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Orientation des filles vers les filières scientifiques
Publié le mardi 11 octobre 2016  |  Sidwaya




La session normale du Baccalauréat 2016 a enregistré 26 356 filles sur 71 712 candidats. Parmi elles, 10 704 se présentaient au Bac D et 21 au Bac C. Ces chiffres dénotent la relative faible orientation de la gent féminine vers les filières où les disciplines des sciences exactes, expérimentales et appliquées ont un fort coefficient. Les acteurs du monde éducatif expliquent cet état de fait par des raisons sociales, pédagogiques et politiques...

Les garçons en classe de terminale C du Collège Jean-Baptiste de La Salle sont mis au défi. Les filles comptent placer la barre haute. En cette fin de matinée du jeudi 29 septembre 2016, dans la cour de récréation de cet établissement, Claudia Malgoubri et Melika Vodounhessi, élèves en Tle C, tentent de justifier leur vocation scientifique par la volonté de démontrer que « les filles peuvent réussir en C autant que les garçons ». Cela est donc un challenge pour elles. « Une fille en série C, c’est un peu exceptionnel, et même rare », reconnaît Mlle Vodounhessi. Pourtant, assure-t-elle, c’est tout aussi naturel que le simple fait d’aller à l’école de nos jours. Seulement, la perception sociale tend à laisser croire que la question n’est pas aussi simple que la jeune adolescente l’affirme. L’étudiante, Pricille Sébogo, inscrite en 2ème année de licence en ingénierie-statistiques à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki Zerbo se souvient à ce titre, de ses années de lycée. « A chaque fois que mes copines et moi passions dans la cour du lycée, on suscitait l’admiration des autres élèves », se rappelle-t-elle. Ces regards particuliers de leurs camarades traduisaient sans doute le caractère inédit de ces filles en série C (série scientifique). Car cela relevait de l’exploit. Comme pour dire que les disciplines scientifiques ne sont pas l’affaire des femmes. Ce que les chiffres du Bac 2016 tendent de corroborer. Pour 26 356 candidates, 10 704 se présentaient au Bac D et seulement 21 filles ont composé les épreuves de la série C. Dans une communication qu’elle a présentée en juin 2015, à l’initiative de l’ONG Forum pour l’éducation des femmes en Afrique (FAWE), la Directrice de la promotion de l’éducation inclusive des filles et du genre (DPEFG), Rasmata Ouédraogo, a relevé le faible taux d’orientation de la gent féminine vers les séries scientifiques au Burkina Faso. Actuellement dans les lycées, elle a identifié les classes de séries C et D. Au niveau supérieur, il s’agit des filières de sciences exactes, appliquées et expérimentales.

La faute à la société…

De l’avis de Mme Ouédraogo, plusieurs facteurs socio-psychologiques et pédagogiques expliquent la faible présence des filles dans ces disciplines. L’image de la femme, fortement liée au mariage, la sexualité, le manque d’intérêt et de confiance en soi, sont autant de handicaps qu’elle a identifiés comme plombant l’éducation scientifique des filles. Mais, c’est surtout le langage employé dans les disciplines scientifiques qui rebute et crée un blocage pour les apprenants, détaille pour sa part, l’enseignante-chercheuse en biochimie à l’UO, Dr Monique Brigitte Ouattara. « Le jargon de ces disciplines est fait de codes et de raisonnements complexes qui nécessitent que l’élève prenne du temps pour comprendre et s’y familiariser avant de parvenir à les utiliser correctement», note-t-elle. Rapporté à la femme, le fait qu’elle soit partagée entre vie sociale (tâches ménagères) et vie scolaire, ce temps d’apprentissage peut faire défaut, relève l’universitaire. Et c’est là toute la problématique de la « scientificité » de la gent féminine. « Faut-il que je renonce à ma féminité, à me faire belle, parce qu’il y a les maths » ? S’interroge Dr. Ouattara. Pricille Sébogo avait, elle, trouvé une sorte de parade. « Je m’étais coupé les cheveux pour éviter les soucis de leur entretien », avoue-t-elle. Au demeurant, la jeune étudiante de 20 ans déclare n’avoir relevé aucun handicap inhérent à sa qualité de femme tout au long de son parcours de lycéenne dans une série scientifique. A l’écouter, tout réside dans la confiance en soi, l’amour pour les sciences et la volonté d’aller chercher la connaissance. En somme, une question de vocation et d’engagement personnel. Une conviction que partage absolument Mme Ouédraogo, la directrice en charge de la promotion de l’éducation des filles. Cette dernière résume la réussite des filles à leur seuil de leadership : avoir une bonne estime de sa personne et une confiance indéfectible en ses potentialités. « Mais, l’environnement socioculturel est tel que la fille pense qu’elle n’est pas faite pour les filières scientifiques », déplore-t-elle. Elle s’attaque, notamment, aux stéréotypes sociaux qui prédestinent la fille à la gestion du foyer. Ce sont les principales causes de leur mésestime de soi et qui les amènent à développer un complexe d’infériorité. « Si dans l’éducation de la fille, on lui fait comprendre qu’elle n’a pas la capacité de tenir devant les difficultés et qu’il faut la protéger comme un œuf, on crée les conditions pour qu’elle n’ait pas confiance en elle-même », se désole le professeur des Sciences de la vie et de la terre (SVT) au lycée Philippe-Zinda-Kaboré, Bassolma Bazié.

