A peine rentrée d’une tournée africaine qui l’a conduite respectivement au Mali, au Niger et en Ethiopie, la Chancelière allemande, Angela Merkel, a reçu, hier, à Berlin, les présidents Idriss Deby Itno et Muhammadu Buhari. La question que l’on peut se poser et tenter d’y répondre, est de savoir les raisons de cette visite. D’abord, l’on peut faire le constat que le Tchad, tout comme le Nigeria, ont en partage le fait qu’ils sont en première ligne dans la lutte contre la secte islamique Boko Haram. Toute chose qui a contribué à mettre à mal leur économie. L’on peut donc supposer que Deby et Buhari ont fait le déplacement de Berlin pour solliciter de vive voix, l’appui de la plus grande puissance économique d’Europe. Et ils le font volontiers et sans gêne, parce qu’ils savent que l’Allemagne d’Angela Merkel a mis un point d’honneur à aider l’Afrique dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Mieux, Angela Merkel, dans son partenariat avec l’Afrique, entend allier lutte contre l’insécurité et aide au développement. La deuxième raison, peut-on dire, qui a guidé les pas des deux présidents africains vers Berlin, est liée au fait que les rentes du pétrole qui leur permettaient de garder la tête hors de l’eau, ont fondu comme du beurre au soleil depuis que le prix du baril a vertigineusement chuté.
L’Allemagne ne cache plus son intérêt pour le continent noir
De ce fait, ils n’ont plus le choix que de s’orienter vers les pays qui, en raison de leur solide assise financière, ont la latitude de les aider à tirer leurs économies respectives du gouffre dans lequel elles se trouvent aujourd’hui. L’Allemagne, de toute évidence, est le pays qui présente le plus ce profil en Europe. Et cerise sur le gâteau, de plus en plus, elle ne cache plus son intérêt pour le continent noir. Elle envisage même de susciter la mise en place d’un plan Marshall en faveur de l’Afrique à l’effet de la positionner sur le chemin du développement, à l’image de celui que les Etats-Unis ont expérimenté en direction des pays européens au lendemain de la deuxième Guerre mondiale. Un tel discours ne peut que trouver une oreille attentive en Afrique, où bien des pays, sous l’effet conjugué des dérèglements climatiques, des chutes des cours des matières premières, du péril islamique, sont pratiquement inscrits à l’article de la mort. De ce point de vue, les Africains ne peuvent qu’adresser un vibrant Danke1 à l’Allemagne de Angela Merkel. Mais il faut être d’une extrême naïveté pour croire que ce pays se démène comme un beau diable pour le continent noir, rien que pour les beaux yeux des Africains. La bienveillance inédite de la première puissance européenne en direction de l’Afrique, peut s’expliquer par plusieurs raisons. La première est que le meilleur moyen d’empêcher les Africains de braver la méditerranée pour se rendre en Europe, consiste à leur donner des raisons d’espérer une vie meilleure sur place. Et comme Angela Merkel sait que son pays est l’une des destinations privilégiées de tous ceux qui fuient la mort certaine chez eux et la précarité, elle est bien placée pour savoir que tant que l’Afrique sera sous la férule de la misère et de la montée du phénomène djihadiste, aucune législation, aussi draconienne soit-elle, ne peut mettre l’Allemagne à l’abri des flux migratoires. D’ailleurs, cette réalité, Angela Merkel l’a reconnue quand elle a dit : « Le meilleur moyen de lutter contre les flux migratoires est d’encourager la croissance économique en Afrique ». Dans le même ordre d’idées, elle a ajouté ceci : « Du bien-être de l’Afrique dépendra la façon dont nous allons vivre en Allemagne ».
L’Allemagne avance ses pions en Afrique
Le message adressé ainsi à tous et en particulier aux contribuables allemands, est sans ambiguïté : en aidant l’Afrique, c’est une manière d’aider l’Allemagne. L’autre raison qui explique ce regain d’intérêt de l’Allemagne pour l’Afrique, peut trouver ses origines dans le souci de ce pays d’intégrer le cercle fermé des 5 pays qui constituent depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale, les membres permanents du Conseil de sécurité de l’organisation des Nations unies que sont les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Angleterre et la Chine. Dans cette perspective, l’Allemagne peut se donner les moyens de séduire l’Afrique par la force de son pouvoir économique. Et le fait qu’elle ouvre ses bras à celui qui incarne pour le moment le plus l’Union africaine (UA), c’est-à-dire Idriss Deby Itno puisqu’il en est actuellement le président en exercice, peut être décrypté dans ce sens. La réception du président du pays le plus grand d’Afrique, en termes de démographie voire de puissance économique, c’est-à-dire Muhammadu Buhari, peut également avoir le même décodage. Cette lecture est d’autant plus fondée que la scène politique internationale est en pleine reconfiguration. De ce fait, de vielles alliances sont en train de se déconstruire pendant que de nouvelles sont en construction. L’Allemagne, peut-on dire, entend en profiter pour avancer ses pions en Afrique, pour se tailler une place de choix dans le concert des Nations. Et cela passe non seulement par une présence plus prononcée dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, mais aussi par l’envergure de l’enveloppe financière qu’elle consacre à l’aide des pays pauvres, notamment les pays de l’Afrique. C’est sur ces deux tableaux que l’Allemagne est en train de jouer par cette offensive et ce charme diplomatiques en direction du continent Noir. Et dans sa croisade déclarée contre le djihadisme en Afrique, l’Allemagne ne peut pas ne pas associer le nom du président tchadien, Idriss Deby, dont les hauts faits d’armes contre les barbus au Nord-Mali et dans la région du Lac Tchad, se passent de commentaire. De la même manière, elle ne peut pas s’offrir le luxe de ne pas soutenir comme il faut Buhari, dont le pays a vu naître sur son sol le monstre Boko Haram. Ces deux présidents sont donc des symboles en matière de lutte contre le djihadisme, surtout dans la région du Lac Tchad.
« Le Pays »