Première institution de promotion du secteur privé, la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso (CCI-BF) contribue fortement à une meilleure structuration du dispositif institutionnel d’appui audit secteur. Pour la rendre encore plus dynamique, des responsables compétents sont indispensables. Dans ce sens, le Conseil des ministres a adopté les nouveaux textes devant régir la Chambre et le processus électoral conduisant à l’élection des membres consulaires de la CCI-BF est en cours. A l’issue de la réception des candidatures du 5 au 14 octobre 2016 devrait en principe intervenir le scrutin proprement dit le 13 novembre de l’année en cours. Candidat malheureux en 2015, l’opérateur économique bien connu dans le milieu des affaires ici et ailleurs, Appolinaire Compaoré, rebelote face à trois autres prétendants.
Dans l’interview ci-dessous traduite du mooré au français avec les limites inhérentes à un tel exercice et dont nous nous excusons par avance, le jeudi 22 septembre 2016 à Ouagadougou, le natif de Koassa, dans le Bazèga, parle de son parcours, de ses différentes sociétés et affiche ses ambitions pour la CCI-BF.
Vous êtes candidat au poste de Président de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso. Avant d’aborder largement ce sujet, qui est Appolinaire Compaoré dans le monde des affaires ?
Je suis dans le milieu du commerce voilà maintenant 48 ans. Au départ, j’ai vendu des tickets de loterie de 1968 à 1973, soit pendant 5 ans. A l’époque, pour un ticket vendu on avait un bénéfice de 10 francs CFA qui était équitablement réparti entre le patron et moi, soit 5 francs CFA chacun. Avec cette activité, Dieu merci, j’avais réussi à épargner 750 000 francs CFA. Après les 5 ans, j’ai fait la connaissance d’un chauffeur en service au ministère de la Santé. Ce dernier m’a conduit à la SOVOCA (Société voltaïque de crédit automobile) qui était une structure qui offrait la possibilité aux fonctionnaires d’acquérir à crédit des motocyclettes. Certains, après leur acquisition, les cédaient rapidement à des commerçants nantis contre de la liquidité, afin de résoudre leurs problèmes existentiels. Là, j’ai acheté à un travailleur de l’Etat une mobylette CAMICO AV 85 au prix de 53 000 francs CFA. Je l’ai revendue à 58 000 francs, soit un bénéfice net de 5 000 francs. Après cette bonne affaire j’ai encore acheté à un agent de l’actuel CNRST deux CAMICO à 54 000 francs CFA l’unité. Par la suite je les ai revendues à 58 000 francs chacune. En deux jours je me suis retrouvé avec 13 000 francs de gain. J’ai alors compris que c’était plus rentable que la vente des tickets de loterie. En deux mois de présence à la SOVOCA j’ai eu en tout 250 000 francs. Ajoutés à mes 750 000 j’étais, à 20 ans, riche d’un million de francs. En 1978, j’estimais mes avoirs à 30 000 000 de francs CFA. Dès lors j’ai décidé de me rendre à Lagos, au Nigéria, d’où je revenais avec les motocyclettes que je revendais ici à Ouagadougou. C’est comme ça que c’est parti.
Après donc le commerce des cyclomoteurs, quelles autres activités avez-vous embrassées plus tard ?
Quand mes affaires ont commencé à prospérer, je me suis lancé dans le transport de marchandises en créant «Burkina Transport». Je transportais du carburant et bien d’autres produits. J’ai également créé la société «Volta-Motos» devenue «Burkina-Motos» en 1984 avec le changement de nom du pays. Outre la vente de motocyclettes, je commercialisais aussi des pneus. Quand on est dans le commerce, il faut avoir une vision pour aller de l’avant. En 1990, en partenariat avec d’autres opérateurs économiques, nous avons créé «l’Union des assurances du Burkina (UAB)». Six ans plus tard, j’avais réussi à diversifier mes activités et j’ai été nommé représentant de la cigarette Marlboro en Afrique de l’Ouest. J’ai joué ce rôle pendant trois ou quatre ans. Je suis entré entre-temps dans la distribution du téléphone satellite Thuraya. En 2003, Atlantic m’a proposé de prendre des parts et c’est ainsi que j’ai accédé par la grande porte à la téléphonie mobile.
De nos jours, en dehors de ce que vous avez énuméré, à savoir Burkina-Moto, UAB, la téléphonie, à quel autre domaine touchez-vous ?
