Loi de finances rectificative, Plan national de développement économique et social (PNDES) : voici le plan Marshall du Président Roch Marc Christian Kaboré pour relancer l’économie burkinabè. Mais selon le Dr en économie Yacouba Gnègnè, membre de l’UPC, toutes ces mesures ne sont qu’un coup d’épée dans l’eau.
« Il y a besoin de bazookas et de lance-roquettes multitubes pour impulser une nouvelle dynamique économique, mais le constat est que le gouvernement se bat avec des lance-pierres et des machettes. »
Tout le monde est d’accord pour dire que les dirigeants actuels du Burkina Faso héritent de problèmes si nombreux et si difficiles qu’ils ne peuvent être résolus en quelques mois ou années du mandat. En revanche, il est déjà possible d’apprécier si notre pays se dote de la bonne stratégie et des armes nécessaires pour ne pas perdre la guerre contre le chômage, la pauvreté, les inégalités, et donner de l’espoir à notre jeunesse. A ce jour, aucun véritable plan concret pour l’économie n’est en exécution : ni le budget révisé deux fois, ni le Plan national de développement économique et social (PNDES), adopté en juillet par le gouvernement, ne sont de nature à rassurer sur la rupture attendue. N’ayons pas peur des mots, tant les enjeux pour notre devenir sont importants.
Le coût des « retards » : une année 2016 globalement perdue pour le Président, des milliers d’emplois manqués et des conséquences sociales désastreuses
Il y a en politique économique ce qu’on appelle les « décalages ». C’est l’idée qu’entre le moment où un problème apparaît, et l’adoption d’une mesure de politique économique, jusqu’à l’apparition des effets réels de cette mesure, il y a souvent un décalage. Ce décalage, ou temps perdu, a des coûts en matière de croissance. De tels retards sont plus fréquents et plus longs dans des économies en développement comme la nôtre. Pire, ils ont été amplifiés par le « démarrage diesel », le manque d’anticipation et les errements de l’administration Roch. Or, le Président Kaboré se savait élu depuis le 30 novembre 2015.
Certaines personnes cherchent à excuser ce « démarrage diesel ». Mais pour des milliers de Burkinabè ordinaires et des chefs d’entreprise, ces retards ont une signification concrète : plus de 8 mois sans salaire et des conséquences désastreuses pour leurs familles. On ne rattrapera pas les souffrances sociales ainsi occasionnées. Et on entend dire que le budget de l’Etat, gestion 2016, malgré déjà 2 révisons, n’est pas vraiment celui de Roch et qu’il faudrait attendre 2017. C’est à se demander si le candidat Roch Kaboré ne savait pas de quel pays il allait hériter s’il était élu. Le FMI note d’ailleurs que la formation retardée du gouvernement a causé une faible exécution du budget d’investissement et affecté les perspectives économiques pour 2016.
Le miracle n’arrivera pas
On demande aux Burkinabè la patience et on leur promet le miracle Roch pour demain. Mais le père de la macroéconomie moderne, John Maynard Keynes, nous apprend que pareille promesse n’engage que ceux qui ont la patience de l’attendre, car dit-il : à long terme nous serons tous morts. Combien de Burkinabè ont-ils déjà été rappelés à Dieu depuis le 28 novembre 2015 ? Bien souvent, tout simplement parce qu’ils sont pauvres.
Les Burkinabè observent aussi que les promesses de juger le coup d’Etat du général Diendéré, l’affaire Soro, les crimes économiques et de sang, Blaise Compaoré, etc., tardent à se matérialiser. Ils se posent des questions. Pourquoi en serait-il autrement de la promesse de nous sortir du chômage endémique des jeunes ?
Toutes les personnalités indépendantes burkinabè et étrangères qui sont dans le secret du fonctionnement de l’Etat constatent qu’aucun plan sérieux n’a été préparé pour notre pays. Selon les projections du FMI, la croissance moyenne sur 2016-2020 sera d’ailleurs inférieure à celle des années Blaise Compaoré.
La Loi de finances 2016, deux fois rectifiée, manque malgré tout de rectifier le tir alors qu’elle affiche un déficit de près de 660 milliards de F CFA.
