Au cours de l’année scolaire 2015-2016 (1) les taux de succès aux examens étaient de 29,41% pour le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) ; et de 39,59% pour le baccalauréat. La tendance est à la baisse selon les autorités en charge de l’Education. C’est donc avec des performances en chute que l’on est en droit de se demander ce que font les élèves à l’école. Ces données ne sont certainement pas un fait du hasard car l’école n’est plus seulement un creuset du savoir mais est en train d’être gagnée par des pratiques malsaines. En effet, il n’est pas rare de voir dans nos cours des élèves s’adonner qui à l’alcool, qui à la cigarette voire à la drogue, autant de fléaux qui minent dangereusement l’école burkinabè. Quelles sont donc les motivations des élèves fumeurs ? Quel plaisir prennent-ils à fumer ? Ont-ils conscience des méfaits du tabac sur leur santé ? Quel est l’impact du tabac sur les finances du jeune fumeur ? Des interrogations qui nous ont incité à faire une randonnée dans quatre établissements secondaires (publics et privés) de la capitale afin d’échanger avec les concernés pour mieux comprendre le phénomène. Si pour certains, fumer est un signe de grandeur, d’affirmation de soi, pour d’autres, cela ne « donne rien de bon » et ils veulent mettre un terme à leur addiction. Pire, au-delà de la simple clope, la prise de stupéfiants illicites dans ce milieu devient légion, même si leurs adeptes ne sont pas loquaces quand il s’agit d’en discuter, contrairement à ce qui se passe avec la cigarette conventionnelle, dont ils n’ont visiblement aucune gêne à parler. Plongée dans les volutes de fumée de la nouvelle génération.
8 janvier 2016, il est 10h15 au lycée Philippe-Zinda-Kaboré (LPZK), en plein cœur de Ouagadougou. C’est l’heure de la pause. Le petit marché communément appelé PM dans le jargon scolaire grouille de monde. Les élèves profitent de cette interruption pour se récréer avant de reprendre les cours. Dans cet espace, on peut trouver différentes sortes de sandwichs, du haricot à la semoule et toutes sortes de jus (pain de singe, bissap, gingembre, et tutti quanti). Pendant que les uns et les autres se ruent sur ces aliments, E.Z., élève en classe de 1re D, est adossé à un neem en compagnie de deux copains. Dans sa main droite, une cigarette sur laquelle il tire deux fois d’affilée, s’empressant de la remettre à un autre parce que nos regards se sont croisés. « Je retourne en classe parce que le prof nous a donné cinq minutes seulement», s’excuse-t-il auprès de ses camarades en leur faussant compagnie. Nous l’abordons, mais il prend pour prétexte le peu de temps accordé par l’enseignant pour tenter de se dérober. Finalement sur notre insistance, il se met à table.
Cet adolescent de 18 ans dit avoir commencé à fumer il y a cinq mois. Il s’agissait alors «de voir l’effet que cela produit». Sa première taffe l’a fait tousser avant qu’il se rende compte que ça ne donnait «rien de bon». E.Z. connaît pertinemment les effets néfastes de la cigarette sur l’organisme (cancer des poumons, problèmes de cœur), mais se réfugie derrière le fait qu’il a tendance à fumer quand il fait froid. « La cigarette éveille tes sens, ça t’évite de somnoler en classe», ajoute-t-il, tout en précisant qu’il ne fume pas beaucoup (2 à 3 sèches par jour, prétend-il) et qu’il peut s’écouler une semaine sans qu’il n’en prenne.
Si E.Z. en est à ses débuts, D.O., dit «Esprit», élève en classe de terminale au lycée Marien N’Gouabi (quartier Bilbalgho de Ouagadougou), fume depuis 2010. «Après l’obtention du BEPC, on joue aux grands. Surtout si tu es dans un groupe où le leader fume et que tu aspires à être comme lui ; tu finis par l’imiter», explique-t-il pour justifier son premier contact avec la clope. Agé de 23 ans, le jeune «Esprit», en plus d’avoir toussé, a ressenti des vertiges à la première bouffée, mais n’a plus rien éprouvé au fur et à mesure qu’il s’ y est habitué. Il a plutôt senti un affaiblissement, des insomnies et une diminution de l’appétit. Mais qu’à cela ne tienne ; pour lui, « c’est une dépendance, c’est une dose quotidienne qu’il faut prendre. Mieux vaut ne pas commencer. Souvent, tu veux arrêter, mais quel que soit le temps d’arrêt, tu peux y replonger sans t’en rendre compte. Je crois que c’est une dépendance qui nécessite un vrai suivi», dit-il à l’adresse de ceux qui voudraient s’y aventurer. Un autre revers qu’il souligne est que le fumeur ne peut pas garder des jetons sur lui, - «déjà que nous, les élèves, on n’a jamais de billets sur nous». Il dit consacrer tout au plus 300 F CFA par jour à assouvir son addiction ; ce qui est tout à fait insignifiant pour A.C., élève en classe de 1re D au Complexe scolaire l’Aurore (quartier Patte d’oie de Ouagadougou). Ce jeune homme pouvait dépenser trois fois plus par jour. « J’avais un endroit dans ma chambre où je déposais mes pièces de 25 F, de 10 F, mais quand j’ai commencé à fumer, j’ai utilisé toutes ces économies pour le faire », confie A.C.
