La cybercriminalité prend, de plus en plus, des proportions inquiétantes. Conçu pour faciliter la vie de l’homme, l’internet ne cesse, par le fait de personnes malveillantes, de causer ruines et désolation à de nombreuses personnes. C’est le cas d’un enseignant des lycées et collèges à Ouagadougou, victime d’une tentative d’escroquerie habilement fomentée par un hacker, à travers une offre d’emploi.
Dans le cybercafé de Abdoul (pseudonyme), la clientèle ne désemplit pas. Situé en plein cœur de la ville de Ouagadougou, cet espace pour internautes, vu son cadre enchanteur et le coût de connexion (1 000 F CFA/l’heure) semble être réservé à une catégorie relativement nantie de personnes. En témoignent les voitures qui se disputent la place à la devanture, au point que des engins à deux roues se retrouvent confinés dans les allées. Une autre particularité est que l’établissement d’Abdoul est l’un des rares cybercafés de la capitale à disposer d’une connexion haut débit. C’est cette « boîte » que Esprit (sobriquet) fréquente au moins trois fois par semaine, précisément dans la soirée jusqu’à l’heure de fermeture. Il n’est pas un client comme les autres. En effet, celui-ci, contrairement à la grande majorité des usagers du cybercafé d’Abdoul, est un «expert» en : piratage informatique, détournement de données personnelles et usurpation d’identité, escroquerie, etc. En d’autres termes, Esprit est un «hacker» (cybercriminel) ou «brouteur», pour emprunter un jargon cher aux internautes. Nous avons dû mener d’âpres négociations pour immerger l’univers de son activité dont il nous a livré « juste une infime partie », selon ses dires. Proche de la quarantaine, ce « cybercriminel » de nationalité ivoirienne, s’est installé au Burkina Faso, depuis le 8 avril 2014. « Je devais quitter mon pays, si je voulais continuer mon activité. Les autorités ivoiriennes ont pris à bras-le-corps la lutte contre la cybercriminalité si bien que l’étau commençait à se resserrer autour de mes camarades et moi », raconte-t-il. A l’en croire, ce n’est pas l’unique cybercafé qu’il fréquente et ne travaille pas seul dans cette activité de piratage. L’homme confie, en effet, avoir à ses côtés tout un réseau reparti entre le Burkina Faso, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la France. Quant au nombre d’internautes arnaqués dans le mois par Esprit, nous n’en saurons rien. Toutefois, il fait savoir qu’il parvient toujours à plumer, sans grande difficulté, des «pigeons» sur la toile.
L’activité du hacker
Le vendredi 12 août 2016, nous avons rendez-vous avec Esprit et deux de ses complices à 19 heures dans le cybercafé de Abdoul. Par mesure de prudence, dit-il, il a préféré au final venir seul au lieu de la rencontre. Qu’à cela ne tienne, nous sommes tout de même parvenus à recueillir quelques bribes d’informations sur le «métier» pratiqué par Esprit. Comment procède-t-il ? Assis devant un poste d’ordinateur dans le cybercafé, Esprit installe sur sa machine un logiciel qui permet de récupérer l’adresse IP (un numéro d'identification attribué à chaque appareil connecté à un réseau informatique) des appareils des personnes connectées au même moment. « Cela me permet de connaître les adresses mails et les profils des personnes autour de moi», commente-t-il. A la question de savoir comment s’appelle le logiciel qui lui permet de pirater ces données, le « cybercriminel » se refuse à tout commentaire, malgré notre insistance. « Je suis désolé. Ce sont des informations qu’on ne livre pas à un journaliste. J’ai moi-même créé ce logiciel», objecte-t-il. A l’aide d’une autre application (dont l’identité est à nouveau tenue secrète !), notre hacker a la possibilité de déchiffrer le mot de passe de tout internaute. Selon ses explications, la stratégie est d’amener l’usager à cliquer sur des liens attrayants envoyés dans sa boîte mail, pour découvrir le contenu de ces pages. Sous ces pages se trouve un cadre invisible qui lui fournit toutes les informations relatives aux données personnelles et le mot de passe de l’internaute. Comment appelle-t-on cette application ? Revenons-nous à la charge : « si tu me poses cette question encore, on arrête tout. Contente-toi de suivre seulement. Je t’expliquerai s’il y a lieu », nous lance-t-il sans ménagement. Lorsque nous l’avions rencontré au cybercafé de Abdoul pour la deuxième fois, Esprit était déjà à l’œuvre. Une «vraie fausse» offre d’emploi sous forme d’annonce avait, en effet, été envoyée dans la boîte mail d’internautes sous la bannière d’une institution internationale en l’occurrence, ''UNICEF- France'' sous l’adresse : 14 rue Porte Côté 41000 LOIR-ET-CHER et signée du Dr Anthony Lake ! Ce communiqué dont il nous a permis de prendre connaissance du contenu stipulait ceci : « Dans le cadre de son programme de travail, le Corps commun d’inspection (CCI) de l'UNICEF a effectué un examen du recrutement du personnel dans les organismes du système des Nations unies... Pour la promotion de l'emploi et l'insertion professionnelle des jeunes diplômés pour atteindre les objectifs du PNUD, l'UNICEF lance un programme d'avis de recrutement de personnels de toutes catégories confondues de par le monde entier sans distinction de race, de nationalité et ni de sexe ». Pour faire acte de candidature, il faut avoir un âge compris entre 22 et 65 ans au plus ; être titulaire du baccalauréat ou autre diplôme professionnel ; être disponible à voyager immédiatement et savoir parler le français et l'anglais. Les pièces à fournir composées d’un curriculum vitae, d’une lettre de motivation, d’une photo d'identité, des copies des diplômes et des attestations de travail ou des certificats de services rendus doivent être envoyées au plus tard le 29/08/2016 à 17 heures précises par mail à l’adresse : unicef.france@outlook.com.