En 2014 comme en 2015, la croissance du PIB a été de 4%, contre une progression démographique d’environ 3% l’an. Face à cette quasi-stagnation de la croissance nette et à la forte demande sociale, une politique économique vigoureuse s’impose. Il faut des bazookas et des lance-roquettes multitubes pour impulser une nouvelle dynamique économique. Mais force est de constater que le gouvernement se bat avec des lance-pierres et des machettes.
La première révision du budget de l’Etat 2016 était une occasion unique de reprendre vigoureusement les choses en main en matière économique. Mais du fait de l’impréparation, le Président Roch n’avait rien de propre à proposer et, pour l’essentiel, s’est contenté de mesures de surface. On peut saluer la volonté d’accroître les recettes fiscales et de régler les arriérés de paiement ainsi que les engagements salariaux de l’État. Cependant, tout le monde peut voir ici qu’il s’agit plutôt de donner suite à ce que la Transition a initié, y compris pour les nouveaux impôts. Le gouvernement reste incapable de fixer les priorités pour le pays. Malgré ses deux révisions, le budget de plus de 1945 milliards de francs CFA ne prévoit aucun plan d’urgence de grande envergure pour la relance économique. Dans le même temps, alors que la communication gouvernementale a embrouillé l’opinion publique en parlant de budget équilibré (ce qui, en soi, soulève des questions), la réalité est qu’il consacre plutôt un déficit de près de 660 milliards de F CFA financé par des dons et des emprunts. On peut cependant saluer le travail des techniciens du budget qui ont eu le souci de faire respecter certains principes budgétaires comme la règle d’or qui veut que la dette ne finance pas des dépenses courantes.
Pas le moindre signe de renouveau économique
Dans la Loi de finances 2016, vous rechercherez en vain le moindre signe de renouveau de la politique économique que prétend apporter la nouvelle équipe dirigeante. L’adoption des nouveaux impôts était déjà amorcée dans la loi de finances présentée par le gouvernement de la transition en décembre 2015. Fait notable, le budget voit la part de l’investissement baisser davantage (37% du budget, contre 38% sous la Transition, 47% en 2014 et 49% en 2013). Les fonctions de stabilisation et de production de l’Etat en pâtissent. C’est un problème structurel de notre budget, et il n’y a aucun changement. Au contraire, c’est un recul.
Ce ne sont pourtant pas les défis qui manquent. Par exemple, la situation de notre secteur agricole devient plus qu’urgente. Quand on a la majorité de sa population qui est agricole, alors que tout le secteur primaire ne représente qu’à peine le tiers de l’économie, il y a clairement un problème de productivité. Le secteur primaire est celui qui participe le moins à la croissance de l’économie burkinabè, avec une contribution d’ailleurs négative en 2015.
Des efforts qui restent insuffisants
L’effort fait par le gouvernement pour apurer les arriérés de paiement est à saluer en soi. Cela devrait fluidifier les circuits économiques. Les revenus supplémentaires pour les fonctionnaires résultant de la Loi 081 auront le même impact. Mais tout cela risque de produire simplement un effet de perfusion. Et surtout, les agents économiques sont gagnés par un sentiment d’incertitude renforcé par le manque de lisibilité de l’action gouvernementale. Cela encourage l’attentisme et un comportement d’épargne de précaution, ce qui limite le retour à une croissance élevée.
Aujourd’hui dans le monde, les pays qui sortent efficacement de la crise sont ceux qui ont le courage d’engager des politiques hétérodoxes et des dépenses productives importantes en soutien à la croissance. Ceux qui manquent de réactivité sont dans une longue léthargie et le chômage endémique.
En l’absence de politique monétaire et de change, l’instrument budgétaire doit être employé de façon optimale
Une des idées importantes en politique macroéconomique est le multiplicateur budgétaire keynésien, qui date de 1930. En vertu de cette théorie, chaque franc CFA dépensé dans notre pays crée une longue chaîne d’autres dépenses avec un effet d’entraînement sur le reste de l’économie. C’est avec le multiplicateur budgétaire que le rôle économique de l’Etat a été reconnu. Dans les pays en développement, ce rôle est encore plus important.