Démythifier la science

Au-delà des clichés sociaux, les conditions globales d’apprentissage ressortent comme des facteurs décourageant les filles à faire le choix de se former dans les disciplines scientifiques. Mais surtout, l’orientation dans les matières scientifiques dépend aussi de ceux qui enseignent ces disciplines. Sur ce point, Bassolma Bazié pointe d’un doigt accusateur les méthodes de ses collègues encadreurs. Il se plaint, entre autres, du mystère dont certains enseignants entourent les maths, la Physique-chimie (PC) et même les SVT, allant jusqu’à corser sciemment les devoirs pour qu’ils ne soient pas à la portée des élèves. « Je suis enseignant et je trouve dommage que sur 60 copies par exemple, on se retrouve avec peu de moyennes, souvent même pas. Je n’appelle pas cela de la pédagogie », dénonce-t-il. Les enfants peuvent avoir de l’engouement pour une matière ou être rebutés en fonction du comportement de l’enseignant. Ces comportements pénalisent assurément encore plus les filles qui ont tendance à rester un peu timorées en classe, à en croire le professeur de mathématiques au lycée Bogodogo, Philippe Sylla, du haut de ses 10 ans d’expériences dans l’enseignement. « Pendant les cours, les filles sont timides en grande majorité ; ce qui fait qu’on ne peut pas déceler rapidement leurs difficultés », commente-t-il. Et le fait de couver les lacunes conforte davantage l’autre moitié du ciel à croire aux idées reçues présentant les filières scientifiques comme « essentiellement masculines », analyse le professeur de maths. Par ailleurs, le choix politique qui décide de la stratégie éducative en vigueur est décrié par les acteurs du domaine. M. Bazié trouve par exemple que la méthode consistant à « bourrer la tête des enfants depuis le primaire jusqu’à l’université de multiples connaissances variées », est inefficace. « Demander à un enfant de 3e de déterminer des cosinus et autres tangentes ne peut servir qu’à fatiguer son cerveau », avance-t-il.

Des actions pour l’excellence scientifique des filles

Face à tant d’embûches sur le chemin de l’éducation scientifique des filles, les propositions foisonnent et certaines initiatives sont entreprises. Deux structures de femmes scientifiques dont l’Association des femmes scientifiques du Faso pour la promotion de l’éducation scientifique et technologique des femmes (FESCIFA/PRESCITEF) ont par exemple vu le jour avec pour mission de susciter la vocation scientifique chez des filles. Selon la présidente du FESCIFA/PRESCITEF, Dr Monique Ouattara, les filles qui s’orientent dans les séries scientifiques bénéficient chaque année de leur appui avec des cours de soutien pour développer leurs capacités. « Nous avions entrepris également d’organiser des camps de renforcement de compétences à l’intention des filles scientifiques pendant les vacances. Mais faute de soutien, nous avons dû abandonner », regrette-t-elle. L’ONG FAWE participe également à créer des émules au sein de la gent féminine, notamment, à travers son concours d’excellence annuelle dans les matières scientifiques. Pricille Sébogo, aura été stimulée en cela. En effet, la jeune étudiante rapporte qu’elle a été lauréate des premiers prix FAWE en maths, PC, et SVT quand elle était en classe de 3e. « C’est vrai que mon choix était déjà fait de m’orienter en 2nde C, mais le fait d’avoir reçu ces récompenses m’a encouragée encore plus », confie-t-elle. En marge de ces actions citoyennes, l’Etat aussi développe des initiatives visant à motiver davantage de filles à aller vers les sciences exactes, expérimentales ou appliquées, si l’on en croit la direction générale de promotion de l’éducation inclusive, des filles et du genre. Rasmata Ouédraogo, la directrice du département envisage, entre autres, une bourse d’excellence scientifique à octroyer aux filles dès le collège. « L’Etat accorde même déjà systématiquement une bourse à la vocation scientifique à tout lauréat du Bac C sans considération de moyenne », se réjouit-elle. Mme Ouédraogo annonce en outre des activités de sensibilisation avec la création, à partir de cette rentrée scolaire, de « club Denkan », une sorte de groupes d’élèves organisés autour de personnes de ressources pour des discussions thématiques. En sus de ces actions incitatives, d’autres voix suggèrent que les garants des valeurs coutumières et religieuses assument leur rôle d’impacter positivement les politiques socio-éducatives. Mais en définitive, toutes les voix s’accordent pour dire qu’il revient d’abord aux filles, sur le plan individuel, d’affirmer leurs potentialités. En cela, les références sont légion. L’exemple patent étant l’excellence nationale de Hildaa Paré. « Avec 17,75 de moyenne au Bac 2016, série D, cette jeune fille est un modèle de volonté, de persévérance et d’environnement familial favorable », résume Mme Ouédraogo.

Fabé Mamadou OUATTARA
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