La poursuite engagée par le ministère burkinabè de la Défense contre l’ex-Premier ministre de la transition, le général Isaac Zida, pour "désertion en temps de paix, est une mise en scène", selon le responsable du Cadre d’expression démocratique (CED), Pascal Zaïda, dans une interview à ALERTE INFO.
Un an après le coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015, quelle est votre appréciation sur le traitement du dossier ?
Sur le dossier du putsch il faut admettre qu’il y a un sérieux problème au Burkina parce que le coup d’Etat manqué est un dossier d’Etat qui engage la responsabilité nationale au plan institutionnel, politique, économique et social. Nous ne pouvons pas imaginer qu’un an après il n’y a rien eu par rapport à cette affaire judiciaire. Pour notre part, nous avons toujours demandé qu’il y ait un jugement le plus tôt possible du général Gilbert Diendéré (auteur du putsch), afin que les responsabilités soient situées. Il l’a dit au passage avant son incarcération que : "J’assume la responsabilité politique". Cela laisse entrevoir des complicités. Donc nous voulons que la vérité soit dite par rapport à ce dossier. Est-ce le général Diendéré qui a effectivement mené ce coup d’Etat (ayant causé 15 morts) ou bien il y a d’autres personnes tapis dans l’ombre.
Vous savez aussi que le Régiment de sécurité présidentiel (ex-RSP) tentaient d’affronter les inciviques (soldats loyalistes). Devant le Moro Naaba (chef suprême des Mossé) il y a eu des accords qui ont été signés mais qui n’ont jamais été respectés. A qui la faute ? On avait garanti aux deux camps qu’il n’y aurait pas de la chasse à l’homme. Qui a trahi le pacte. Nous voulons la vérité par rapport à ça. Dans l’armée il y a la hiérarchie. Aucun ordre n’a été donné et des gens ont pris des armes dans des casernes. Il faut que ces gens-là soient traduits en conseil de discipline et sanctionnés.
Est-ce que vous insinuez qu’il y a des innocents qui sont emprisonnés dans cette affaire ?
Il y a des innocents qu’on a emprisonnés pour rien parce qu’on les accuse d’avoir voulu brûlé des maisons de certaines autorités (dont l’actuel président de l’Assemblée nationale Salif Diallo). Pendant ce temps il y a des gens qui ont brûlé des maisons lors de l’insurrection populaire (des 30 et 31 octobre 2014) mais qui n’ont pas été entendus pour quoi que ce soit.
Si vous prenez l’affaire des écoutes téléphoniques (présumées) impliquant le général Djibrill Bassolé et (le président de l’Assemblée nationale ivoirienne) Guillaume Soro, c’est un faux dossier. Sur cette affaire le général Diendéré a dit qu’il (Bassolé) n’est mêlé ni de près ni de loin à ça. On a seulement peur de lui. Or, Bassolé, Roch Kaboré (chef de l’Etat), Salif Diallo, Simon Compaoré (ministre de la Sécurité intérieure) et le général Diendéré sont des amis et ont géré le pouvoir avec (l’ex-président) Blaise Compaoré durant ses 27 ans de règne.
Donc le président Roch Kaboré a intérêt à libérer Djibrill Bassolé pour qu’il l’aide à gérer le pays. Pour moi, je le réaffirme, l’insurrection populaire a été un coup d’Etat à la démocratie. Tenez, rien que le dossier Hermann Yaméogo, le juge d’instruction a vidé le dossier. Le commissaire du gouvernement (Alioune Zanré) qui a été nommé par le président (Roch Kaboré), par ailleurs ministre de la Défense noie le dossier. Alioune Zanré ne rend compte qu’au président Kaboré et à Salif Diallo. Nous disons que nous sommes jeunes mais disons que le trio Roch Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré (RSS) doit arrêter de manipuler les gens et aller vers une réconciliation véritable. Nous avons tout simplement dit de juger le général Diendéré et on verra. Quant au dossier Bassolé, c’est de la politique politicienne.
Qu’avez-vous à dire sur la commémoration du putsch qui a tourné au vinaigre au cimetière de Gounghin, quartier populaire dans le centre-ouest de Ouagadougou ?
Le cafoulmayé (scène rocambolesque) auquel on a assisté au cimetière le jour de la commémoration de l’an I, répond à une seule logique qui est l’incivisme politique. Je pense que ce qui s’est passé, c’est au pouvoir d’assumer. Vous savez, moi je ne crois pas à ce pouvoir parce que, comme je l’évoquais tantôt, il se base sur la démagogie et la manipulation. Donc cela ne m’a pas surpris.