Au cours de l’année 2002 j’ai racheté la Société burkinabè d’équipement (SBE), qui fournit des congélateurs, des appareils électroménagers et tout ce qui peut équiper une maison. Avant cela, j’ai créé la Société burkinabè de distribution des produits de grande consommation (SODICOM) et une autre, la Société burkinabè d’exportation des produits de grande consommation (SOBUREX). La première vend à l’intérieur tandis que la seconde s’intéresse à l’extérieur. Toujours pour ce qui concerne mes sociétés, j’ai également créé SKI, une société pétrolière pour la distribution du carburant. Je suis aussi dans l’immobilier et, en 2004, j’ai pris 26% des actions de MTN en Côte d’Ivoire. En 2013 une troisième licence a été lancée pour ATEL-Mali à laquelle j’ai postulé avec succès.
Présentement vous-êtes exactement à la tête de combien de sociétés au Burkina Faso, et combien de personnes elles emploient ?
Je suis responsable actuellement de neuf sociétés. Le personnel se compose de salariés permanents et aussi de sous-traitants. Si je ne m’abuse, l’ensemble tourne autour du millier de personnes.
A combien peut-on estimer aujourd’hui le chiffre d’affaires d’Apollinaire Compaoré, le montant qu’il reverse à l’Etat au titre des impôts et taxes, et la masse salariale qu’en tant qu’employeur il sert à son personnel ?
L’année passée, en 2015, au Burkina j’ai fait un chiffre d’affaires de 97 milliards de francs CFA et j’ai payé en tout 22 milliards d’impôts à l’Etat burkinabè.
Pour changer de volet, pouvez-vous nous dire d’où vous êtes venu pour vous établir à Ouagadougou ?
Je suis venu de Koassa, dans le cercle de Kombissiri d’avant. Aujourd’hui, c’est une entité qui fait partie de la province du Bazèga.
Mais selon certains, vous êtes plutôt originaire de Gaongo.
Ce n’est pas tout à fait faux parce que Gaongo fait aussi partie de Kombissiri. Il est exactement à 19 km de Kombissiri.
Pourquoi avez-vous quitté le village au lieu d’y rester pour cultiver et élever comme cela se voit généralement ?
En 1965, un ami du nom de Rasmané, qui est présentement au village, et moi avons décidé d’aller en Côte-d’Ivoire. Il nous fallait forcément avoir des papiers, ce que nous n’avions pas. Pour venir à Ouagadougou, il fallait débourser 100 francs CFA. Totalement démuni, j’ai attendu que les parents se rendent au champ pour prendre un poulet qui appartenait à ma mère afin de pouvoir payer le transport Kombissiri-Ouagadougou. Dans la capitale vivait déjà un de nos frères appelé Jean-Baptiste Congo, employé à la SOCOPAO. C’est chez ce dernier que nous sommes allés demander l’hospitalité. Pour obtenir les fonds nécessaires pour l’établissement des différents papiers qu’il nous fallait pour voyager, nous avons dû cultiver la parcelle d’une femme, ensuite celle d’un monsieur. L’argent nécessaire en poche, nous sommes retournés à Kombissiri pour nous faire établir les différentes pièces administratives. J’ai fait les miennes le 17 juillet 1965. Revenu à Ouagadougou, mon ami Rasmané, lui, a pu rejoindre la Côte d’Ivoire, mais moi je suis resté. Après de petits travaux dans la construction, j’ai fini par avoir un boulot comme boy-cuisinier chez monsieur Charles Guibo (NDLR : l’animateur de notre rubrique «Les élucubrations de Toégui») qui me payait 1 500 francs CFA par mois. Après son mariage, je suis allé offrir mes services à un ingénieur télécom du nom de Paul Ouoba, aujourd’hui décédé.
Le poulet de votre mère que vous avez vendu a-t-il été remboursé plus tard ?
(Rires) Je me suis confessé auprès de ma génitrice et j’ai remboursé le poulet. Elle est venue rester chez moi à Ouagadougou pendant plus de trente ans. C’est donc le prix que j’ai payé et que je trouve d’ailleurs tout à fait normal.
Le natif de Koassa, vendeur de tickets de loterie à ses débuts, dirige aujourd’hui plusieurs sociétés et veut prendre la tête de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso. Qu’est-ce que vous avez pu faire jusque-là en faveur des petits commerçants dont vous voulez être le représentant ?
