besoin de sortir de la «cuisse de Jupiter» pour constater qu’il y a là, manifestement, une gravissime atteinte intolérable à la présomption d’innocence du Général Djibril Bassolé ?
C’est pourquoi le Tribunal militaire doit libérer immédiatement et sans délai le Général Djibril Bassolé dans l’attente des résultats de l’expertise des écoutes téléphoniques commandée en Allemagne et confiée, semble-t-il, au Docteur Hermann J. Künzel si tant est que la détention de ce général se fonderait sur ces écoutes non encore «authentifiées».
Par ailleurs, le journal «l’événement» à propos des libertés provisoires ordonnées par des juges d’instruction professionnels et objectifs s’interrogeait légitimement en ces termes : «la détestation peut-elle fonder une procédure de justice ?». Et ledit journal de répondre : «oui selon un esprit burkinabè...» et le journal de poursuivre encore, «Quand on n’aime pas quelqu’un, le pire peut lui arriver on s’en fout. Cet état d’esprit est le plus grand mal de notre pays...» Sic ! Dont acte !
Dans le cas de la demande expresse de libération provisoire du Général Djibril Bassolé, il ne s’agit pas exclusivement de la personne de ce Monsieur, mais bien au-delà. C’est une simple question de respect impératif du sacro-saint principe de la présomption d’innocence : Tant que les résultats de l’expertise sur ces fichues prétendues «écoutes téléphoniques» ne sont pas connus, le Général Djibril Bassolé n’aurait même pas dû être inculpé et, a fortiori, placé en détention provisoire.
Dès lors, maintenir à la date de ce jour le Général Djibril Bassolé en détention provisoire sur la base d’une expertise dont les résultats ne sont pas connus constitue, incontestablement, une grave atteinte à ce principe de sa présomption d’innocence.
Enfin, lorsqu’un colonel magistrat au demeurant fondateur du Tribunal militaire méconnaît le respect de cette présomption d’innocence, on ne peut que déplorer, légitimement, une telle posture qui n’honore pas la juridiction militaire au sein de laquelle tous les magistrats militaires méritent respect et considération.
En rappel, le Docteur J. Künzel est, semble t-il, expert judiciaire auprès des cours et Tribunaux allemands, expert en investigations acoustiques, analyse des voix, expert près de la Cour pénale internationale. L’affaire du Général Bassolé s’est-elle muée en crime contre l’humanité nécessitant l’intervention des experts de la CPI ?
PauI Kéré,
Docteur en Droit,
Avocat au Barreau du Burkina Faso et de Nancy