Etes-vous d’accord avec les victimes qui s’estiment négligées ?
Sur cette question je m’excuse d’être direct parce que j’ai l’impression que certains ont amené leurs parents dans les rues et après demandé qu’on les dédommage. Dans nos sociétés traditionnelles cela n’est pas bien. En vertu de quoi dois-je aller me plaindre que je veux de l’argent parce que mon frère est décédé ou blessé à l’issue d’un mouvement populaire. Mais comme nous sommes dans un Etat où le mensonge est monnaie courante, c’est pour cela je me garde souvent de m’exprimer sur cette question.
Comprenez-vous le report du congrès du parti de Compaoré CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès) ?
Sur cette affaire je dirai que les responsables du CDP sont des peureux. Ils n’arrivent pas à s’assumer, or une responsabilité s’assume quelles qu’en soient les conséquences. Qui au Burkina peut empêcher un parti comme le CDP à tenir son congrès. Ils n’ont qu’à apprendre à se battre. On noie le parti, on l’accuse de tout et de rien mais ses responsables ne disent rien.
L’ex-Premier ministre Luc Adolphe Tiao, est détenu à la Maison d’arrêts et de correction de Ouagadougou (MACO) dans le cadre du dossier de l’insurrection populaire. Quelle lecture faites-vous de cette détention ?
Ce ne sont que des militants du Mouvement du Peuple pour Progrès (MPP) et certaines personnes de la courte échelle qui s’en réjouissent et applaudissent cette détention arbitraire de Luc Adolphe Tiao. Alors on reproche à (M. Tiao) de façon officieuse comme nous l’avons vu circuler à travers les réseaux sociaux comme quoi il avait signé une réquisition pour qu’on tire sur les (manifestants) des 30 et 31 octobre 2014. J’évite souvent de me prononcer sur les dossiers officieux. Sinon pour une question de droit de l’homme c’est normal que le Premier ministre (Luc Tiao) signe une réquisition pour le maintien de l’ordre quand il y a des manifestations.
Maintenant qui a donné l’ordre pendant les évènements de tirer sur les manifestants, ça, c’est une autre question. Evitons souvent de faire des amalgames. En résumé, les conditions de détention, les droits de l’homme sont bafoués au Burkina. Ce que je dénonce c’est que les autorités quand elles sont aux affaires, elles ne cherchent pas à résoudre les questions de droits de l’homme dont l’amélioration des conditions de détention jusqu’à ce qu'elles-mêmes soient confrontées à ces dures réalités.
Que pensez-vous de la poursuite du général Isaac Zida pour désertion en temps de paix ?
C’est une mise en scène. N’eut été Zida, Roch Kaboré n’allais jamais être président au Burkina. C’est Zida sous l’impulsion de l’aile politique qui a réussi à exclure les gens. M. Kaboré doit beaucoup de chose à Zida. On nous a dit que le président a demandé qu’on émette un mandat contre Zida pendant qu’en même temps on veut parler de l’indépendance de la justice. Vous savez la réelle politique c’est la trahison et c’est ce à quoi on assiste. Le trio a trahi Blaise Compaoré, trahi également la transition. Le fond c’est ce que je vous ai dit, ce que nous vivons c’est la forme. Et dans ça il y a des notabilités coutumières et religieuses qui ne disent rien sinon même cautionnent cet état de fait. Vraiment je m’insurge contre cela.
Pourquoi votre Organisation a fait de la réconciliation nationale son cheval de bataille après les troubles de 2014 et 2015 ?
Au niveau politique il y a un problème. Au niveau économique ça ne va pas. Au niveau social entre le CED et les Organisations de la Société civile (OSC) pro-Zida (mouvements soupçonnés d’être proches de l’ex-Premier Yacouba Isaac Zida), ou pro-MPP, c’est la guerre. Aujourd’hui on a besoin que le trio RSS (Roch Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré) fasse son autocritique. Ce pays a besoin de tous ses fils. Ce que nous sommes en train de vivre depuis deux ans, nous n’avons pas vécu ça durant les soixante dernières années. Il faut que le pouvoir réunisse les gens au lieu de les diviser pour une vraie relance socio-économique du pays.
BBO