Son camarade de classe, G.K., n’a même pas idée de la somme qu’il brûle chaque jour, mais tient néanmoins à nous raconter une anecdote. « Un jour, je suis tombé en panne. Le pneu de ma moto avait crevé ; heureusement, je n’étais pas loin de la maison. A l’époque, je ressentais également le besoin de fumer. Je n’avais que 100 F en poche, mais j’ai fini par payer la cigarette et j’ai poussé ma moto jusqu’à la maison », raconte G.K, prenant avec le recul un regard plus ironique sur l’affaire. Avant de nous expliquer que certaines personnes préfèrent fumer que de manger, ou encore prendre un café alors qu’elles n’en tirent pas grande satisfaction. Il se rappelle aussi qu’un de ses enseignants, ne pouvant donner aucune justification au fait de fumer, a finalement admis que la cigarette peut tuer, mais qu’il faut bien finir par mourir un jour de quelque chose. Tous deux ont reconnu que le tabagisme gagne de plus en plus le sexe féminin, et étaient choqués de voir des filles fumer, prétendument «parce que c’est la mode».
Cap sur le Lycée technique privé/Assemblée de Dieu (LTPAD), sis au quartier Cissin de Ouagadougou, où les motivations sont pratiquement les mêmes. Les jeunes fumeurs ont conscience des effets négatifs du tabac sur leur santé. Fait assez rare pour être souligné, nous nous trouvons face à une fille du nom d’A.Y., élève de 1re G2. A l’en croire, elle n’a jamais grillé une cibiche, mais connaît des filles qui ne se gênent pas à le faire. C’est ainsi qu’elle accepte dans un premier temps de nous mettre en contact avec des « fumeuses ». Après de multiples relances et différentes techniques d’approche, elle nous contacte finalement un matin de février pour nous dire en substance que « les deux filles qui étaient disponibles pour échanger avec vous ont désisté ». Mais cela ne nous a pas empêché de maintenir le contact avec elle, espérant obtenir les numéros des gos en question pour les rassurer personnellement, les mettre en confiance, et leur garantir un potentiel anonymat. Nos multiples tentatives se solderont par un échec, notre intermédiaire finissant par rompre le contact. C’est sans doute la preuve que dans nos sociétés, les mentalités ne sont pas encore assez ouvertes pour tolérer des fumeuses, très vite assimilées à des filles légères voire des péripatéticiennes.
« De la cigarette à la drogue, il n’y a qu’un pas »
Sur la question assez sensible de la prise des drogues, A.C, confesse : « Si on dit qu’on n’a pas encore vu de la drogue, on va mentir. Tout jeune, on peut prendre une «taff» comme ça, en passant. On y touche un peu pour voir ce que ça donne, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut rester là-dedans. Moi j’ai vu que ce n’était pas bon et j’ai laissé », indique-t-il, avant d’être stoppé d’un coup de genou par son voisin de droite. Abonné aux anecdotes, G.K se contentera de nous en servir une autre pour éviter que son voisin ne fasse d’autres révélations. «J’avais des amis vers la gare routière. Il y en a un qui avait de la drogue sur lui. C’est la première fois que j’en ai vu. Nous avons fumé un joint, puis par la suite il y a un monsieur qui est venu «serrer» devant nous avec un 4x4. Il nous a embarqués, on nous a frappés puis laissés sur le bord de la route. J’en suis encore traumatisé et je me suis dit que je n’allais plus toucher à ça ».