De surcroît, le Burkina Faso partage une monnaie commune avec huit autres pays. Il ne peut donc pas avoir une politique monétaire et de change autonome. Dans ces conditions, ne pas utiliser l’instrument budgétaire efficacement, c’est se faire hara-kiri en politique économique, ce d’autant que l’inflation est trop faible (-0,3 en 2014 ; 0,9 en 2015 ; chiffres du ministère en charge de l’Economie), ce qui déprime la croissance et contribue à des taux d’intérêt réels élevés. A cela il faut ajouter le fait que les pays de l’UEMOA ne pratiquent pas le fédéralisme budgétaire. Du coup, l’utilisation optimale du budget est plus que cruciale pour la croissance de long terme.
S’attaquer aux problèmes structurels
Outre cela, nous avons une financiarisation faible de notre économie. Le système bancaire est sous-productif, ce qui explique que les Burkinabè perdent beaucoup de temps dans les banques, avec des problèmes importants d’information sur les clients. Les taux d’intérêt sont à la fois beaucoup trop élevés et rigides. Le secteur est aussi dominé par quelques grandes banques et gros clients. Ce sont des problèmes structurels à traiter. En clair, dans l’immédiat on ne peut pas compter sur notre système financier pour soutenir l’économie à travers une hausse de la demande pour les biens et services. Le financement bancaire a d’ailleurs fortement chuté depuis l’insurrection. Nous ne pouvons pas non plus attendre trop de nos exportations en raison des faiblesses actuelles sur les marchés et dans la plupart des grandes économies. Dans ces conditions, le retour rapide à une croissance plus élevée ne peut venir que de l’action gouvernementale en vue d’enclencher une forte mobilisation du secteur privé.
Si on a peur des déficits et de la dette, il faut mettre l’accent sur la croissance et non sur de nouveaux impôts.
Il y a un besoin d’élargir l’assiette des impôts et de relever la pression fiscale que personne ne conteste. Mais on peut s’interroger sur l’opportunité de mettre en place les nouveaux impôts maintenant. Alors que nous sommes dans un contexte difficile, ces nouveaux impôts vont plutôt davantage réduire l’investissement et la consommation privés et freiner la relance. Les agents économiques pourraient aussi ne pas être accommodants avec les nouveaux impôts, à l’instar de la société Brakina qui a décidé de ne pas répercuter la hausse des taux sur le consommateur final mais plutôt sur son résultat net. Les recettes additionnelles escomptées risquent donc de ne pas se matérialiser.
Si on veut réduire les déficits et la dette, il est plus efficace de relancer la croissance durablement. Et si c’était vraiment la réduction des déficits qui intéressait le gouvernement, il aurait été plus efficace pour lui d’agir sur la réduction des dépenses non prioritaires. Si malgré tout on tient à mettre les nouveaux impôts en place dès aujourd’hui au lieu d’attendre que la croissance soit au moins bien répartie, le supplément de recettes devra servir à stimuler l’économie, plutôt qu’à réduire les déficits et à trop s’inquiéter de la dette. Dans l’immédiat, le Burkina Faso a surtout un problème de croissance insuffisante pour faciliter l’amélioration du niveau de vie et la maîtrise de la dette. En 2015, le taux d’endettement était estimé à 32,2% du PIB, contre par exemple 39% au Mali, 49% au Togo, 52% en Côte d’Ivoire, 76% au Ghana, 116% au Cap-Vert… Le plus important, c’est d’avoir une croissance plus forte, ce qui favorise la maîtrise du taux d’endettement, voire sa baisse. Au lieu de mettre en place ces nouveaux impôts aujourd’hui, il eût été plus judicieux d’engager une politique de mobilisation de l’épargne et de développement financier. Une autre urgence est de casser les situations de rente et de mener une guerre sans merci contre l’évasion fiscale et tous ceux qui ont pillé les Burkinabè depuis des décennies. Il y a là aussi beaucoup de milliards à récupérer. Plus généralement, en plus des politiques de soutien à la demande globale, il conviendrait d’insister sur des politiques proactives visant le côté « offre » de notre économie. Cela permettrait d’accroître le potentiel de production sérieusement menacé par les dysfonctionnements dans la santé, l’éducation, les administrations, le système financier, les infrastructures, etc.