Un professeur de lycée, piégé
Une dizaine de «postulants» s’est laissée séduire par cette offre. S.N.L, un professeur des lycées et collèges d’une dizaine d’années d’expériences, fait partie des candidats. Nous nous sommes intéressés à son cas. Conformément au libellé de l’annonce, S.N.L a envoyé tous les documents demandés à l’adresse indiquée. Deux jours après l’envoi du dossier, soit le 18 août, il reçoit une réponse du hacker qui l’annonce que sa candidature a été approuvée par le CCI de l'UNICEF en France. La vérification et la validation de son dossier sont en cours, conclut la note. Le courriel est joint aux fiches dénommées formulaire P11 et formulaire d'enregistrement qu’il doit dûment renseigner et renvoyer par mail. Dans le premier formulaire, S.N.L a donné toutes les informations relatives à son emploi actuel (matricule, catégorie, ancienneté, salaire, contacts…) et à sa famille (nom et prénoms de son épouse et de ses enfants). Le 22 août, le hacker lui envoie un certificat d’admission l’informant que sa candidature a été approuvée par le CCI d'UNICEF/France et qu’il doit remplir une dernière formalité qui confirmera son admission définitive au sein de l’organisation. Cela doit se faire dans un délai de 72 heures, à compter de la date de réception du certificat d’admission. Il s’agit d’un formulaire de demande de visa et de permis de travail. Car, selon l’«annonce» du pirate, l’enseignant, désormais « agent de l’UNICEF », a été affecté dans une représentation de l’institution au Canada. Pour le dossier de visa, il lui est demandé de transférer la somme de 213 euros (environ 140 000 F CFA) représentant les frais juridiques, d’expédition et de légalisation des documents liés à son voyage. Concernant la somme exigée, il recommande de passer par une institution de transfert pour envoyer l’argent à un certain Jacques Dihace Bouama, représentant de l’UNICEF à Paris en France. « Aussitôt le transfert des frais de validation effectif, prière nous envoyer en pièce jointe par mail, le certificat d'admission ci-joint signé et le bordereau de transfert des frais. Les clauses de votre contrat (poste et traitement salarial) vous seront envoyées dans le prochain mail après la confirmation de votre admission», peut-on lire dans le courriel envoyé par Esprit. Mais, l’enseignant n’enverra pas l’argent. Les 72 heures de délai dont il disposait pour faire le transfert se sont écoulées sans qu’il ne bouge le petit doigt. Le 26 août, Esprit envoie un mail à S.N.L lui rappelant de faire parvenir le certificat d'admission signé ainsi que la copie du bordereau de transfert de la somme demandée. L’enseignant ne se manifeste toujours pas. Le hacker passe par une autre stratégie, en faisant intervenir l’un de ses complices qui semble résider en France. Ce dernier appelle S.N.L au téléphone et se présente comme étant un agent du service de recrutement d’UNICEF-France. Les pièces requises doivent être urgemment transférées, annonce au bout du fil le soi-disant M.Bouama. Peine perdue. L’enseignant reste droit dans ses bottes. Esprit réalise que l’homme a découvert la supercherie. Mais pour lui, l’épisode est loin d’être terminé. Car, ayant en sa possession le dossier numérique (diplômes, attestations et autres pièces) et le contrôle de la boîte mail de l’éducateur, il envisage une autre stratégie pour l’amener à faire le transfert. Malheureusement, nous ne saurons rien de cette nouvelle «offensive». Pourquoi ? « Je pense vous avoir dit assez. Nos chemins se séparent ici », nous rétorque-t-il. A la représentation de l’UNICEF à Ouagadougou, l’on dit être au courant que des offres d'emploi factices circulent, via le courrier électronique ou les tableaux d'offres d'emploi en ligne. Selon la chargée de communication, Saran Koly, l’institution publie, certes, ses offres d'emploi sur son site web d'emploi mondial ou sur le site web de ses comités nationaux ou bureaux de pays, et utilise aussi des médias authentiques et de confiance, comme les journaux et des sites en ligne d'offres de travail pour diffuser ses disponibilités de postes. Mais, l’UNICEF ne facture pas d'honoraires à aucune étape du processus de recrutement (candidature, entretien, rencontre, voyage, traitement, formation).
Paténéma Oumar OUEDRAOGO