A.F.O., élève en classe de Terminale A au complexe scolaire L’Aurore a commencé à fumer en classe de 3e avec la marque de cigarette «BOND» avant d’évoluer vers «MUSTANG», «HAMILTON rouge », «HAMILTON blanc». Il justifie sa première prise de contact avec la cigarette par la curiosité et « le feeling, le fait de faire sortir de la fumée de la bouche ou par les narines ». Il dit en avoir cependant réduit sa consommation après avoir remarqué que la consommation de la cigarette noircit la paume des mains et la plante des pieds, et entraîne une baisse de la capacité physique. « J’ai senti que je ne pouvais plus faire d’effort soutenu. Sur un terrain de football, je ne peux même plus courir 15 minutes », déclare l’adolescent. Cela ne l’a pas empêché de passer en classe supérieure en touchant aux stupéfiants, car c’était «une suite logique» selon ces termes. Il reconnaît que ce n’est pas une bonne chose, mais admet qu’il pourrait difficilement convaincre un adolescent de son âge de ne pas mégoter. « Nous autres, nous n’avons pas de conseils à donner, parce qu’on pourrait facilement nous rétorquer : «Toi, tu l’as déjà fait et tu en parles, donc laisse-moi également essayer!». La jeune génération veut suivre la mode, notamment à travers les clips à la télé. On se fait des idoles et on veut être comme elles, voilà tout», ajoute A.F.O. dont le rire dévoile des dents en passe de noircir.
La quasi-totalité des établissements visités ont des espaces où les fumeurs se retrouvent, aux environs de 10h, d’après les informations que nous avons pu obtenir. Au LPZK, des jeunes que nous avons rencontrés, en partance pour leur ‘’espace fumeur’’ favori, nient avoir eu un quelconque contact avec la cigarette ou la drogue, ou bien se contredisent en pointant chacun son voisin du doigt, mais aucune confidence nous a été faite.
Du regard des autres acteurs du milieu scolaire sur le phénomène
Convaincu que ce fléau n’est pas méconnu des responsables d’établissements, nous voilà nez à nez avec Yaya Nacro, enseignant d’anglais au Complexe scolaire L’Aurore, pour qui fumer ou ne pas fumer relève de la volonté personnelle. Il n’est pas question de parler de l’influence d’une tierce personne, selon lui. « C’est une question de volonté ; donc ce n’est pas forcément l’environnement qui influence parce que même après avoir tiré un coup, si l’intéressé ne trouve pas son compte, il peut abandonner. Ce n’est pas obligé, mais en continuant cela suppose qu’il le veut vraiment », explique-t-il avant d’égrener quelques méfaits de la cigarette pour justifier son abstention d’en fumer. En tant qu’enseignant de la langue de Shakespeare, « il y a des textes d’études qui parlent du tabac et des autres stupéfiants et nous en profitons pour sensibiliser les élèves sur les dangers auxquels ils s’exposent».
Olaf Tiendrébeogo, attaché d’éducation au LPZK, dit avoir été rarement confronté à des élèves en train de fumer. « La seule fois où j’étais face à un élève avec une cigarette, mon simple regard l’a amené à vouloir fuir ; je l’ai récupéré et je lui ai montré les effets néfastes de la cigarette pour l’homme, moi-même en exemple », dit-il. En présentant ses mains aux paumes noires à l’élève fumeur, l’attaché d’éducation lui a dit de s’imaginer ce que pouvait être l’intérieur de son organisme et qu’un adolescent doit s’abstenir et que lui-même a opté de réduire au minimum sa consommation de cigarette. Pour Olaf Tiendrébéogo, les élèves sont conscients de l’interdiction de la cigarette et des autres stupéfiants dans les établissements, mais la sensibilisation prime sur la sanction en cas de flagrant délit.
Edouard Savadogo, proviseur du Lycée Marien N’Gouabi, renchérit en ces termes : « En général, tous les règlements intérieurs interdisent la détention et la consommation de la cigarette par les élèves. Quand on interpelle un élève on passe d’abord par la sensibilisation parce que très souvent ils ne sont pas conscients de leurs actes, des nuisances que cela peut avoir sur leur santé ; et si l’intéressé persiste, on peut le suspendre de cours pour un temps donné ; juste pour qu’il prenne conscience de son erreur, on le renvoie pour une journée afin d’éviter que les autres ne le prennent en exemple. Quand vous les surprenez, ils comprennent le message, ils peuvent continuer à fumer mais en se cachant. Cette année particulièrement il n’y a pas eu d’interpellation mais dans les années antérieures on a pris des élèves qui détenaient des cigarettes et des boîtes d’allumettes, on les a sermonnés. Souvent on convoque les parents pour les en informer afin qu’on puisse les suivre ; cela a donné toujours de bons résultats ; en tous les cas, il y a eu des évolutions : les élèves prennent conscience, s’ils ont le message et s’ils ne sont pas encore accrocs ils décrochent. Ceux qui y persistent il faut les désintoxiquer, les aider d’une manière ou d’une autre à sortir de cette situation ».