La démocratie économique sera difficilement une réalité avec des politiques macroéconomiques rétives.
L’administration Roch ne peut pas tomber dans l’excès de prudence parce qu’elle n’a pas une vision claire de la façon de piloter la relance de l’économie. Ce sont des trimestres, voire des années, de croissance qui sont ainsi gaspillés. Le Burkina Faso a pourtant des raisons de s’enorgueillir : depuis 1960, la tendance du taux d’investissement au Burkina Faso est positive. En particulier depuis 2001 (14% du PIB), l’investissement a augmenté rapidement, dépassant largement la moyenne mondiale (22%) et s’établissant à 33% du PIB en 2013. Comme résultat, c’est le seul pays de l’UEMOA qui a vu son PIB par habitant (à prix constants) doubler entre 1960 et 2015. Il a même presque triplé, alors qu’il était le plus faible à l’époque. En 1960, le revenu ivoirien par tête était plus de 5 fois supérieur à celui du Burkina Faso. En 2015, cet écart a été réduit à environ 2,5. Ces acquis sont désormais menacés. Depuis l’insurrection, l’investissement public, qui était de 14% du PIB en 2013, a chuté de moitié, et ce que propose le gouvernement n’est pas rassurant.
Le PNDES est symptomatique des difficultés de l’administration Roch à opérationnaliser le développement.
Certains objecteront qu’il y a le PNDES. La réalité est que le PNDES est plutôt une tentative de rapprocher les 2 documents phares de la politique de développement des années Blaise Compaoré : la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD) (adoptée en 2010 et notamment la SCADD 2e cycle) et la Politique nationale de développement durable (PNDD) (élaborée en 2013 et qui trouvait difficilement sa place face à la SCADD). On a ensuite cherché à prendre en compte le programme du candidat Roch Kaboré. Le fait reste que le PNDES est basé, dans sa vision et sa démarche, principalement sur le deuxième cycle de la SCADD commencé sous Blaise Compaoré. C’est une tentative dans la précipitation de faire du neuf avec de l’ancien, afin de combler le manque d’un plan opérationnel de développement propre au vainqueur de l’élection présidentielle de novembre 2015. Du coup, tant dans ses ambitions que dans sa rigueur, le PNDES est en deçà des documents de stratégie qui l’ont précédé (SCADD, CSLP, etc.). Par ailleurs, on peut légitimement se poser la question de son appropriation par le Président Kaboré, et de la vision que ce dernier y apporte. Nombre d’experts burkinabè invités et les partenaires extérieurs ont même émis de sérieuses réserves. Et comme la plupart des réformes, le PNDES risque de souffrir lors de sa mise en œuvre. Il est annoncé pour 2016-2020, alors que les financements ne sont pas prêts et que les problèmes de capacité d’absorption, de priorisation et de corruption demeurent réels. Le Premier ministre a annoncé une réunion des bailleurs de fonds pour décembre 2016. Même après cette date, ce processus restera long et incertain. Le PNDES lui-même anticipe que la rationalisation des projets et programmes d’investissement prendra du temps. Ce n’est pas pour rien que le Président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo, commence à s’inquiéter des orientations économiques de l’exécutif et se risque à des propositions hasardeuses.
Telles que les choses se présentent, il n’y aura pas de miracle. Les Burkinabè le constateront à l’heure du bilan en 2020 : le chômage s’amplifiera sous le double effet d’une croissance insuffisante et de la pression démographique. Nous allons vers une aggravation de la crise systémique. Notre jeunesse sera encore plus désœuvrée. J’entendais encore l’autre jour des cris venant du fond du cœur de certains étudiants qui s’exprimaient sur le chaos dans nos universités.
Yacouba Gnègnè
Docteur en économie, membre de l’Union
pour le Progrès et le Changement (UPC).
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur