L’évènement est suffisamment rare pour être souligné. Pour une fois, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) jette des fleurs à son frère ennemi, le gouvernement malien. Ce changement de ton tranche avec la rhétorique guerrière entretenue par les philippiques que se jettent habituellement les deux camps. La question que l’on peut se poser est la suivante : que cache cette volte-face contemplative de la CMA ?
En fait, on ne le sait que trop bien. L’attitude laudative de la CMA traduit toute sa satisfaction d’avoir raflé la mise dans la nomination des membres des autorités intérimaires, conformément à l’accord d’Alger. Elle s’est taillé la part du lion dans les postes stratégiques et cela vaut bien de brûler une poignée d’encens pour les autorités de Bamako, même si l’heure n’est pas encore au partage du thé sous la même tente. La contemplation vis-à-vis du gouvernement malien, est d’autant plus utile qu’elle semble intéressée : elle constitue en même temps un appel à l’endroit de l’Exécutif malien à mettre à la disposition des nouvelles autorités, le maximum de moyens nécessaires dans l’exercice de leurs fonctions. Et il sera difficile pour Bamako de s’y dérober après avoir casqué, au titre de la coopération internationale, un énorme magot destiné à la décentralisation et à la reconstruction nationale. Et c’est bien là le piège pour Bamako qui pourrait se retrouver à financer des mouvements rebelles qui n’ont jamais renoncé d’un iota, à leurs velléités indépendantistes. Pour preuve, après avoir échoué à obtenir l’autonomie tant réclamée par les bruits des mitraillettes, ils l’ont obtenue par la force des négociations. A faire donc leur jeu, Bamako se laisse aller au charme du serpent.
Toutefois, Bamako ne joue pas dans la cour des naïfs à « boire, comme on le dit, l’eau par les narines ». Il a sans doute sa petite idée derrière la tête et ce que la CMA croit être un présent de bon office, pourrait être un cadeau empoisonné.
C’est à un dangereux jeu de sabres que se livrent Bamako et Kidal
Et pour ce faire, les autorités maliennes ne font qu’usage d’une vieille recette, celle de « diviser pour mieux régner ». En effet, le gouvernement malien est bien conscient que la part du lion accordée à la CMA, va inéluctablement attiser la convoitise des autres groupes armés du Nord, notamment le Gatia, qui, comme une meute de loups affamés, ne manqueront pas de se ruer sur elle. Pire, Bamako met la CMA au défi, en lui refilant la patate chaude de la sécurité au Nord Mali. Quand on sait que les mouvements armés du Nord tirent tous leurs subsides du trafic de tout acabit et sont liés aux katibas terroristes, cette ruse de Bamako pourrait signifier pour la CMA une manière de se faire hara kiri ou tout au moins de se mettre dans la posture du voleur auquel l’on a confié la surveillance de sa maison.
Ce jeu du chat et de la souris entre Bamako et la CMA est, c’est le moins que l’on puisse dire, des plus risqués. D’abord, le Général Gamou du Gatia, réputé pour être proche de Bamako, peut se sentir comme « le dindon de la farce ». Car disposant de la force de feu qu’on lui connaît et porté par la rivalité légendaire entre son clan et celui composant majoritairement la CMA, il pourrait être tenté de manifester bruyamment sa désapprobation de la situation. Il pourrait rallier à sa cause tous les laissés-pour-compte de cette mise en place des autorités intérimaires, comme les fennecs du genre Iyad Ag Ghali. Ensuite, en cédant aux charmes de la CMA, Bamako ouvre un boulevard royal à tous les mouvements armés qui naissent en dehors du septentrion malien, notamment les mouvements peuls armés, qui ont ainsi la preuve que l’accession aux responsabilités politiques passe par le viseur des armes. Et pire, Bamako peut se mettre à dos les siens qui peuvent voir dans sa générosité envers la CMA, une prime à la félonie, si ce n’est tout simplement pas une politique de « deux poids, deux mesures » dont ils sont les principales victimes : un Mali du Nord où l’ascension sociopolitique se fait par les armes et un Mali du Sud où elle doit se faire à travers les interstices de la démocratie élective. C’est donc peu de dire que c’est à un dangereux jeu de sabres que se livrent Bamako et Kidal.
SAHO