« Si rien n’est fait dans 5 ou 10 ans ça sera pire »
Dans l’univers des associations, certaines ont fait de la lutte contre le tabac et la drogue en milieu scolaire leur cheval de bataille. Parmi elle, l’association Initiative culturelle pour la santé et le développement au Burkina Faso (ICSD) dont le président est Youssouf Sawadogo, alias Oskimo, par ailleurs artiste musicien. Depuis 9 ans, la caravane dénommée « Oskimo tour, jeune propre sans drogue » a comme stratégie l’animation de concerts gratuits grand public, des projections de film, des conférences mais aussi des tournées dans les établissements scolaires. Et ce dans l’optique de rependre au sein de la jeunesse des messages de sensibilisation sur les conséquences de la prise des stupéfiants. La caravane, selon son initiateur estime avoir touché près de 50 000 jeunes à travers tout le pays et assure qu’elle a eu des échos favorables. Pour le président de l’association qui a connu la drogue, il y a 20 ans, l’Etat doit aussi appuyer les associations qui œuvrent dans la lutte contre les stupéfiants ou encore convoquer une conférence nationale en ce sens, laquelle réunira tous les acteurs, et aura le mérite d’accoucher d’un plan national de lutte. Selon Oskimo, la recrudescence de l’incivisme dans ce milieu se justifie en partie par ces pratiques et que si rien n’est fait dans 5 ou 10 ans ça sera pire.
Il convient de noter que ce dossier a été réalisé l’année scolaire précédente mais n’a pu être diffusé pour de multiples raisons.
« Pourquoi acheter une maladie tant qu’on peut l’éviter ? »
Les fumeurs en particulier, et l’opinion publique de manière générale, ont une connaissance assez vague des effets nuisibles du tabac sur la santé : cancers de poumons, baisse de la capacité physique, entre autres ; pour en savoir davantage nous avons rencontré le Dr Geogres Ouédraogo, pneumologue tabacologue au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. Selon ce spécialiste, la cigarette n’a aucun avantage, elle n’a que des dégâts. « Si vous voyez la photo du corps du fumeur, vous verrez que la consommation de la cigarette touche tout l’organisme. La nicotine va passer par le sang pour aller toucher le cerveau, il y aura des atteintes au niveau de la bouche, de la langue, des gencives, des dents, de la gorge», relève-t-il d’emblée. A ces troubles s’ajoutent une atteinte de l’arbre respiratoire qui produit des bronchites chroniques, l’emphysème pulmonaire qui limite l’intéressé dans l’effort et, plus grave, des cancers broncho-pulmonaires. Les reins, la peau peuvent également faire l’objet de cancers, les accidents vasculaires-cérébraux, l’incapacité sexuelle, des problèmes de fertilité chez les femmes « fumeuses », de faibles poids à la naissance des nourrissons dont les mères fument ; constituent la longue liste des dommages causés par le tabac». Chez les jeunes, le spécialiste estime que fumer est pire parce que les poumons, l’appareil respiratoire sont en pleine maturation, et par conséquent fumer joue négativement sur son développement normal. Pour aider les dépendants à sortir de leur cercle vicieux, le Dr Ouédraogo évoque l’existence, au sein du CHU-YO, d’un centre de sevrage tabagique mais insiste surtout sur la réelle volonté de l’individu à cesser de fumer.
Le tabac en chiffres au Burkina Faso
Foi du pneumologue tabacologue, l’étude de 2013 dénommée STEPS révèle que 19,8% de la population burkinabè (sur un total d’environ quinze millions d’âmes) à la date indiquée consomment toutes sortes de tabacs, fumés, chiqués. Relativement à la cigarette le taux de prévalence est de 11,3%. Selon un classement de l’Organisation mondiale de la Santé daté de 2010 au Faso, le nombre de décès liés à la consommation du tabac était de 1 500 personnes par an. Pour le spécialiste, ce chiffre serait sous-évalué, et rien qu’au cours du mois de janvier 2016, il en a compté 5 décès de suites de maladies liées à la cigarette.
Aboubacar Dermé