J’interviens auprès d’eux notamment à travers des conseils avisés. Cette année, à la foire africaine tenue à Paris, j’ai pris en charge le transport et le séjour de huit personnes, mais finalement ce sont cinq d’entre eux qui ont pu faire le déplacement de la capitale française. Mon souci est de permettre à mes jeunes frères commerçants de rencontrer d’autres acteurs, découvrir ce qui est fait ailleurs, afin d’acquérir des expériences qui les feront progresser.
Vous comptez beaucoup dans le monde des affaires au Burkina de par vos nombreuses entreprises. Qu’est-ce que vous avez déjà réalisé au profit des populations burkinabè ?
Je les aide comme je peux. J’ai déjà fait construire des mosquées, des églises. Depuis des années que je suis à Ouagadougou, pendant la période de soudure, j’apporte un soutien en vivres aux nécessiteux. J’ai aussi réalisé des forages et même une retenue d’eau au village.
Candidat à la présidence de la Chambre de commerce, avez-vous déjà été membre de ladite institution et à quel titre ?
Je suis à la Chambre de commerce en qualité de membre consulaire depuis 1986. J’ai aussi occupé le poste de vice-président du temps d’El hadj Oumarou Kanazoé.
Le débat présentement se mène sur les anciens et nouveaux textes régissant la structure. A votre avis, qu’est-ce qui diffère dans ces fameux textes ?
La différence peut se situer au niveau des conditions d’éligibilité et de vote. Pendant la révolution, précisément en 1986, ce sont les CDR qui nous avaient élus. Les choses ont aujourd’hui évolué. Plusieurs réformes ont été introduites dans les nouveaux statuts de la Chambre dans le but de la rendre plus représentative des milieux d’affaires, plus transparente et plus efficace. Ces réformes, au nombre de six, portent sur l’accroissement du nombre des élus consulaires, l’entrée de nouveaux acteurs au sein des instances consulaires, le déploiement de l’institution dans les régions administratives, la participation des élus à l’animation consulaire à travers la création de délégations consulaires régionales (DCR), l’instauration du principe de l’alternance et le renforcement de la démocratie au sein de l’Assemblée consulaire, l’amélioration de la gouvernance.
En évaluant la gestion de la Chambre jusque-là, qu’est-ce qui, selon vous, peut être amélioré si vous parvenez après les élections consulaires aux commandes de l’institution ?
Je ne peux nullement minimiser le travail abattu par les responsables de la Chambre avant. En toute chose il faut une vision. Pour ma part, si je venais à être élu président, je mettrais mon expérience au service des jeunes, afin qu’ils comprennent que le succès est au bout de l’effort. Il faut toujours innover. Il est nécessaire que tous les commerçants réfléchissent ensemble sur les vrais problèmes qui minent le secteur pour trouver les solutions idoines. Il faut les états généraux des affaires pour supprimer les difficultés qui entravent l’essor du commerce au Burkina Faso. Il faut forcément une réorganisation du secteur et l’accompagnement des autorités. Le commerce participe pour beaucoup au développement d’un pays ; par conséquent on doit le promouvoir afin d’amoindrir les difficultés voire les supprimer en passant en revue toutes les sections.
Vous vivez avec les commerçants de toutes catégories. Vous connaissez sans doute leurs problèmes. Ce sont lesquels ?
La principale difficulté à mon avis, c’est le manque de banques d’investissement au Burkina pour accompagner les commerçants. Toutes les banques que nous avons sont des banques commerciales qui ne peuvent pas octroyer des crédits à long terme. C’est donc d’abord un problème de financement de leurs activités que les commerçants burkinabè ont actuellement et qui constitue un véritable frein à leurs initiatives.
Quel programme proposerez-vous alors pour amoindrir ces difficultés une fois président de la Chambre de commerce ?
Je prévois la formation des acteurs, surtout des jeunes. Il n’est jamais tard pour apprendre. Pour cela il faut créer des centres de formation. Je sollicite les voix de tout le monde pour pouvoir dérouler ce programme qui se fonde, comme je l’ai déjà dit, sur l’expérience que j’ai pu acquérir dans le commerce et les affaires.
Dans une de nos précédentes éditions, en l’occurrence celle du 16 au 18 mars 2012, vous déclarez en substance que… « Pour attraper 100 rats, il faut creuser 300 trous ».
Si vous étiez président de la Chambre de commerce, combien de rats offririez-vous à cette institution ?
(Rires !) Vous avez de la suite dans les idées. Effectivement, pour avoir 100 rats, il faut creuser 300 trous. Pour vous répondre, c’est encore prématuré. Attendez que je sois élu et je vous dévoilerai mon petit secret. Soyez donc patient quelques instants !
Que pensez-vous des autres candidats qui visent comme vous la tête de cette grande maison?
Je n’ai pas un commentaire particulier à faire sur x ou y. Tous les candidats sont des acteurs du commerce et des affaires et ont le droit de vouloir proposer quelque chose d’innovant pour l’avenir du secteur dans notre pays. Ils sont tous mes frères et quel que soit celui qui sera élu, nous serons obligés de travailler ensemble pour faire avancer le pays.
D’aucuns soutiennent que ceux qui ont été aux affaires sous le régime Compaoré normalement ne doivent plus prétendre à ce poste. Quel commentaire cela vous inspire ?
Honnêtement, je pense que ceux-ci n’ont pas poussé loin leur réflexion. Si quelqu’un est choisi pour être à la tête de l’institution, c’est sûrement sur la base de son expérience et de la confiance placée en lui. Qui que tu sois, si tu es un opérateur économique, tu ne peux pas vouer aux gémonies les premiers responsables du pays où tu exerces et pouvoir prospérer. Ceux qui disent cela doivent se convaincre d’une chose dans leur quête de la présidence de la Chambre de commerce : la probité et la sincérité. Rien d’autre !
Si vous êtes élu, quelles seront vos attentes vis-à-vis des autorités pour réussir votre mission.
On ne peut que solliciter leur accompagnement. S’il faut voter des lois pour améliorer le fonctionnement du secteur du commerce et des affaires, qu’ils le fassent. Dans un pays on ne saurait évoluer sans la collaboration avec les premiers responsables.
Les différents candidats à ce qu’on dit sont adossés chacun à quelqu’un d’influent au sommet de l’Etat. Appolinaire Compaoré est le candidat de quel poids lourd ?
Je suis le candidat de tout le monde parce que j’entends aider tout le Burkina Faso à travers mon expérience dans le commerce et les affaires. En 2013 j’avais déjà voulu le faire en posant ma candidature pour la même cause. Malheureusement, je n’ai pas été élu. Je reviens cette fois-ci encore avec la même détermination.
Avez-vous la conviction que cette fois sera la bonne ?
Je suis un croyant. Quant tu crois en Dieu, les difficultés de la vie ne peuvent nullement t’ébranler. Je vous ai déjà signifié pourquoi je cherche à diriger la Chambre de commerce du Burkina. Personnellement, là où je suis aujourd’hui, je peux dire que j’ai eu de la chance. J’ai eu de gros ennuis dans mon existence qui se sont résorbés par la grâce de Dieu. J’estime qu’avec le capital d’expérience acquis je ne dois pas tout garder pour moi seul. C’est pourquoi je tiens à le partager avec mes jeunes frères. Un exemple : quand Pelé au Brésil jouait encore, son pays a remporté plusieurs coupes du monde. Depuis, les choses ont changé, à tel point qu’en 2014, lors de la compétition mondiale, les Allemands ont humilité les Brésiliens dans leur propre pays (7-1). La vie est ainsi faite. Il faut savoir tout mettre en synergie pour aboutir à des bons résultats. Mon souhait est donc que tous mes frères soient un jour comme moi et même plus que moi.
Quelle est la situation matrimoniale d’Appolinaire Compaoré ?
Je suis marié sous le régime de la monogamie et père de sept enfants.
Ces enfants sont-ils dans le commerce comme leur père où évoluent-ils dans d’autres secteurs ?
Certains effectivement ont emboîté mes pas, mais d’autres poursuivent toujours les études.
Mais ces derniers vont-ils à la fin de leur cursus venir dans le commerce et les affaires comme vous ?
S’ils optent plus tard de faire comme moi, je n’y trouve aucun inconvénient. Mon premier garçon, à la fin de ses études, a choisi de se lancer dans le commerce. Il s’y investit et je constate que ça lui réussit assez bien.
Quel message avez-vous à l’endroit des Burkinabè en général ?
Je demande ardemment aux Burkinabè de s’entendre et d’accepter se pardonner. Dieu nous a jusque-là secourus. Nous n’avons pas de problèmes ethniques ou religieux entre nous. Il faut donc faire preuve d’indulgence les uns envers les autres, car Dieu est avec ceux qui pardonnent. Que Dieu nous pardonne et favorise l’union entre les fils et filles du Burkina afin que la réconciliation tant prônée soit une réalité tangible.
Propos recueillis par
Evariste Ouédraogo